jeudi 19 août 2021

"Librairies essentielles"

Antoine Gallimard précise dans la présentation de sa nouvelle collection, "Tracts", son intention d'éditeur : "faire entrer les femmes et les hommes de lettres dans le débat, en accueillant des essais en prise avec leur temps mais riches de la distance propre à leur singularité". Dans les années 30, Gide, Giono, Thomas Mann se sont faits entendre dans des textes courts, baptisés eux aussi, Tracts de la NRF. Cette "belle exigence" se retrouve donc dans ces publications nombreuses depuis un an et à un prix plus que modique. Récemment, j'ai lu le tract de Christian Thorel, "Essentielles librairies". Ce libraire a repris la librairie "Ombres blanches" en 1978 à Toulouse. Sa librairie s'est agrandie au fil des années et il vient de passer la main. Il a composé cet opus pour fêter les quarante ans de la loi Lang sur le prix unique du livre. Il évoque dès la première page ces lieux magiques : "Nos jardins de papier recèlent des illusions nécessaires, des rêves indispensables, autant qu'ils révèlent des savoirs et des voix nouvelles". Il retrace les circonstances de la loi protectrice des libraires et salue la détermination de Jérôme Lindon dans cet acte fondateur. Christian Thorel raconte sa vocation de libraire et quand j'ai lu ces pages sur son métier, j'ai humé un air de famille, celle des passionnés des livres et de la littérature. Il décrit les librairies parisiennes découvertes lors de ses études et ces souvenirs ont percuté ma propre mémoire quand j'ai vécu dans la capitale au début des années 80. Je citerai en particulier Gibert Jeune, La Hune, Compagnie, les Presses universitaires de France, Des Femmes, les Bouquinistes des bords de Seine. Paris, à mes yeux, prenait la forme d'un livre. Je me souviens encore de Corti à côté du jardin du Luxembourg où j'ai acheté un Julien Gracq et c'est l'éditeur légendaire, José Corti qui m'avait remis l'ouvrage dans les mains, en me souhaitant une bonne lecture. "Ombres blanches" à Toulouse est devenu un centre culturel, un lieu d'animation en recevant régulièrement des écrivains. Il lance avec d'autres libraires indépendants, l'excellente publication, "L'Œil de la Lettre" qui proposait des bibliographies thématiques toujours percutantes. Il aborde aussi dans ce texte, des questions techniques comme le milieu de la distribution, la fragilité financière de ces commerces particuliers. Christian Thorel cite Virginia Woolf : "Le seul conseil qu'une personne puisse donner à une autre à propos de la lecture c'est de ne demander aucun conseil, de suivre son propre instinct, d'user de sa propre raison, d'en arriver à ses propres conclusions". Le lecteur(trice) prend donc le relais dans cette chaîne essentielle du livre après l'écrivain(e), l'éditeur(trice) et le ou la libraire. Ce plaidoyer pour le commerce des livres se lit avec plaisir et pour moi, ancienne libraire à Bayonne dans les années 70, cette lecture a représenté une belle échappée dans mon passé basque où j'étais une "jardinière de livres". Quand je rentre dans une librairie au moins une fois par semaine, ma curiosité vibre à la vue de tous ces livres étalés sur les tables ou installés dans les rayonnages. Des promesses d'heures heureuses, la lecture !