mercredi 13 mars 2024

"Uranus", Marcel Aymé

 J'ai trouvé récemment dans une cabane à livres, un roman d'un écrivain oublié et pourtant pléiadisé, "Uranus", je veux parler de Marcel Aymé (1902-1967). Auteur prolixe avec 17 romans, des dizaines de nouvelles, des contes et des pièces de théâtre, ce Franc-comtois de naissance a vécu à Paris mais s'est inspiré de sa région dans plusieurs de ses romans dont "La Vouivre". Peu apprécié des critiques parisiens, le jugeant trop populaire, il a malgré tout connu un grand succès à son époque. Cet anarchiste de droite a eu quelques ennuis après la Libération car il avait publié des articles dans la presse collaborationniste. Mais, il n'était pas du tout antisémite comme Céline dans ses pamphlets odieux. J'ai donc relu "Uranus" en me disant que j'allais le feuilleter mais j'ai poursuivi ma lecture avec plaisir tellement j'ai retrouvé une France des années 45 en proie à la vengeance et aux clivages politiques bien plus tranchés qu'aujourd'hui. Un bombardement a décimé tout un quartier dans une petite ville de province, obligeant les habitants à se regrouper dans des colocations obligatoires. Ainsi, la famille Archambault partage leur appartement avec un professeur et avec des communistes. De nombreuses scènes racontent avec ironie les différences de classe sociale et des idées politiques. C'est l'heure de gloire pour le Parti communiste et les rares collaborateurs ont été chassés par les FFI. Un seul a échappé à la purge, un certain Maxime qui va se réfugier chez l'ingénieur Archambault. Des figures se détachent dans ce tableau ubuesque comme le cafetier Léopold qui, en écoutant la classe qu'il reçoit chez lui, découvre la beauté du théâtre classique en la personne de Racine et se prend pour un poète. Le professeur Watrin en bon rousseaussite aveugle croit à la bonté humaine alors que tout se déglingue autour de lui. Le vieux Monglat a collaboré avec tout le monde et s'est enrichi en collectionnant des oeuvres d'art. Ce roman loufoque et ironique raconte les lâchetés de l'Après-guerre et dénonce avec humour la bêtise humaine qui se manifeste souvent dans les idéologies sectaires. J'ai retenu cette jolie citation : "Seule les femmes voient vraiment les choses. Les hommes n'ont jamais qu'une idée". Un de ses personnages professeur note bien ses élèves malgré leurs faiblesses et remarque : "Il voulait les encourager et souhaitait que l'école, autant que possible, leur offrit les sourires que leur refusait trop souvent une existence troublée". Entre les règlements de compte et les petits arrangements de ces citoyens de tous bords, Marcel Aymé décrit une période noire pendant la Libération, mais il l'a décrit avec son talent de conteur et de ferrailleur des mots. Un roman trop oublié de notre histoire littéraire à découvrir pour une sensation de retrouver la France des années 40.