mercredi 1 mai 2019

"L'amie de la famille"

Le Premier novembre 1968, Annie est emportée par une vague monstrueuse alors qu'elle se promenait sur les rochers qui surplombent la Chambre d'amour à Anglet. Elle n'était seule dans cette promenade imprudente : ses deux frères et son fiancé l'accompagnaient. Les deux frères ont évité le pire. Son fiancé a aussi été saisi par la vague mais il a pu s'accrocher à un rocher alors qu'Annie, épuisée par son combat contre l'océan déchainé, est morte d'épuisement dans son transfert à l'hôpital. L'auteur écrit : "Elle avait vingt ans, moi quinze. Il aura fallu un demi-siècle pour que je parvienne à évoquer ce jour, et interroger le prodigieux silence qui a dès lors enseveli notre famille. Je suis parti à la recherche d'Annie. Je l'ai vue revenir intacte dans sa fougue, ses doutes, ses enthousiasmes, ses joies et ses colères : une jeune femme d'aujourd'hui".  Jean-Marie Laclavetine décide, cinquante ans après l'accident, de soulever la chape de silence qui a emmuré ses proches. Quand les parents recevaient des amis et qu'ils posaient la question  : "qui est cette jeune fille sur la photo ?", ils répondaient à l'unisson : une amie de la famille… Le moment est venu pour l'auteur de rendre un hommage vibrant à cette sœur en retraçant sa jeune existence. Il mène une enquête précise, cherche des témoignages, remonte le temps, le fouille avec patience et acharnement. Il veut enfin savoir qui était cette jeune femme amoureuse, cette jeune femme amicale, cette jeune femme fraternelle. Il part sur les traces de sa meilleure amie qui lui brosse un portrait attachant d'Annie à travers des lettres. Il retrouve son fiancé après des démarches administratives sans suite. Il s'est remarié alors que la famille n'avait jamais repris contact avec lui. Il découvre alors une sœur beaucoup plus complexe que son image au sein de la famille. Elle était dépressive, anorexique. Passionnée et exigeante, ses relations avec ses parents ne semblaient pas sereines. Elle avait enfin passé le cap dangereux de l'adolescence en devenant plus "raisonnable" et à vingt ans, la vague tueuse n'a pas eu pitié d'elle. L'écrivain s'interroge en profondeur sur l'irruption du malheur dans une vie : "L'événement a transformé mon existence. La mort m'a fait ce que je suis. Je suis né à quinze ans". Ce très beau récit autobiographique ressemble à une re-naissance et ce retour sur un passé douloureux lui permet de donner vie à sa sœur disparue. Jean-Marie Laclavetine écrit une élégie sur sa famille blessée et grâce à l'écriture, cet hommage sur la vérité d'un drame terrible, traumatisant, atténue peut-être son immense chagrin. Il écrit: "La littérature a peut-être du moins ce pouvoir réunir ce qui se disperse, d'assembler ce qui s'éparpille au vent des destinées singulières, de coudre ensemble les lambeaux épars que la mémoire accroche dans les recoins de notre conscience". Une définition de la littérature qui me convient parfaitement…