mardi 26 novembre 2013

"Les complémentaires"

Dès que le dernier roman de Jens Christian Grondahl arrive en librairie, je me fais un plaisir de le découvrir. J'ai écrit quelques billets sur l'œuvre de ce grand écrivain qui nous vient du Danemark. Dans "Les complémentaires", paru en octobre chez Gallimard, dans la classique et éternelle collection "Du monde entier", je retrouve des thèmes "grondahliens" comme une musique pénétrante et obstinée : la crise du couple, la difficulté de comprendre l'évolution inéluctable de ses enfants, la coupure des générations, le poids de la famille, les liens  fragiles,  la mélancolie du temps qui passe... David Fischer, avocat bien installé dans sa vie, remarque avec effroi une croix gammée sur sa boîte aux lettres. Il est bouleversé par ce geste qu'il ne comprend pas. Il cache ce forfait à sa femme, Emma, artiste amateur, anglaise d'origine. Elle aussi traverse une crise dans sa vocation d'artiste non reconnue. Ils reçoivent un soir leur fille Zoë, vidéaste, inscrite aux Beaux Arts, et son petit ami, Nabeel, Pakistanais, étudiant en médecine. Cette soirée va s'avérer lourde de non-dits et de maladresses pour les quatre personnages du roman. Comment accepter que leur fille fréquente un musulman alors que David est lui-même juif ?  Les identités se disloquent au fil des pages et mettent en péril les relations tissées dans la famille. Les parents sont invités au vernissage de Zoë où elle présente une performance dans une vidéo,  la mettant en scène avec Nabeel, exposés dans leur nudité. Le père de Nabeel, chauffeur de taxi, invite David chez lui et lui fait part de sa réprobation concernant la vision du couple étalé dans le film. Les certitudes des parents concernant leur propre relation vacillent et ils remettent en question leur mode de vie à l'aune des préjugés religieux et culturels. Ce roman, au cœur de notre époque en crise, pose la question de l'appartenance, de l'héritage familial, du multiculturalisme, de l'immigration, sans apporter des réponses. "Chacun fait comme il peut", semble nous dire Jens Christian Grondahl. Un beau roman mélancolique, profond, intimiste et grave. A lire, sans tarder...