lundi 28 octobre 2019

"Propriété privée"

Julia Deck publie son quatrième roman, "Propriété privée", dans cette rentrée littéraire, édité chez Minuit. La narratrice raconte son déménagement dans une banlieue cossue. Le couple a décidé de fuir Paris pour vivre dans un quartier écologique, "un écoquartier pour bobos",  où un ancien entrepôt s'est transformé en lotissement de luxe : "Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en beaux matériaux durables". La gare RER leur permet d'atteindre Paris en peu de temps. Une maison avec un jardin, un rêve de bonheur pour ces Parisiens fatigués. Ils peuvent se permettre cette vie car elle est urbaniste en free lance et son mari, professeur d'université,  ne travaille pas pour des raisons de santé car il souffre d'une dépression. Leur nouvelle cohabitation se déroule normalement à leur arrivée, peu à peu les ennuis commencent à poindre avec le voisinage. L'anonymat des grandes villes a disparu dans ce quartier convivial et solidaire. Un chat rouquin commence à prendre ses aises dans leur propre jardin, ce qui agace le couple. Une voisine sans-gêne frappe chez eux à tous moments pour leur demander des services. Ce manque d'éducation les contrarie un peu. Les travaux du lotissement ne sont pas terminés et provoquent un bruit constant. Ce nouvel Eden ressemble déjà à un petit enfer. Leurs voisins, jeunes couples bourgeois, font la fête autour de barbecues arrosés, la sono hurlante. Le lendemain matin, il faut supporter les bruits de perceuses et de tondeuses sans compter sur les cloisons de ces maisons qui laissent filtrer les secrets gênants des voisins. La narratrice accepte de participer à contre-coeur à un vide-grenier où "les propriétaires monopolisent le trottoir avec une jovialité indécente, comme s'il n'existait pas de plus grand bonheur sur terre que de se soûler tout un dimanche à exhiber ses rebuts". Le roman satirique se termine en thriller : le chat rouquin est retrouvé avec le ventre ouvert, une voisine disparaît avec son fils, des relations adultères se nouent. La narratrice, lasse de tous ses déboires, met la maison en vente et retourne à Paris. Une fin logique pour ces bobos parisiens qui finissent pas se séparer : la déflagration n'a pas seulement touché cet écoquartier, elle a pulvérisé le couple. Julia Deck s'amuse beaucoup en décrivant ces urbains branchés, écologistes naïfs, qui exécutent une comédie sociale où le sempiternel "vivre ensemble" s'avère une utopie trompeuse. Un roman ironique sur le rêve de la maison individuelle, nid douillet mais parfois, nid épineux… 

vendredi 25 octobre 2019

"Les Pays"

Ce roman, "Les Pays", écrit par Marie-Hélène Lafon et publié chez Buchet-Chastel en 2012, se lit d'une seule traite. Claire, jeune étudiante en Lettres, est originaire du Cantal. Elle poursuit ses études à Paris et se trouve confrontée à deux mondes fort différents : sa vie d'avant dans sa simple expression à la campagne et sa vie d'aujourd'hui à Paris dans la ville la plus urbanisée du pays. Ces deux cultures tissent un récit autour du sentiment ambigu de trahir ses origines : comment s'adapter  dans la capitale intimidante sans se renier ? Le thème de transfuge est traité magistralement par l'écrivaine. Annie Ernaux raconte la même histoire, celle d'une jeune fille émancipée qui quitte l'épicerie de ses parents pour devenir professeur et écrivaine. Dans les premières pages de l'ouvrage, le père de Claire a décidé de visiter le Salon de l'Agriculture avec ses deux grands enfants. Le père agriculteur s'inquiète pour son avenir et se bat pour maintenir sa ferme familiale. Ce voyage à Paris représente un exploit pour cet homme simple et effrayé par la complexité du lieu. Plus tard, Claire, restée seule, loin de son pays natal,  découvre Paris, la Sorbonne, le Louvre et invitée chez son professeur de grec avec d'autres étudiantes, elle décrit ce milieu ainsi : "Une vie comme celle que monsieur Jaffre menait dans cette maison et dans ce jardin était donc possible, ça tenait par les livres, ça tenait par l'arbre, et par mille autres liens dont on ne démêlerait pas l'enchevêtrement ; ça sentait la joie, une joie austère  et ardente". La jeune provinciale rencontre Lucie et se noue une belle amitié entre elles. Pendant les mois d'été, elle trouve un travail dans une banque tout en regrettant le temps des moissons et des travaux à la ferme. Son Cantal lui manque et le texte fourmille de souvenirs nostalgiques sur ce pays perdu. Claire comprend la différence sociale en fréquentant le milieu privilégié de son amie Lucie : "On vivait avec Bach".  Son initiation à la vie urbaine, loin de sa terre natale, s'affirme au fil des pages. Marie-Hélène Lafon consacre le dernier chapitre à son héroïne (qui lui ressemble comme une sœur jumelle) à l'âge de quarante ans quand celle-ci est devenue professeure à Paris. Elle a apprivoisé la capitale, la considère comme "un terrier dans la ville minérale" et là-bas, dans le Cantal, son "terrier des champs". La mue semble réussie en conjuguant ces deux amours sans les trahir. Un texte lumineux, d'une écriture toujours singulière, vibrante, un hommage à la nature (son pays natal) et à la culture (son pays adoptif). 

mercredi 23 octobre 2019

"A la première personne", 2

Alain Finkielkraut revient, évidemment, sur un des sujets qu'il développe souvent dans ses prestations médiatiques : l'affaissement de la culture. Il évoque Charles Péguy, fils d'une rempailleuse de chaise, sauvé par l'école communale. En regrettant cette indifférence à l'héritage culturel, il attire les foudres d'un grand nombre de ses pairs qui le trouvent réactionnaire, passéiste, voire décliniste. Quel crime a-i-l commis pour se sentir sans cesse vilipendé ? Il ose intégrer une échelle de valeurs dans le monde de la culture, ce qui est une entorse au politiquement correct. Pour lui, une mélopée de rap n'égale pas une symphonie de Mozart : "L'inculture a disparu d'un coup de baguette magique : tout est culturel, proclament les sciences sociales. (...) Aujourd'hui, la culture, c'est la mare. Plus besoin donc de s'élever pour s'en approcher". Nous avons vu l'hommage de la nation à un chanteur populaire. Pour ma part, j'étais étonnée de voir notre Président aux obsèques de ce grand chanteur de rock. La société du spectacle n'intéresse pas le philosophe et il ne se reconnait plus dans ce monde égalitariste. Tout se vaut et alors rien ne se vaut. Sa conception d'une culture élitiste pour tous passe très mal de nos jours. Un terrain glissant où il est préférable de ne point s'aventurer. Ce philosophe ne se résigne pourtant pas à l'effondrement culturel : "Je continue, je m'obstine, j'aggrave mon cas pour une raison toute simple, admirablement exprimée par Léon Werth (…) : je tiens à la civilisation, à la France. Je n'ai pas d'autre façon de m'habiller. Je ne peux pas sortir tout nu". La phobie technologique d'Alain Finkielkraut appartient aussi à sa légende médiatique. Il craint l'emprise des écrans dans nos vies et cette critique lui vient du grand philosophe Heidegger qui a défini le monde comme un empire de la technique, le Gestell qui se manifeste dans le langage  anglicisé, l'écriture inclusive, la féminisation des métiers, le tourisme de masse, l'invasion de la musique en tous lieux et bien d'autres contrariétés que notre société génère. Il évoque "l'inhabilité de notre monde, l'empire dévastateur de l'esprit de la technique", dont il révèle les symptômes. Avant de critiquer et de condamner ce grand intellectuel français, je conseille d'ouvrir ces ouvrages et de le lire, tout simplement, de le lire attentivement. Et ensuite, de penser par soi-même si cette voix dérange ou au contraire nourrit la réflexion sur notre monde contemporain. J'avoue que je partage souvent l'inquiétude "finkielkrienne", peut-être est-ce un phénomène générationnel… Un ouvrage à lire pour comprendre les combats d'arrière-garde ou d'avant-garde de ce philosophe nostalgique… 

mardi 22 octobre 2019

"A la première personne", 1

Alain Finkielkraut a pris la plume dans son nouvel opus autobiographique, "A la première personne" pour désamorcer les attaques qu'il subit depuis de nombreuses années. Il sait par la presse et par ses désagréments propres qu'il est souvent rejeté, critiqué, détesté. Je me souviens de l'incident des Gilets jaunes où il a été insulté et traité de sioniste. Il ne peut plus entrer à Sciences Po pour donner une conférence. Dès les premières lignes de l'ouvrage, le philosophe avoue sa fatigue et son découragement face à cet état de faits mais il ne souhaite pas renoncer à chercher "le vrai du réel, l'élucidation de l'être, des événements". Il revendique sa posture d'intellectuel pour justifier son parcours depuis les années 80. Il évoque son engagement militant en Mai 68 en qualifiant ce moment révolutionnaire de conformisme social, un dogmatisme de jeunesse, une comédie festive. Sa rencontre avec Pascal Bruckner l'a "décoincé" et il raconte ce temps là avec une ironie distancée. Il revient sur ses ouvrages qu'il a composés avec sincérité et regrette aujourd'hui que "son passé ne le constitue pas, il me toise. Rien ne me remplit d'être, rien ne me protège, rien ne me rassure, rien ne vient combler le néant qu'aujourd'hui je suis". Cet aveu mélancolique mérite toute notre admiration pour cet homme si tourmenté par son "chagrin patriotique". Il rend hommage à Michel Foucault, un philosophe charismatique, à Philip Roth, un écrivain qu'il adule et influence sa réflexion sur sa judéité. Un des chapitres les plus émouvants concerne son héritage familial. Ses parents, rescapés d'Auschwitz, n'ont pas voulu léguer leur mémoire meurtrie et en lisant le chef d'œuvre de Daniel Mendelsohn, "Les Disparus", il a compris qu'il avait été plus qu'un fils négligeant avec eux car il n'a pas sondé leur passé douloureux pour témoigner, révéler, inscrire leur tragédie dans l'Histoire : "Je ne remplirai jamais les blancs de mon histoire familiale". Il aborde la question de l'antisémitisme avec une lucidité clairvoyante et remarque la détestation d'Israël par certains milieux alors qu'il avoue son admiration pour ce pays fragile. Il relate son amitié pour Milan Kundera, cet écrivain majeur qui l'a détourné de la théorie littéraire pour le plonger dans l'univers de la vérité romanesque, dans la force intemporelle de la littérature. Il cite ses écrivains de prédilection : Henry James, Dostoïevski, Grossman, Camus, Conrad, Roth, Blixen. "Les grands livres nous lisent", nous révèle Alain Finkielkraut. Cet hommage à la littérature, une passion "sacrée", semble un peu paradoxale pour un philosophe, mais quelques essais d'Alain Finkielkraut confirment cette dimension de critique littéraire . Il veut "payer" ses dettes à ceux qui l'ont formé à commencer par Charles Péguy, Emmanuel Levinas, Hannah Arendt, Heidegger. Sa gratitude envers ses "maîtres" à penser rappelle son obsession pour l'héritage culturel… Un défaut impardonnable pour les ennemis de ce philosophe et une qualité essentielle pour ses amis… 

lundi 21 octobre 2019

Rubrique cinéma

J'ai profité d'une météo maussade pour aller au cinéma. J'ai choisi le dernier Xavier Dolan, "Matthias et Maxime". J'avais déjà vu quelques films de ce réalisateur du Québec et son univers tourmenté m'avait intéressée. Son long métrage se passe de nos jours au Canada dans une folle ambiance de trentenaires qui aiment par-dessus tout, faire la fête, se retrouver dans des soirées où ils s'étourdissent de musique (la bande-son est assez insupportable), de cannabis, de bières et de jeux de société. Cette atmosphère festive dans cette bande fusionnelle de copains leur apporte à chacun un réconfort et une sécurité affective qu'ils n'ont peut-être pas ressentis dans leurs familles. Ces moments d'amitiés masculines se délitent au fil des images saccadées quand Matthias et Maxime acceptent de s'embrasser pour figurer dans un petit film d'amateur. Cette scène pourtant anodine va provoquer un bouleversement affectif pour ces deux amis de longue date. Les deux protagonistes vivent avec des compagnes, se définissent comme des hétérosexuels convaincus. L'un, Matthias, traverse des difficultés personnelles avec sa mère, sa "mommy" toxique, en proie à une dépression grave et malgré cette situation pénible, il a décidé de quitter tout son environnement pour s'expatrier en Nouvelle Zélande. Maxime est plus équilibré que son ami. Bien intégré dans la vie professionnelle, il vit en couple en toute harmonie. Peu à peu, le doute commence à jaillir dans leur vie respective. La comédie romantique prend toute son ampleur quand les deux protagonistes se sentent de plus en plus attirés l'un vers l'autre. Des scènes de disputes entre copains sèment la discorde entre eux. Matthias fête son départ et un de ces soirs festifs, ils se retrouvent enfin seuls pour évoquer ce baiser filmé. Je ne dirai pas comment le film se termine. Vont-ils s'aimer ou se quitter ? Xavier Dolan a voulu jouer une partition romanesque. Les films antérieurs démontraient sa rage de vivre, le manque d'amour, la violence des relations amoureuses, les crises familiales. Il semble plus mûr et plus apaisé avec cette histoire improbable d'amour inconscient à la Marivaux. Cet éternel adolescent rebelle va enfin trouver une maturité sereine à l'aube de ses trente ans. Xavier Dolan interprète brillamment  Matthias et ce film, plein d'énergie brouillonne et bruyante, peut plaire ou déplaire. La bande-son m'a un peu dérangée, mais j'ai bien apprécié l'audace, l'énergie et la tendresse du cinéaste pour sa bande de copains et pour sa mère malade. Un bon film, original, dérangeant et troublant sur l'identité sexuelle. 

mercredi 16 octobre 2019

"Je reste ici"

Marco Balzano, écrivain italien, né à Milan en 1978, a écrit seulement trois romans, dont j'ai lu le dernier, "Je reste ici", publié chez Philippe Rey en 2018. L'auteur raconte qu'il a été inspiré par la vue saisissante d'un clocher d'église surgissant des eaux d'un lac artificiel au Sud-Tyrol. Il choisit donc le village de Curon, une bourgade où vivent des Autrichiens du Haut-Adige. La narratrice, Trina, relate sa vie à sa fille Marica dont elle est séparée depuis de nombreuses années. A dix sept ans, Trina tombe amoureuse d'Erich, employé de son père menuisier. A cette époque, en 1923, l'Italie annexe ce territoire et la langue allemande est interdite. Il faut parler italien comme la loi l'ordonne. Trina va convaincre son père qu'Erich sera un mari modèle malgré ses réticences. Ils se marient et ont deux enfants, Michael et Marica. Le pays est devenu fasciste avec Mussolini et Erich rejoint la Résistance. Un projet de barrage le met aussi dans une rage folle et il ne supporte pas que son village disparaisse sous l'eau. La narratrice partage la farouche détermination de son mari et elle donne des cours d'allemand aux enfants du bourg. Comme la situation s'envenime pour les villageois, sa fille Marica est enlevée par sa tante pour vivre en Allemagne. Cette absence va plonger la famille dans un chagrin inconsolable. De son côté, leur fils Michael se sent de plus en plus attiré par l'Allemagne hitlérienne et cet engagement jette l'effroi dans leur couple. Les événements de la Grande Histoire bousculent leur histoire personnelle. Ce roman évoque la dépossession de Trina : sa langue, sa culture, sa fille et sa terre. Entre le fascisme et le nazisme, ce petit territoire souffre aussi de ce projet de destruction concernant le futur barrage. Tout sera englouti et le village deviendra une attraction touristique. Il reste la voix de Trina, son courage, son abnégation, son beau témoignage sur le passé du village, de ses protagonistes magnifiques, de ses luttes légendaires contre l'injustice et l'arbitraire. Avec finesse et pudeur, ce roman très bien traduit, se lit avec beaucoup d'intérêt et détient un charme particulier, illustrée par Trina, un personnage féminin d'une douceur et d'une patience infinies. La presse littéraire n'a pas trop remarqué ce livre, quel dommage ! Je l'ai feuilleté dans une librairie et je souligne l'importance capitale de ce commerce si particulier qui sauve quelques livres de l'indifférence des médias…  

mardi 15 octobre 2019

"Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon"

Le dernier roman de Jean-Paul Dubois, "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon", paru en septembre chez l'Olivier, figure en bonne place dans les listes des prix littéraires de la rentrée. J'ai donc lu avec plaisir ce livre qui met en scène un personnage modeste, un peu quelconque, un peu fade même. Il s'appelle Paul Hansen et il purge une peine de deux ans dans la prison provinciale de Montréal. Cet homme incarcéré partage sa cellule avec Horton, un Hells Angel, meurtrier qu'il trouve bien sympathique. Paul Hansen, citoyen honnête, travaillait comme superintendant dans une résidence de luxe, l'Excelsior, où les copropriétaires appréciaient ses compétences multiples : conciergerie, petits travaux, factotum, courses diverses, discussions, gardiennage, jardinage. Et même assistant social, consolateur, psychologue amateur. Sa disponibilité et sa bienveillance procuraient un grand bien être à de nombreuses personnes âgées esseulées. Le narrateur raconte cette vie vouée au service des autres. Il tient cette disposition à son héritage familial car son père était pasteur, un pasteur danois un peu spécial mais qui consacrait son temps à ses ouailles. Sa mère gérait un cinéma d'avant-garde à Toulouse et se préoccupait davantage de sa vie militante à gauche que de son fils. Le récit alterne entre son présent en prison et son passé familial. Pour supporter la misère carcérale, il pense à sa compagne, Winona, une belle Indienne qui pilote des avions taxis au dessus des lacs canadiens. Son histoire d'amour pendant onze ans illumine son présent si sombre. Il songe aussi au destin funeste de son père perdant sa foi et son âme dans le jeu. Ressemblerait-il à ce père démissionnaire et à cette mère égoïste ? Paul se retrouve-t-il en prison pour quelle raison ? Sa vie conjugale s'est terminée tragiquement car il perd sa compagne dans un accident d'avion. Il est aussi harcelé par un copropriétaire mesquin et arrogant qui le licencie pour faute grave. Je ne dévoilerai pas l'acte final qui le fait disjoncter. Ayant purgé sa peine, il quittera la prison et partira sur les terres de son père, le Danemark. L'écrivain évoque dans ce beau roman la perte d'un amour, la relation au père, la chaleur de l'amitié avec un de ses copropriétaires, la détestation de la bêtise et de l'injustice. J'ai retrouvé le style simple et efficace de l'auteur, sa modestie, sa lucidité habituelle et malgré tout, sa volonté de résilience. Jean-Paul Dubois insuffle à ses romans une musique mélancolique et douce. Un de ses meilleurs romans. 

lundi 14 octobre 2019

Atelier Lectures, 2

Mylène a découvert le roman de Romain Gary, "Les cerfs-volants", en écoutant cette histoire dans sa voiture lors d'un périple estival. Les livres enregistrés qu'on appelle aussi livres audio, peuvent apporter un plaisir certain mais je me demande si l'attention se révèle différente dans l'écoute d'un texte. Pour le moment, je me sens encore d'un archaïsme rétrograde en préférant le support papier, matérialisé, chaud et surtout silencieux, plus intime en fait. Ce livre de Romain Gary avait été mentionné par Evelyne lors d'un atelier consacré à Romain Gary. Je fais une exception de le citer dans ce blog car Mylène nous a convaincues que ce texte l'avait quasiment envoûtée… Ludo, le narrateur tombe amoureux de la petite Lila à l'âge de dix ans. Le jeune garçon est recueilli par un oncle, son tuteur à la mort de ses parents. Cet oncle fabrique de merveilleux cerfs-volants, symboles d'audace, de poésie et de liberté. Le jeune Ludo ne va jamais oublier Lila et la retrouve en devenant secrétaire du comte polonais Bronicka, le père de la petite fille. La Guerre mondiale va séparer le jeune couple… Un très beau et grand roman de Romain Gary. Mylène a cité un deuxième coup de cœur, "Les Naufragés de l'île de Tromelin" d'Irène Frain, publié en 2010. Régine a beaucoup aimé "Entre deux mondes" d'Olivier Noreck, considéré comme un roman policier. Adam veut fuir son pays en guerre, la Syrie. Il envoie sa femme Nora et sa fille Maya à Calais pour les mettre à l'abri. Il les rejoindra plus tard mais, arrivé sur place, il ne les retrouve pas. Il découvre un monde hallucinant, un univers sans loi. Un autre personnage intervient dans ce lieu terrible, Bastien, policier nouvellement muté à Calais. Sa rencontre avec Adam va leur permettre de collaborer pour rechercher Nora et Maya.  Ce roman noir, fort et dérangeant est à découvrir sans tarder pour comprendre l'enfer de Calais, le drame des migrants et l'exil politique. Janelou a terminé la partie des coups de cœur avec un documentaire, "Le plancher de Joachim", écrit par Jacques-Olivier Boudon, publié dans la collection Folio Histoire. Dans un château, près d'Embrun dans les Hautes-Alpes, les nouveaux propriétaires lors de travaux découvrent, au revers des planchers, des inscriptions. Cent vingt ans plus tôt, au début des années 1880, un menuisier s'est confié. Il évoque ses angoisses, sa famille, ses voisins faisant revivre une société villageoise en pleine modernisation avec l'arrivée du chemin de fer. Il ose aussi parler de sexualité et des mœurs de son temps. Ce témoin involontaire ne savait pas qu'il serait lu un siècle plus tard.  Il est très rare de lire des confidences d'un humble charpentier. Cet ouvrage montre les états d'âme d'un ouvrier provençal à la fin du XIXe et j'imagine la joie des propriétaires qui ont découvert ce journal intime tracé sur des planches en bois. Voilà pour les coups de coeur, rendez-vous en novembre pour le deuxième atelier de la saison avec la rentrée littéraire. 

vendredi 11 octobre 2019

Atelier Lectures, 1

Nous avons repris l'atelier Lectures le premier mardi d'octobre. Quel plaisir de retrouver mes amies lectrices après trois mois d'interruption ! J'ai évoqué le programme des trois prochains rendez-vous et nous avons démarré les coups de cœur en respectant la tradition. J'ai précisé que je ne mentionnerai pas dans ce blog, les coups de cœur déjà évoqués dans les ateliers antérieurs. Geneviève a choisi un document très éclairant sur notre pays, "L'Archipel français" de Jérôme Fourquet. Le sociologue qualifie la France, d'archipel à cause d'une dislocation de notre attachement aux valeurs républicaines. Cette métamorphose se dessine sous nos yeux depuis quelques années. "La matrice catho-républicaine" a quasi disparu au profit d'une société nouvelle "archipelisée", multiculturelle, individualiste et anti-solidaire. Ce constat lucide, documenté, basé sur des statistiques fiables démontre le malaise actuel et annonce les crises contemporaines comme l'apparition des Gilets jaunes, la sécession des élites, les quartiers ghettoisés, l'abstention politique, la peur du réchauffement climatique, le terrorisme islamiste, etc. A lire pour comprendre notre monde. Odile a beaucoup aimé le premier roman de Joseph Pontus, "A la ligne", publié à la Table ronde. Un ouvrier intérimaire travaille dans les conserveries de poissons et dans les abattoirs bretons. Il décrit les gestes à la chaîne (à la ligne) en évoquant la répétition épuisante, la souffrance du corps. Mais, il a une autre vie, celle de la littérature. Il connaît les poèmes d'Apollinaire, les chansons de Trenet, les romans de Dumas. Sa femme aimée, son chien, la mer bretonne, lui apportent la force vitale pour supporter cette vie professionnelle plus que difficile. Un texte très touchant sur la condition ouvrière. Un écrivain est né, il faut le découvrir. Annette a lu avec son enthousiasme habituel, "La solitude Caravage" de Yannick Haenel. J'avais écrit un billet sur ce livre magnifique qui aborde la création artistique et l'écrivain prend comme modèle le peintre italien, Le Caravage, génie et maudit à la fois. L'auteur écrit : "A notre époque d'épaississement de la sensibilité, regarder la peinture nous remet en vie. On entre dans le feu des nuances, on accède à la vérité du détail. C'est une aventure des sens et une odyssée de l'esprit. Aimer un peintre comme le Caravage élargit notre vie". Cet ouvrage littéraire ne se lit pas comme un roman bien que la vie du peintre comporte des éléments romanesques, liés à la violence, à la fuite. Ce texte poétique et habité deviendra un classique sur le lien "art et littérature". Et comme ce peintre me fascine depuis toujours, cette publication ne pouvait que m'enchanter comme Annette. Véronique a lu avec plaisir, "La Maison russe" de Tania Sollogoub, publié à la Martinière. Katia décide de retourner dans la maison de son enfance. Elle veut se souvenir des échos d'une voix russe qui la hante, celle de sa grand-mère. Ce roman sensible a touché notre amie lectrice. La suite, lundi. 

jeudi 10 octobre 2019

Athènes, 9

Si j'ai choisi de revoir Egine, c'était pour une seule raison : revoir le temple d'Aphaïa, situé à une quinzaine de kilomètres du port. Cet édifice de style dorique du VIe siècle av. J.-C., est un des trois temples du triangle sacré avec le Parthénon et celui du cap Sounion. Ses frontons (métopes) sont conservés à la Glyptothèque de Munich. Installé au sommet d'une colline, face à la mer, ce sanctuaire servait déjà de lieu de culte à une déesse-mère comme le révèlent les statuettes mycéniennes trouvées sur place. J'étais seule (avec ma famille) dans cet espace extraordinaire, baigné de soleil avec la mer en face. Les Grecs ne choisissaient pas la localisation de leur temple au hasard. Ils aimaient la nature d'une beauté incroyable avec ses pinèdes, ses champs d'oliviers et cette mer en toile de fond… On a envie de croire en tous ces dieux dès que l'on se retrouve dans ce décor homérique. Selon la légende, Britomartis, nymphe crétoise, sœur d'Apollon, était très belle et poursuivie par les hommes. Elle préféra se jeter dans la mer pour leur échapper. Elle fut recueillie par un pêcheur qui lui aussi tomba amoureux d'elle. La nymphe demanda de l'aide à sa sœur qui la fit disparaître. Elle devint Aphaïa, l'invisible. Le temple serait construit à l'endroit de sa transformation. Je connais un certain nombre de temples que j'ai vus dans mes escapades et celui d'Egine me semble l'un des plus magiques à cause de son emplacement et comme Aphaïa, il a réussi à garder son mystère et son "invisibilité" car peu de touristes le connaissent... Tant mieux ! Deux autres rendez-vous m'attendaient sur l'île : le musée archéologique et la maison du sculpteur, Christos Kapralos. Je ne connaissais pas cet artiste grec (1909-1993) qui étudia la sculpture à Paris. Il était influencé par Bourdelle, Maillol et surtout par la sculpture grecque archaïque. Une femme gigantesque se tient en vigie sur la terrasse de sa demeure au bord de la mer. Puis, quelques unes de ses œuvres sont installées dans le jardin. Une gardienne nous a ouvert la maison où il vivait. J'ai découvert des sculptures en bois très originales, des peintures et des statuettes. Un artiste complet qui mériterait d'être plus connu. Je pouvais imaginer cet homme créatif dans cette maisonnette pleine de charme face à la mer qui devait l'inspirer. Une visite enchantée. Puis, avant de reprendre le ferry, j'ai revisité le musée du port d'Egine qui conserve l'ensemble des objets trouvés sur l'île : poteries mycéniennes, vases grecs, ustensiles du quotidien, statuettes, sphinx, statues en marbres, etc. Ce petit musée présente un panorama de l'art grec assez complet. J'ai repris le ferry après quelques achats sur le port : pistaches en sachet, friandises et macarons, encore des délices gourmands de l'île. Je me souviendrai longtemps de ce dessert d'anthologie de la veille : un yoghourt avec des pistaches marinées au citron ! Mon séjour s'est terminé à Athènes le jeudi après-midi avec une balade sur la promenade archéologique et une sortie restaurant dans un quartier proche de l'hôtel avec la douceur habituelle de la nuit athénienne. J'ai revu ce pays avec une tendresse particulière et j'ai éprouvé une nostalgie certaine en le quittant. Mais je sais qu'il me reste encore des lieux à découvrir comme Corfou, Rhodes, Chypre… La Grèce antique et celle d'aujourd'hui appartiennent à mon imaginaire, une imprégnation culturelle de longue date. 

mercredi 9 octobre 2019

Athènes, 8

Je devais partir mardi pour Egine après six jours à Athènes. Mais, la propriétaire de notre appartement nous a prévenus qu'une grève des transports allait paralyser la capitale… Il faut bien accepter les petites contrariétés des imprévus. Nous avons eu de la chance de pouvoir rester dans notre logement une nuit de plus. Le charme de l'âme grecque réside dans cette gentillesse et dans cette bienveillance. Le matin, une ligne de métro fonctionnait et j'ai atteint la Place Syntagma sans problème. Une ambiance différente régnait dans l'avenue du Parlement car aucune voiture ne roulait. Un silence inhabituel s'était installé dans le centre névralgique de la contestation. Puis, la foule des manifestants est arrivée, bonhomme, sympathique et joyeuse. J'ai même accompagné sur cent mètres les travailleurs du PAME (une organisation syndicale de gauche) qui m'ont accueillie dans leurs rangs avec des sourires complices. Quelle différence avec Paris ! Pas de jeunes enragés et violents, pas de CRS, tout s'est déroulé normalement. J'ai ressenti un sentiment de solidarité envers le peuple grec malmené avec ses 20% de chômage, ses salaires très bas et ses retraites misérables. Même si les Grecs ne sont pas des contribuables modèles, on voit bien que la situation économique ne frôle pas une bonne santé même s'il y a des progrès. Comme j'ai profité d'une journée supplémentaire, j'ai revisité le musée de l'Acropole en fin de journée : j'ai prononcé "kallispera" (bonsoir) à mes copains Kouroi et mes copines Koré, à ma déesse préférée, Athéna. J'ai admiré les métopes du Parthénon, les vases et les objets de ma Grèce antique. Le lendemain, le ferry nous embarquait dès 9h du matin pour une traversée d'une heure et quart du Pirée à Egine. J'ai vécu avec un plaisir fou cette escapade en mer car les mouettes suivent pendant un bon moment le bateau. Ce bal des mouettes égéennes me ravit toujours pour leur liberté, leur légèreté et leur vélocité incroyable. Egine se situe à une cinquantaine de kilomètres du Pirée et l'île aux pistaches n'est pas trop fréquentée des touristes. J'ai loué une voiture car l'hôtel se trouvait dans une petite station balnéaire, Agia Marina. Le garagiste un peu folklorique nous a confié les clés d'une voiture en état plus que moyen, mais elle roulait… La chambre de l'hôtel avait une vue magnifique sur la mer et une petite plage m'attendait pour une baignade dans une eau chaude. Quel plaisir de goûter l'eau salée, de nager vers l'horizon, de se retrouver quasi seule dans des vaguelettes toutes caressantes ! Thalassa, thalassa, j'attendais presque Poséidon apparaître devant moi ! Le soir, j'ai découvert un village sans charme particulier où les magasins de babioles diverses attendaient en vain les touristes. Il faut se méfier des stations balnéaires artificielles, vouées au tourisme d'amateurs de plages privées, appartenant aux hôtels. Je préfère les vrais petits ports de pêche, vivants et authentiques…  

lundi 7 octobre 2019

Athènes, 7

Lundi, j'ai retrouvé le chemin de la Bibliothèque d'Hadrien, de l'Agora romaine et de l'Agora grecque. Proche de la place Monastiraki, il ne reste pas grand chose de cette grande bibliothèque, construite en l'an 132 de notre ère par l'Empereur phihellène Hadrien. Seules, des colonnes, résistent au temps et l'on aperçoit dans un mur au fond d'une cour à péristyle des niches qui pouvaient contenir 20 000 rouleaux. Comme j'aime évidemment ces lieux de culture et du savoir, je ne pouvais pas passer devant ce site sans me recueillir devant cet espace spirituel. Une tribu Hérule au siècle suivant a détruit cet édifice et renaîtra autour du Ve siècle comme un nouveau centre civique. J'ai l'impression que dans cet époque-là, les bibliothèques semblaient plus que fragiles. L'Agora romaine se présente comme un large espace entourée d'arcades abritant des boutiques. Sur le côté, se dresse la Tour des Vents, du IIe siècle, construite par Andronicos et considérée comme une horloge hydraulique monumentale. Les hauts reliefs remarquables représentent les divinités des Vents qui ornent chacune de ses huit faces. Ce monument antique original est un "incontournable" de l'archéologie scientifique. Puis, après une pause "jus d'orange" savoureux dans un bar typique, j'ai pénétré dans l'Agora grecque, un des joyaux antiques d'Athènes. Place politique centrale de la ville, lieu de rendez-vous, place du marché, cet espace arboré immense, situé au pied de l'Acropole, m'a toujours plongée dans une rêverie temporelle délicieuse. Je m'imaginais les Grecs débattre dans le bouleutérion, un édifice où se réunissaient les citoyens. Les archéologues ont découvert ce site exceptionnel à la fin du XIX en traçant une ligne de chemin de fer. La Porte des Géants accueille les visiteurs et tout de suite, le temple d'Héphaïstos (- 449) apparait sous nos yeux, splendide, dans un état préservé et transformé en église chrétienne au VIIe siècle. Dans ce site, un musée très intéressant, la Stoa, présente les divers objets trouvés dans les fouilles. Après cette déambulation poétique et politique dans l'Agora, j'ai fini ma journée en retrouvant mon quartier de l'Acropole. J'ai encore éprouvé l'envie de revoir le Parthénon depuis l'Aeropage, un énorme monolithe de marbre gris bleu qui domine l'Agora. Les citoyens élus (150 archontes magistrats) se retrouvaient la nuit sur ce rocher pour débattre d'affaires de justice. Beaucoup de touristes escaladent ce lieu avec un irrespect total. Mégots sur le sol, bouteilles de bière, ambiance parfois musicale venant des smartphones, ils se prennent constamment en selfie… Et aucun gardien ne surveille cet espace pour régler ces incivilités. La vue panoramique est particulièrement époustouflante sur les monuments de l'Acropole et sur Athènes. Je pensais à tous ces lieux qui gardent pourtant leur magie, maltraités par ces visiteurs comment pourrait-on les qualifier ? des mal-éduqués... 

vendredi 4 octobre 2019

Athènes, 6

Dimanche, j'avais envie de voir la mer, le musée archéologique du Pirée et la Fondation Stavros Niarchos. J'ai donc pris un bus pour me rendre dans cette ville portuaire, un peu monstrueuse avec ses grues, ses ferries, ses raffineries de pétrole et son aspect industriel. Tous les échanges commerciaux et touristiques partent de là et en général, les voyageurs en partance pour les îles saroniques et les Cyclades transitent vers le port. Fondé en 1935, le musée vaut vraiment le détour. J'y suis allée pour rencontrer Apollon, un kouros archaïque de -520 environ et d'une hauteur de 1,92m, puis ma chère Athéna (2,35m) et deux Artémis. Provenant de Délos, elles devaient repartir peut-être pour décorer des villas romaines. Ces magnifiques statues en bronze furent découvertes dans un entrepôt du port en 1959. J'ai aussi remarqué la reconstitution d'un temple avec des stèles sur les Amazones, un des thèmes que les Grecs anciens illustraient beaucoup. Ce petit musée comporte aussi un amphithéâtre et de nombreuses tombes funéraires sculptées. Evidemment, cet espace muséal, peu connu des touristes, était quasi désert. De telles merveilles sans être gênée : une aubaine... Ensuite, ma deuxième visite de la matinée a été consacrée à un nouvelle fondation qui vient d'ouvrir : celle de Stavros Niarchos. Cet immense complexe culturel, inauguré en 2016, abrite la Bibliothèque Nationale et l'Opéra National. Véritable pied de nez à la crise économique, migratoire et européenne, les Athéniens plébiscitent ce lieu culturel avec ses deux institutions, une librairie, des cafés, un parc arboré, un canal traversant, une terrasse avec vue sur la mer et sur Athènes. Renzo Piano, l'architecte de Beaubourg, a réalisé un projet respectant les normes environnementales : "Nous célébrons l'idée que le pays doit souffler". J'ai surtout arpenté la Bibliothèque où les livres se dévoilent en toute transparence. Verre et béton s'harmonisent pour recevoir la clarté de la lumière, venue de ce beau ciel bleu sans nuages. De nombreuses familles déambulaient dans l'espace dans un respect silencieux. L'armateur grec a légué une partie de sa fortune à cette fondation pour promouvoir la culture. Pari réussi. Il fallait bien que je visite une bibliothèque dans mon séjour…  En revenant à Athènes, j'ai grimpé sur la colline des Muses où des panoramas uniques sur l'Acropole s'offraient à mes yeux éblouis. J'ai atteint le sommet à travers une pinède ombragée et je me suis retrouvée devant le monument de Philopappos. Plus bas, j'ai revu la prison (présumée) de Socrate. J'ai ramassé un brin d'olivier et une pomme de pin pour les emporter chez moi et pour me souvenir de ce sacré philosophe génial, j'ai placé cet objet "votif" dans ma bibliothèque. Cette civilisation grecque antique me met décidément dans un état second, proche d'une communion avec ce monde de mystères comme à Eleusis… Quel voyage dans le temps, un temps si lointain et si proche de nous ! 



jeudi 3 octobre 2019

Athènes, 5

Le samedi, j'ai réservé la matinée au rugby… Comme mes racines basco-béarnaises ressortent de temps en temps dans ma personnalité, j'ai voulu faire plaisir à ma fratrie, fan de ce sport si sympathique. Mon père, international de rugby, s'était illustré brillamment dans le jeu à 13 dans les années 50 à Carcassonne. J'ai donc baigné depuis mon enfance dans cette culture sportive si chaleureuse. C'était dommage de regarder le match sur une tablette… Alors, nous avons appris sur Internet que l'Institut français d'Athènes organisait la retransmission du match sur grand écran. Nous voilà donc à l'Institut, accueillis avec enthousiasme par Florence, une des responsables du lieu. Grecs et Français, nous avons vibré tout au long du match contre les Argentins. Cet intermède rugbystique s'est terminé avec des photos et des échanges d'adresse. J'ai revu ensuite la relève de la garde avec les  evzones, habillés dans la tradition avec leurs souliers à pompons devant le Parlement. La crise grecque a fait connaître la place Syntagma, cœur vibrant de la capitale, lieu de toutes les manifestations. J'ai consacré mon après-midi pour revoir deux musées près de la place dans le quartier de Kolonaki. Le musée Benaki présente des objets de la Grèce antique et des icones byzantines. On connaît mal la Grèce du XIXe et quelques salles racontent cette histoire où le pays s'est enfin débarrassé de la tutelle ottomane après quatre siècles de soumission. J'ai ensuite retrouvé avec plaisir le musée des Arts cycladiques, un de mes préférés à Athènes. J'ai eu la chance de voir une très belle exposition sur Picasso et l'Antiquité. Le peintre espagnol se ressourçait au sein des sculptures grecques et des statuettes votives en terre cuite. La mythologie l'intéressait tout particulièrement. J'ai traversé le quartier Monastiraki, toujours aussi cosmopolite, pour atteindre le site du Kéramikos.  J'ai terminé cette belle journée ensoleillé dans l'ancien cimetière antique qui a conservé un grand nombre de stèles dont les originaux sont conservés dans le musée attenant. Cet espace arboré comporte des allées plantées d'oliviers et de murets en ruine. Une atmosphère mélancolique et sereine règne dans ce lieu des souvenirs. Le musée présente un kouros magnifique, un sphynx, les stèles funéraires et des vases grecs trouvés sur place. Ce site archéologique est très peu fréquenté des touristes et c'est une ballade douce et agréable dans une belle lumière de fin de journée.



mercredi 2 octobre 2019

Athènes, 4

J'éprouve toujours une envie de solitude quand je croise de nombreux touristes en bandes organisés. J'ai trouvé un musée incroyable dans un quartier perdu d'Athènes, le parc militaire de Goudi : la Glyptothèque Nationale ! Ces espaces, des anciennes écuries royales, consacrés à la sculpture grecque moderne abritent aussi, dans un deuxième bâtiment, une partie de la collection de la Pinacothèque nationale, toujours en cours de rénovation depuis cinq ans. A l'intérieur et dans le parc, 150 œuvres représentent la création sculpturale grecque du XIXe et du XXe.  Dans la salle, pas un quidam en vue. La petite bande de Français que je formais avec ma famille occupait la salle en toute liberté. Le musée présentait de très belles sculptures d'artistes grecs et dans cette collection, j'ai admiré un Magritte insolite baptisé le Thérapeute avec une cage d'oiseaux à la place de sa tête, un Bourdelle et un Rodin. La collection de peintures présentait un très beau El Greco, des icones crétoises, des peintres impressionnistes grecs dont Parthenis que je découvrais avec plaisir. Nos connaissances artistiques tournent souvent autour des artistes les plus célèbres et pourtant, des peintres de tous les pays du monde mériteraient plus d'attention de notre part. Cette visite originale m'a permis d'apprécier un aspect de l'art moderne et m'a sortie de mes obsessions antiques. J'ai déjeuné dans un restaurant adorable, installé dans une ancienne école primaire, situé dans le quartier Exarchia, réputé pour son agitation à cause de la présence de milliers d'étudiants. Sous une tonnelle, des tables simples et des chaises dépareillées occupent l'ancienne cour de l'école. Nous avons choisi un menu grec : des légumes grillés à la feta et des brochettes d'agneau, un régal pour nos papilles. Il fallait bien reprendre des forces pour arpenter le Musée épigraphique et le Musée archéologique national. Une averse rare et soudaine a fait son apparition mais elle a duré dix minutes… Le soleil a vite retrouvé sa place royale dans ce si beau ciel bleu de la Grèce. Encore personne au musée de l'épigraphie, consacré à l'écriture grecque ancienne. Seuls, les étudiants et les hellénistes doivent fréquenter ce lieu pourtant très intéressant. Je suis toujours émue quand je vois ces traces de la pensée humaine. Beaucoup de lois et de décrets étaient gravés sur la pierre et le bronze. Des tablettes en terre cuite montraient les premiers signes de l'écriture grecque. Mon apprentissage du grec ancien m'a bien aidée à apprécier ce musée. Juste à côté de ce petit musée secret, le plus prestigieux des musées du monde dans le domaine de l'art grec s'offre à mes yeux toujours éblouis. Dans ce lieu "sacré", construit à la fin du XIXe siècle, 20 000 objets présentent tous les aspects de l'art antique : koré et kouroi aux sourires extatiques, idoles cycladiques mystérieuses, bas-reliefs funéraires sublimes de tendresse, sculptures en bronze des dieux, fresques de Santorin, vases grecs mycéniens, corinthiens, bijoux, ustensiles de la vie quotidienne, jouets, armes, etc. Cette plongée dans l'univers de la Grèce antique ne cesse de me fasciner… Une contagion intellectuelle dont je ne veux pas guérir ! Et en plus, on peut déambuler sans problème dans les nombreuses salles de ce musée exceptionnel et incontournable quand on visite Athènes. 

mardi 1 octobre 2019

Athènes, 3

Au milieu du fatras urbain, les colonnes de l'Olympiéion, le temple d'Hadrien, se dressent comme des phares culturels. Il ne reste que quinze colonnes corinthiennes, chacune haute de 17 m de haut et de 2, 6 m de diamètre et pesant 364 tonnes… J'aime me balader dans ce site, peu visité mais fascinant si on reconstruit par la pensée son gigantisme. Une colonne s'étale sur le sol, victime d'une tempête en 1852. L'empereur Hadrien dédia le temple à Zeus et toutes les statues ont disparu à l'époque byzantine. Sa construction a commencé en - 515 et s'est terminée sous l'égide de l'empereur romain en 129 ap. J.-C., quelques siècles pour parachever ce temple déjà jugé surdimensionné à l'époque. Ces ruines antiques portent en elle une trace d'Hadrien et j'ai évidemment songé au roman de Marguerite Yourcenar, "Les Mémoires d'Hadrien". La littérature m'apporte cette dimension romanesque qui donne une aura particulière au site archéologique. En fin de journée, j'ai visité l'indispensable musée de l'Acropole qui abrite tous les objets provenant des monuments de l'Acropole : bas-reliefs, statues, céramiques allant de la Préhistoire à l'Antiquité tardive. Quelques chiffres montrent l'importance du bâtiment : 130 millions d'euros, 16 000 m², 4390 m² de plaques de verre, 25 000 m² de surface dont 14 000 m² d'exposition. Inauguré en 2009, il reçoit 10 000 visiteurs par jour. Construit sur pilotis, le musée intègre au sous-sol un site archéologique d'une ville du IVe siècle. Dès que je suis montée vers le premier étage, j'ai admiré les vases et diverses statuettes des périodes mycénienne, géométrique, archaïque et sévère. Le premier étage est consacré à l'Erechthéion et surtout à ces Caryatides. Les statues des koré et des kouroi, toujours aussi magnifiques, révèlent encore les caractéristiques de la beauté grecque dans sa perfection. Je ne me lasserai jamais de les revoir, de les contempler "in vivo"... Les frises et les métopes du Parthénon et du temple d'Athéna Niké sont présentés dans une scénographie pédagogique remarquable. Ce musée n'attire qu'un million de visiteurs… Où sont passés les trente millions de touristes de l'Acropole ? Bizarre quand même. Les vrais trésors se trouvent dans ce temple moderne, transparent, lumineux où l'intérieur et l'extérieur se fondent en une seule unité spatiale. Pendant mon séjour, j'ai eu la chance de le visiter à deux reprises pour m'imprégner de l'art grec. J'aime tout particulièrement une stèle un peu à l'écart d'une dimension modeste qui représente Athéna (toujours elle) dans une attitude songeuse. Cette image de marbre dégage une attitude philosophique de doute, d'intimité, une image unique de cette femme guerrière. Pour visiter un lieu aussi riche, il faut lire les guides culturels et aussi, consulter Wikipédia sur son téléphone qui énumère les chefs d'œuvre à ne surtout pas rater. Un musée capital à voir au moins une fois dans sa vie si on aime le monde de l'art...