mercredi 28 décembre 2016

"Eloge de la lecture et des livres"

J'ai réfléchi sur la teneur de ce dernier billet de l'année : une critique de roman, de film, une rubrique musique, un compte-rendu d'atelier ou de voyage ? J'ai fouillé ma bibliothèque et j'ai trouvé deux petits volumes charmants dans la collection "Le petit Mercure" dont les titres commencent toujours par "Le goût de...". J'aime les petits formats et tous les amateurs(trices) d'escapades européennes connaissent la série sur les villes et les pays du monde entier. Mais, l'éditeur Mercure de France a ajouté une thématique éclectique avec le goût du café, des chats, de la forêt, de la nostalgie, du rêve, du rugby, et. Au total, une centaine de titres existe pour tous les goûts et pour toutes les couleurs, des anthologies de textes courts, extraits de romans et d'essais... J'ai remarqué dans la collection, deux titres exceptionnels à mes yeux de passionnée des livres : "Le goût des livres" et "Le goût de la lecture". Le premier volume rend hommage aux professionnels du livre ( les éditeurs, les libraires) et aux amateurs éclairés (bibliophiles, bibliomanes, bouquinistes). L'ouvrage est composé de trois chapitres : grandeur du livre, du fétichisme des volumes, bibliofolies et autres bizarreries. De Charles Nodier à Paul Valéry, de Gustave Flaubert à François Bon, les textes célèbrent la passion de ces objets de papier qui ne quitte jamais les grands lecteurs(trices). Dans l'introduction, l'auteur-concepteur du volume, écrit : "Les livres donnent corps, matériellement, à ce qui a pu nous instruire, nous enchanter, nous surprendre, ils portent en eux la trace de ce que nous sommes, ils nous ont donné nos plus belles heures, ils nous ont aidés à peaufiner nos idées, à mieux penser." Les livres prennent vie avec les lecteurs(trices) et le deuxième volume, "Le goût de la lecture", donne la parole aux écrivains qui, sans lire, ne peuvent écrire. L'éloge de la lecture se loge dans de très nombreux textes littéraires et je ne peux pas citer tous les auteurs convoqués dans l'anthologie. J'ai retenu Alberto Manguel, Georges Perec, Pierre Dumayet et surtout un écrivain peu connu en France, Robert Lalonde du Québec. Je lui laisse la parole pour une définition de la lecture : "Est-ce encore moi que je revois, adolescent encagé, en qui ça a commencé d'exploser, au ralenti, petit être insignifiant mais emporté déjà dans une universalité sans limites, loin de cet empêchement généralisé dont les autres ont tristement l'air de s'arranger, comme on survit à un deuil ou à un exil. Les livres que j'ai lus - les bons, les donneurs de fièvre, les bousculants, les essouflants m'ont bien davantage sauvés que ceux que j'ai écrits." Pour ce dernier billet plus long que d'habitude, je tenais à rappeler l'objectif de ce blog : transmettre l'amour des livres et de la lecture... 

lundi 26 décembre 2016

Philosophie magazine

Le dernier numéro de l'année de "Philosophie magazine" a choisi un sujet contemporain : "Suis-je l'auteur de ma vie ? ou comment reprendre en main son existence". Le texte introductif du dossier central expose la question : "Désenchaînés des traditions, nous sommes nombreux à tenter de creuser la distance avec les conformismes pour nous forger une existence qui nous ressemble vraiment." "Etre l'auteur de sa vie" peut sembler paradoxal mais c' est une formule séduisante et intimiste. La revue a choisi quatre philosophes pour illustrer ce thème : Michel Foucault, Paul Ricoeur, François Jullien et Peter Sloterdijk. "S'inventer, se raconter, se laisser être", ces verbes façonnent ce nouvel art de vivre. Le dossier central propose des portraits d'inconnus ayant choisi une nouvelle vie, des textes sur la pensée des philosophes invités et des références bibliographiques. La revue de décembre/janvier offre aussi une enquête très instructive sur l'idéologie du nouveau FN : "Dans la tête de Marine Le Pen". Un entretien avec Michael Tomasello nous éclaire sur l'espèce humaine et son don de communication : "Seul, l'homme a la capacité de partager son attention". Philosophie magazine détient une très bonne tradition en nous présentant en fin de pages un classique revisité et ce mois-ci, j'ai découvert avec plaisir le grand, l'immense Epicure. Un petit cahier détachable nous permet de constituer une petite bibliothèque portative, constituée de tous les philosophes célèbres. Jean-François Balaudé, spécialiste de l'Antiquité et traducteur d'Epicure, préface la "Lettre à Ménécée" et nous aide à comprendre Epicure. Né en 341 av. J.C. à Samos, il fonde à Athènes,  le Jardin en 306 av. J.C. Il prône la discipline pour atteindre l'harmonie, recommande de ne craindre ni les dieux, ni la mort. Marcel Conche résume la pensée d'Epicure : "Cette liberté est une des quatre conditions du bonheur avec le rejet de la crainte de la mort, la  régulation des désirs et la capacité d'endurer la douleur." Ce philosophe grec aimait la sobriété et basait sa vie sur l'amitié. Lire cette revue stimule l'envie de découvrir des philosophes, des idées nouvelles, des concepts singuliers. La philosophie grâce aux livres, aux cours et à cette revue, ne s'apparente pas à un univers opaque et incompréhensible. Bien au contraire, elle se comprend, se dévoile, s'éclaire et s'appréhende sans peine. Des Grecs aux Modernes, le monde chatoyant de la pensée philosophique est ouvert à tous, petits randonneurs ou alpinistes confirmés car  tous les sommets sont accessibles en prenant le chemin adéquat...

jeudi 22 décembre 2016

Rubrique cinéma

Le film, "Manchester by the sea" du réalisateur, Kenneth Lonergan, passe en ce moment à l'Astrée et bien que son sujet n'a rien de festif, il mérite notre attention. Dès les premières images, le personnage central, Lee Chandler, un jeune homme taciturne et peu sympathique, travaille comme homme à tout faire dans un grand ensemble. Il semble désespéré, déprimé, et son travail le laisse indifférent. Il fréquente des bars pour s'alcooliser et ne craint pas de jouer les durs à coups de poing. Cet homme étrange, bourru et solitaire cache un drame terrible : ses trois enfants ont péri dans un incendie, provoquée par un feu de cheminée alors que leur père, Lee, était parti à la superette acheter des bières. Cette révélation explique son comportement suicidaire, son sentiment de culpabilité car il a tout perdu dans un moment stupide, peu après une fête arrosée entre copains. Quelques mois après le drame, Lee, séparé de sa femme qui ne lui pardonne pas sa négligence, affronte la mort subite de son frère aîné. Ce frère, pêcheur de métier, lui laisse en héritage, la tutelle de son neveu. Les retrouvailles inattendues de Lee et de son neveu forment la trame principale de ce film intimiste. Comment revenir dans cette communauté qui le rejette pour son acte ? Comment apprendre à cohabiter avec un adolescent en deuil, partagé entre son désir de vivre et la perte de son père ? Lee va devoir composer un rôle d'adulte référent, supportant avec patience les conquêtes féminines de son neveu et ses copains envahissants. La relation oncle-neveu ne semble pas harmonieuse et se déroule dans un conflit permanent. Ces deux hommes en crise, (le jeune homme, grisé par la vie et son oncle, brisé par sa tragédie), vont finir par trouver un terrain d'entente mais je ne dévoilerai pas la fin de ce film grave et profond sur la perte et sur le deuil. Comment se remettre de ce chaos psychique ? Lee trouve une réponse timide dans le retour de la responsabilité en tant que tuteur. Les paysages océaniques et la présence de la musique classique accentuent la beauté de ce film sensible et émouvant.

mercredi 21 décembre 2016

"Laëtitia"

Un fait divers horrible a défrayé les chroniques journalistiques en janvier 2011. Laëtitia Perrais est morte, assassinée par un jeune homme brutal, drogué et sans domicile fixe. Le sociologue, Ivan Jablonka, consacre un livre-événement sur ce crime odieux. Son documentaire a obtenu le prix Médicis cette année et la critique littéraire a associé ce projet sociologique à une œuvre littéraire. Sociologie et littérature se retrouvent chez Annie Ernaux pour l'ensemble de ses écrits, chez Perec (Les Choses) sans oublier le roman reportage de Truman Capote avec "Sang froid". La vie de Laëtitia, avant son assassinat, est déjà parsemée de difficultés. Avec sa sœur jumelle, Jessica, Laëtitia vit dans un contexte familial éclaté, entre un père en séjour carcéral et une mère en dépression permanente. Elles sont placées dans une famille de parents d'accueil, gérée par le Conseil général. Leur séjour chez les "Patron" s'avère bénéfique pour toutes les deux, totalement déstructurées dans leur enfance malheureuse. A dix huit ans, les deux sœurs prennent des chemins différents dans leur scolarité un peu chaotique. Mais, Laëtitia commence à sortir avec des garçons et finira par croiser son meurtrier. Jessica, de son côté, a essayé de dénoncer le comportement de son père adoptif qui lui a fait subir des attouchements sexuels jusqu'au viol. Yvan Jablonka apporte un éclairage de sociologue sur cette jeunesse perdue et assassinée par la violence masculine. Le récit alterne des chapitres sur la vie de Laetitia dans tous ces aspects, sur l'enquête judiciaire où un certain Président français en fait une affaire d'état, sur l'environnement social, politique et historique de la région vendéenne. Dans un article du journal Le Monde, Ivan Jablonka explique sa démarche d'historien : "Je suis un humain parmi les humains, je suis un enquêteur qui va et vient entre le présent et les passés. (...) J'ai écrit comme un chercheur et comme un écrivain, mais aussi comme le père de trois filles, comme un citoyen soucieux de l'état de notre société, et aussi comme un homme. Je le dis au sens masculin, car les violences qu'ont subies Laëtitia, sa sœur, leur mère, il faut les regarder en face, collectivement." Ce récit de vie et de mort intègre beaucoup de témoignages recueillis chez tous les protagonistes de cet meurtre sordide. La petite Laëtitia est devenue notre petite sœur, une adolescente rayonnante et qui ne cherchait qu'à vivre. Un barbare inhumain a décidé que cette vie n'avait aucune importance...

lundi 19 décembre 2016

Les vingt meilleurs livres de l'année

La revue littéraire Lire du mois de décembre offre à ses lecteurs, la traditionnelle liste des 20 meilleurs livres de l'année 2016. Cette sélection me semble pertinente et met en valeur quelques titres importants à ne pas oublier dès que nous basculerons en 2017. A mon plus grand plaisir, la revue a choisi à l'unanimité, le roman formidable d'Elena Ferrante, "Le nouveau nom" qui a ensoleillé mon été en même temps qu'Hélios, (le dieu Soleil chez les Grecs anciens). La saga napolitaine démarre avec "L'amie prodigieuse", parue en Folio, suivie du "Nouveau nom". Le lecteur(trice)  devrait se précipiter dans les librairies pour l'offrir à Noël... J'attends le mois de janvier avec impatience pour lire le troisième tome de cette suite romanesque. Dans la catégorie des romans français, la revue a choisi Serge Joncour, "Repose-toi sur moi", un livre déjà très bien reçu cet automne. Richard Flanagan avec sa "route étroite vers le Nord lointain" a été élu le meilleur livre étranger où "le souffle de l'auteur emporte tout sur son passage". Dans la catégorie "Enquête", le récit bouleversant de Ivan Jablonka sur le meurtre atroce de  "Laëtitia" a emporté la distinction. Dans cette liste prometteuse de bonnes lectures, j'ai remarqué les ouvrages de Marie Darrieussecq ("Ecrire est une splendeur ou la vie de Paula M. Becker), celui de Négar Djavadi ("Désorientale"), premier roman français, la biographie de Simon Leys écrite par Philippe Paquet. Ce serait trop long de citer tous les récompensés par la revue dans les catégories BD, Jeunesse, Histoire, Polar, etc. Les finalistes sont notés en bas de page et même s'ils ne figurent pas au sommet, ils méritent toute notre attention bienveillante. La revue propose aussi un guide de beaux ouvrages d'art à offrir pendant les Fêtes. L'émission de François Busnel, "La grande librairie", est mise à l'honneur avec un reportage qui révèle l'enthousiasme et la camaraderie de l'équipe. J'apprends qu'une moyenne de 300 000 spectateurs suit la Grande Librairie. Cette audience de quelques centaines de milliers de lecteurs me rassure  sur l'extinction annoncée des amoureux des livres et de la littérature. Nous sommes encore nombreux (même si un match de football ou une émission de variétés en attirent des millions). La belle communauté de "croyants en littérature"  n'a pas besoin de la télévision pour se retrouver dans les librairies et dans les bibliothèques même si la Grande Librairie médiatise avec intelligence les écrivains d'aujourd'hui...

vendredi 16 décembre 2016

"L'Incandescente"

Claudie Hunzinger n'est pas très connue dans l'Olympe littéraire, mais son dernier roman, "L'incandescente", paru chez Grasset, révèle un vrai talent de conteuse espiègle. La narratrice rend un hommage émouvant à une amie de sa mère, Marcelle, grâce à la découverte de carnets et de lettres qu'elles se sont échangées pendant leur jeunesse. De cette amitié amoureuse née dans le début du XXe siècle, l'écrivaine, fille d'Emma, l'exploite avec une fraîcheur et une audace toute contemporaine. Marcelle écrit son amour fou pour Emma qui se met en retrait dans la relation. Les deux jeunes filles se rencontrent dans un mariage et vont se retrouver à l'Ecole Normale de Dijon pour devenir institutrices : "Et ça, c'était la promesse de quitter enfin leur village, leur "pays" comme elles disaient, d'élargir leur horizon derrière des murs, de s'y armer d'instruction, elles, des filles, et de conquérir leurs amours et leur lumière." Marcelle est nommée institutrice en maternelle et ces moments partagés dans l'école scellent leur relation amoureuse. Emma lui demande de ne pas l'oublier et de lui envoyer des messages : "Marcelle lui écrivait. Lui écrire, c'était l'aimer : je vous aime et j'ignore si c'est masculin ou féminin, c'est de vous que je brûle." Bien que séparées par leur travail, elles poursuivent leur relation épistolaire qui ne les empêchent pas d'avoir d'autres amours dans leur vie. Emma se marie avec Marcel et va donner naissance à sept enfants dont l'auteur qui parsème son texte de souvenirs de sa propre enfance. Marcelle va contracter la tuberculose, ce qui était fréquent à cette époque-là. Elle part se soigner dans un sanatorium où elle vit en huis clos avec des camarades atteintes comme elle, de cette maladie éprouvante et mortelle. Marcelle survit et part pour Briançon. La vie va les séparer mais elles continueront à s'écrire et à s'aimer. Ce beau roman "incandescent" est écrit avec un bonheur d'écriture assez rare dans la littérature d'aujourd'hui. Je cite une critique vue dans Page : "L'auteure est une conteuse hors pair, elle vous capte, vous embarque, ne vous lâche plus. Jamais de redondance, tout sautille, tout vibre." Un livre émouvant sur l'émancipation des femmes et sur la liberté d'aimer.

mardi 13 décembre 2016

"L'insouciance"

Dès que j'ai ouvert "L'insouciance" de Karine Tuil, je ne l'ai plus quitté... Ce roman avec son souffle romanesque emporte le lecteur(trice) dans les méandres tempétueux des trois personnages principaux. Quelques romanciers d'aujourd'hui ont conservé un héritage précieux : raconter une histoire palpitante, contemporaine, politique et psychologique. Karine Tuil a choisi trois figures significatives de notre société : un lieutenant, Romain, revenu d'Afghanistan, un patron juif, François, accusé de racisme et Osman, un fils d'immigrés ivoiriens, conseiller du Président de la République. Le militaire a vécu une attaque traumatisante sur le terrain afghan et les séquelles post-traumatiques le perturbent dans sa vie de couple. Il se détourne de sa famille et tombe fou amoureux d'une journaliste, Marion qui le rencontre à Chypre, une étape thérapeutique pour les soldats français. Cette journaliste est mariée à François Vely, un capitaine d'industrie dans la téléphonie. Cet industriel richissime soupçonne sa jeune femme de le tromper avec ce militaire modeste et ravagé par la guerre. Il nie ses origines juives et se retrouve malgré lui dans une histoire familiale mouvementée car son fils devient un religieux fervent. Il est aussi soupçonné de racisme anti-noir à cause d'une photo people où il s'assoie sur une sculpture représentant une femme noire. Osman, lui aussi est en crise. Il démissionne de son poste après avoir commis un mouvement d'humeur quand un conseiller du président lui demandait comment il vivait ses origines d'immigré africain. Karine Tuil leur donne la parole simultanément et des évènements se télescopent car les trois personnages se retrouvent confrontés à leurs origines sociales, ethniques et culturelles. Je ne dévoilerai pas l'accélération du récit dans la dernière partie quand les trois hommes se retrouvent dans un pays du Proche-Orient et l'un d'entre eux est enlevé par un groupe armé... Je regrette que ce roman n'ait pas obtenu un prix littéraire car le thème de l'identité percute notre société et produit des tensions évidentes. Une écriture fiévreuse, un sujet sensible, des personnages en crise, des amours difficiles, une société "intranquille", tous ces ingrédients composent un très bon roman, l'un des meilleurs de cette rentrée.

lundi 12 décembre 2016

Jeudi des Livres, 3

Quand Danièle a proposé le thème de l'enfance, j'ai tout de suite pensé à Georges Perec et à son "W ou le souvenir d'enfance". Cet ouvrage, paru en 1975 chez Denoël, se compose de deux récits : une autobiographie et une utopie. L'autobiographie fragmentaire concerne l'enfance de Georges Perec, enfant de la guerre, enfant juif recueilli par sa famille paternelle à Villard de Lans, dans le Vercors. L'écrivain, alors âgé de trente neuf ans, raconte cette vie d'enfant qu'il essaie de revivre en sondant sa mémoire hésitante. Ses parents, d'origine juive polonaise, ont disparu : le père de Georges est mort à la guerre en 1940,  sa mère a été arrêtée et déportée à Auschwitz en 1943. Elle n'est jamais revenue du camp. L'écrivain mène une enquête sur cette enfance chaotique, solitaire et unique. Il fouille son moi profond pour retrouver les traces de ses parents, disparus à tout jamais. Sa quête désespérante de son enfance devient le socle fondateur pour comprendre ce malheur intégral. Il justifie sa démarche d'écrivain avec ces mots : "J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie." L'hommage émouvant de Perec à ses parents se devine sans cesse d'une phrase à l'autre. Pour apprécier ce roman autobiographique, il faut quelques clés pour comprendre le deuxième texte, une description d'un île utopiste, basée sur l'idéal sportif qui, au fur et à mesure, se transforme en cité totalitaire qui rappelle le nazisme. L'alternance des deux textes équilibre l'attention du lecteur avec, d'un côté, une émotion profonde en écoutant la voix de l'adulte sur son enfance perdue et, de l'autre, une réflexion sur un modèle de société idéale, dangereusement idéale. Georges Perec éclaire son projet d'écriture en opposant les deux textes qui forment la structure du livre : "Car il commence par raconter une histoire, et d'un seul coup, se lance dans un autre : dans cette rupture, cette cassure (...) se trouve le lieu initial d'où est sorti ce livre , ces points de suspension auxquels se sont accrochés les fils rompus de l'enfance et la trame de l'écriture." Ce livre fait partie des grands classiques du XXe siècle et Georges Perec, hélas, disparu à 46 ans d'un cancer des poumons, devrait être publié dans la Pléiade où il a toute sa place aux côtés de Kundera, Duras, et bien d'autres contemporains...  

vendredi 9 décembre 2016

Jeudi des livres, 2

Le sujet de ce jeudi des livres, l'enfance,  avait été proposé en novembre par Danièle. L'enfance peut se décliner de divers adjectifs : heureuse ou malheureuse, épanouissante ou traumatisante, rêvée ou vécue, fantasmée ou réelle, etc. Tous les lecteurs (et lectrices, surtout) de ma génération se souviennent du "Petit Chose" d'Alphonse Daudet, de "Vipère au poing" d'Hervé Bazin, de la saga de Pagnol, des "Grandes espérances" de Dickens, des "Misérables" de Hugo. Cosette fait partie de notre patrimoine culturel national et ce prénom est devenu un adjectif symbolisant l'enfance malheureuse. Comme nous étions peu nombreuses, cinq titres incontournables sur l'enfance ont été commentés. Danièle a beaucoup aimé "Enfance" de Nathalie Sarraute. Ce récit autobiographique, paru en 1983, relate comme le titre l'indique, l'enfance de l'écrivaine, alors âgée de 83 ans sous la forme d'un dialogue entre elle et cet enfant sur " quelques moments, quelques mouvements encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs (...) ouatées qui se défont et disparaissent avec l'enfance". Entre Paris et la Russie, la Suisse et Saint-Pétersbourg, Cette petite fille devenue une immense écrivaine s'interroge sur les souvenirs enfouis et ressurgissant dans la mémoire quatre vingt ans après. Ce magnifique texte sur l'enfance se lit et se relit avec une admiration évidente pour Nathalie Sarraute, exploratrice des tropismes, "ces petits mouvements indéfinissables qui glissent trop rapidement dans notre conscience". Danièle a aussi présenté le texte de Georges Perec, "W ou le souvenir d'enfance", qui mérite un billet à lui seul. Geneviève a lu un grand classique de la littérature française, "L'enfant" de Jules Vallès. Ce récit autobiographique dénonce avec véhémence les violences de sa mère sadique, d'un père ambitieux et indifférent, de l'école-caserne. Le narrateur raconte ces malheurs avec un humour ironique salutaire... Un classique à lire ou à redécouvrir.  Dany a beaucoup aimé "Sang impur" de Hugo Hamilton, paru en 2004, un roman autobiographique où il raconte son enfance à Dublin dans les années 60. La suite, lundi...

jeudi 8 décembre 2016

Jeudi des Livres, 1

Cet après-midi, nous nous sommes comptées sur les doigts d'une seule main pour le rendez-vous de décembre, le dernier de l'année. Cette hécatombe, (sept absentes quand même) pour ce jeudi des livres avec des "congés maladie", avec une panne de chauffage et des missions de grands-mères, ne m'a pas découragée car ces retrouvailles autour des livres se sont fort bien déroulées même en petit comité. Les coups de cœur ont démarré avec Danièle qui a évoqué un roman de Victoria Hislop, "L'île des oubliés", paru en 2005. L'héroïne, Alexis, découvre le passé de son arrière grand-mère sur une île crétoise, refuge d'une colonie de lépreux au début du XXe siècle. Ce livre-plaidoyer contre l'exclusion a touché de très nombreuses lectrices. Danièle, ayant effectué un voyage-randonnée au Cap-Vert, a lu " Cap-Vert, Notes atlantiques" de Jean-Yves Loude, écrit en 2002, un récit très intéressant de textes courts sur les dix îles qui forment cet archipel. Véronique a découvert le roman de Catherine Locarno, "L'enfant de Calabre". Ce roman-enquête pose le problème des secrets de famille avec un père mystérieux et adultère... Dany, bien que grippée, m'a envoyé ses coups de cœur et elle a particulièrement apprécié le livre de Valérie Zénatti, "Jacob, Jacob", prix du Livre Inter en 2015. L'écrivaine rend hommage à son grand-oncle Jacob, natif de Constantine, mort à 19 ans sur le front alsacien en 1944. Dany nous conseille aussi le roman de Jim Fergus, "La vengeance des mères". En 1875, un chef cheyenne, Little Wolf, propose au président Grant d'échanger mille chevaux contre mille femmes blanches pour les marier à ses guerriers afin de favoriser l'intégration... Demain, je consacrerai un deuxième billet sur le thème de l'enfance qui avait été choisi par Danièle. Ce petit cercle de lectrices a tout de même donné des grands coups de cœur... La lecture demeure et demeurera un plaisir partagé. Et je continuerai à me promener sur le chemin des livres tant que l'on se retrouvera au minimum à deux, à trois et au groupe entier...

mercredi 7 décembre 2016

Michel de Montaigne, 2

Michel de Montaigne compose ses Essais en s'appuyant sur ses lectures innombrables car, avant d'écrire, il a lu, beaucoup lu les auteurs latins et grecs en particulier. Cet immense lecteur a même consacré un chapitre aux livres (Livre II, chapitre 10) : "Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par un honneste amusement ; ou si j'estudie,  je n'y cherche que la science qui traicte de la connoissance de moy mesmes, et qui m'instruise à bien mourir et à bien vivre." Il raconte dans ce chapitre, ses manières de lire en utilisant le terme "primesautier", ses préférences littéraires, ses poètes de prédilection comme Virgile, Horace, Lucrèce, ses historiens (Plutarque en particulier) et ses philosophes (Sénèque au sommet de ses choix). La table des matières des Essais résume à elle seule l'éclectisme de son œuvre "fourre-tout" : de la tristesse à l'oisiveté, de la solitude à la liberté de conscience, des menteurs aux cannibales, du dormir au démentir... Au menu de son œuvre unique et singulière, le lecteur peut saisir un sujet à sa guise sans suivre l'ordre des chapitres. Il est même conseillé de "picorer" une phrase, un extrait, une page, un chapitre pour approcher cet homme sage, sceptique, tolérant et honnête. Notre professeur a choisi les chapitres sur les boiteux, sur l'amitié avec Etienne de La Boétie qu'il nous a présenté en lisant à haute voix les extraits significatifs. Ce cours de l'Université populaire savoisienne a permis à ces nombreux participants de découvrir ou re-découvrir cet écrivain-philosophe avec plus de facilité. Avant de pénétrer dans ce labyrinthe de mots provenant du XVIe siècle, il faut aussi se nourrir de quelques ouvrages sur Montaigne dont ceux d'Antoine Compagnon ("Un été avec Montaigne") et de Sarah Bakewell ("Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse"). Je conseille aussi le "Montaigne" de Stefan Zweig, une biographie merveilleuse, car Zweig avait rencontré un "frère" dans ces temps horribles du nazisme. La liberté intérieure de Montaigne est le leitmotiv du livre et je termine cette modeste évocation de Montaigne en citant Stefan Zweig : "Celui qui pense librement pour lui-même honore toute liberté sur terre"... Montaigne, Stefan Zweig, le même combat pour la liberté de penser...

mardi 6 décembre 2016

Michel de Montaigne, 1

Depuis un mois, j'assiste aux cours de Daniel, mon professeur de philosophie, sur Montaigne. J'avais lu Montaigne trop tôt et il vaut mieux redécouvrir cet écrivain plus tard, comme Marcel Proust et d'autres classiques. La maturité apporte un nouveau regard sur les œuvres littéraires. Je le vérifie tous les lundis avec ce Montaigne commenté, décortiqué, disséqué et expliqué. La stimulation intellectuelle se réactive au contact d'un médiateur littéraire et dès que j'ai ouvert la pléiade de Montaigne, je me suis retrouvée au XVIe siècle. Les six cours de deux heures s'articulent sur la connaissance de ce siècle extraordinaire (le vrai siècle des Lumières, d'après notre professeur) : la Renaissance. Imaginons cette effervescence : les découvertes scientifiques, l'invention de l'imprimerie, le Nouveau Monde, l'homme au cœur de la société, la Réforme, le génie italien, la langue française, en un mot, la naissance de l'humanisme. Montaigne, notre Gascon des Lettres, naît en 1533 dans ce foisonnement artistique, intellectuel et politique. Il est élevé dans le château de Montaigne dont il prendra le nom. Son père l'éduque au latin dès son jeune âge et ce jeune homme, imprégné de lectures antiques, va occuper un poste de jurat dans la mairie de Bordeaux. Il rencontre l'ami de sa vie, Etienne de la Boétie, une relation d'admiration réciproque selon Montaigne. Il assiste aux événements sanglants de la guerre des religions entre Huguenots et catholiques. Avant de composer les Essais, Montaigne voyage à travers l'Europe, se marie, conçoit des enfants qui ne survivront pas. En 1571, il se retire dans sa tour d'ivoire, sa bibliothèque où il fait inscrire sur une des poutres : "Puisse le destin lui permettre de parfaire cette habitation, des douces retraites de ses ancêtres qu'l a consacrées à sa liberté, à sa tranquillité, à ses loisirs...". Et il écrit une sorte de journal intime, philosophique, historique, ethnologique, etc. Son projet d'écriture est le premier du genre dans l'histoire littéraire. Il n'est pas facile de le lire dans son texte d'origine car son français de l'époque est assez loin du nôtre, mais, je préfère le savourer dans cette langue râpeuse, imagée, bigarrée à l'orthographe fantaisiste et à la grammaire latinisée. La preuve avec cette phrase : "Certes, c'est un subject merveilleusement vain, divers et ondoyant que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme". La suite, demain.

lundi 5 décembre 2016

Ma retraite universitaire savoisienne

L'avantage de la retraite se situe dans une envie de retrouver un peu de sa jeunesse.... Ce paradoxe de la boucle me rappelle ma vie d'étudiante, rythmée par les cours en amphi, les travaux dirigés en petit groupe, les examens et les notes sanctionnant le passage d'une année à la suivante jusqu'à l'obtention de la licence. Puis, les périodes professionnelles se succèdent pendant près de quarante ans. De libraire à bibliothécaire, il faut lire beaucoup pour conseiller les lecteurs(trices) toujours en demande de conseils avisés sur les milliers d'ouvrages qui attendent sur les étagères et s'impatientent de sortir dans les mains de leurs emprunteurs. J'ai donc mis entre parenthèses les connaissances apportées par l'entremise des professeurs même si je me suis baignée dans les livres à chaque minute de ma vie. Depuis que j'ai quitté mon univers professionnel, (celui de la bibliothèque universitaire), j'ai retrouvé les bancs de... l'université. Chambéry dispose d'une Université Savoisienne du Temps Libre et propose des conférences le jeudi après-midi sur des sujets divers, délivrés par des professeurs de l'université. Je peux citer celles sur le catharisme, le pillage et la destruction du patrimoine antique, Verdun, etc. Les thématiques scientifiques prennent une place importante dans le programme de l'année. L'USTL propose aussi des sessions qui se déroulent en six séances et se répartissent dans trois domaines : la philosophie, l'art et la littérature. Monsieur Bouvier, professeur de philosophie, évoquera l'individualisme, Madame Gaufilet étudiera Van Weyden, Holbein, Velasquez, l'impressionnisme, Kandinsky et Sonia Delaunay. Apprendre le grec ancien, retrouver la philosophie, comprendre l'art, animer un atelier de lectures, ma retraite ne ressemble pas à un retrait... L'esprit, dit-on couramment, peut conserver sa jeunesse et je savoure mieux aujourd'hui avec les années cumulées, le monde du savoir et de la culture. Aller en cours n'est pas seulement réservé aux jeunes gens et les séniors que je rencontre dans ces séances ont une soif d'apprendre surprenante et intense. Ce goût de l'école permanente peut sembler ridicule, dérisoire et vaine, mais je considère que se cultiver, connaître et savoir sont des verbes que l'on peut conjuguer au passé, au présent et au futur...

vendredi 2 décembre 2016

La mythologie sur Arte

La chaîne culturelle franco-allemande, Arte, propose une série sur les Grands Mythes de l'Antiquité tous les samedis en fin d'après-midi à raison de deux épisodes par semaine depuis le mois d'octobre. François Busnel, l'animateur de la Grande Librairie, est à l'initiative de cette émission de vingt épisodes. Comme la Grèce antique fait partie de mes passions culturelles, je ne pouvais pas manquer ces rendez-vous hebdomadaires (on peut revoir les émissions en replay). Si beaucoup de dieux grecs, de héros, de mythes sont déjà connus (ou pas), le téléspectateur(trice) apprend les détails du mythe, remarque l'illustration basée sur des formes animées,  des vases grecs, des peintures de la Renaissance, des fresques murales antiques. Ce monde divin et aussi humain s'éclaire soudain grâce à ces épisodes très bien commentés par François Busnel. Il est donc question du dieu des dieux, Zeus, d'Hadès, de Prométhée, d'Athéna, d'Apollon, de Dionysos, d'Aphrodite, d'Hermès, d'Orphée, etc. Cette plongée temporelle vertigineuse révèle un monde polythéiste baroque où les dieux ressemblent aux hommes tant leurs passions, leurs haines, leurs malheurs, leurs bonheurs appartiennent à notre condition humaine. François Busnel, dans un interview, explique son projet en évoquant les mythes grecs comme les sources fondatrices de la littérature. Il écrit : "Ils nous permettent d'appréhender un sentiment, une émotion, une folie. Ils nous renseignent sur nous-mêmes. Ils représentent la part secrète mais essentielle de nos sociétés." Le réalisateur de la série admet qu'il fallait les "décaper" pour les montrer dans leur culture primitive. Gilbert Sinoué a co-écrit le scénario en respectant les mythes au plus près des textes de l'Antiquité. Ce n'est pas toujours facile de sensibiliser le public à ces histoires anciennes et Arte a réussi son pari audacieux de mettre à la portée de tous la mythologie grecque. Pour compléter les vingt épisodes des Grands Mythes, il faut lire un des plus beaux ouvrages sur ce sujet : "Le grand atlas de la mythologie" paru aux éditions Atlas avec une iconographie richissime, une analyse symbolique des mythes et une mise en page d'une clarté remarquable. Nous vivons dans un monde mythologique et nos dieux aujourd'hui vivent sur le mont Olympe des médias et il se passe beaucoup de drames avec des héros tragico-comiques...

jeudi 1 décembre 2016

Revue de presse

Le Magazine littéraire de décembre illustre sa couverture avec le portrait d'Elizabeth Badinter, que l'on voit aussi dans les médias à l'occasion de la sortie de son nouveau livre sur "Le pouvoir au féminin, Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780)", publié chez Flammarion.  La philosophe féministe s'est intéressée à cette femme de pouvoir, monarque éclairé, épouse amoureuse et mère comblée. Dans les articles consacrés à Elisabeth Badinter, le Magazine analyse la portée de sa pensée sur l'universalisme, sur la laïcité républicaine qui demeure un enjeu essentiel dans les sociétés contemporaines bousculées par des ruptures communautaristes religieuses. Il faut lire les ouvrages de cette femme libre, intransigeante et farouchement "Lumières". Ce dossier m'a donné envie de découvrir sa biographie sur le pouvoir féminin. La revue propose un entretien avec Pierre Michon dont on ne parle pas assez dans la presse littéraire. Françoise Chandernagor s'interroge sur l'absence des femmes dans les prix littéraires. Les nouveautés continuent à paraître en librairie et sont critiquées avec perspicacité. Un portrait de l'écrivain américain, Saul Bellow, occupe trois pages pour susciter un nouvel intérêt de notre part alors que les lecteurs l'ont un peu oublié. Pour fêter les 50 ans du Magazine littéraire, la revue offre une sélection "Grands et petits millésimes, 1966-2016". Ces listes de livres me ravissent toujours car elles me plongent dans mon passé de lectrice et correspondent à mes goûts et à mes intérêts. Quand je m'aperçois qu'un titre plébiscité pour telle année n'avait pas retenu toute mon attention, je me promets de le découvrir dans les temps prochains. Certains romans choisis me paraissent légitimes et dignes de figurer sur la liste cinquantenaire mais d'autres me semblent plus contestables. Ce numéro anniversaire, éclectique et curieux, termine l'année 2016 en rendant un hommage aux livres et aux écrivains ayant marqué notre temps littéraire depuis cinquante années... Cette initiative doit être saluée et quand je me rends compte que tous ces ouvrages recommandés sont passés dans mes mains, je mesure le temps passé à cette passion, la lecture, mon art de vivre,

mardi 29 novembre 2016

"L'autre qu'on adorait"

Catherine Cusset prévient le lecteur dès la première page : son personnage, Thomas, s'est suicidé en 2008 aux Etats Unis. Il a été mêlé à sa vie, dans les années 80, comme amant et ami. Ce roman biographique pose la question de la bipolarité de Thomas dans ses comportements amoureux et professionnels. L'écrivaine prend la liberté de tutoyer son personnage en relatant les divers aspects de la vie de son héros malheureux. Quand il rate le concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure, Thomas quitte la France, qui ne reconnaît pas ses mérites, pour les Etats Unis. Cet intellectuel brillant et ambitieux va pourtant sombrer dans une spirale d'échecs et de déceptions. Pourtant, New York l'enchante et le fascine. Il fait la fête avec ses nombreux amis, il tombe souvent amoureux, il mène une vie culturelle intense et passionnante. Mais, son comportement dépressif commence à dégrader ses relations avec la hiérarchie à l'université.  Il n'obtient pas les postes universitaires  qu'il convoitait par manque de travail sérieux sur sa thèse concernant Proust qu'il n'arrive pas à terminer par négligence et dilettantisme. Il met fin à plusieurs conquêtes féminines. Cette vie bouillonnante se déroule dans ses nombreux déplacements entre son pays d'adoption et son pays d'origine. Après toutes ces années où Thomas recherche l'amour total qu'il ne trouve pas et la reconnaissance universitaire qu'il n'obtiendra pas, il s'écroule et s'enferme chez lui jusqu'au geste final irrémédiable. Catherine Cusset écrit un beau témoignage sur un ami perdu à jamais. Elle raconte la vie difficile et handicapante d'un homme atteint de bipolarité, cette maladie mentale que même la famille et des amis ne perçoivent pas dans la personnalité de leur proche. Ce roman autofictionnel était à deux doigts du prix Goncourt mais, les jurés ont préféré la thématique des invisibles dans la société (la nounou meurtrière "d'Une chanson douce") à l'histoire d'un homme, issu de l'élite française, vivant à l'américaine,  mettant fin à ses jours à cause de sa maladie mentale. Un histoire triste mais un bel hommage amical.

lundi 28 novembre 2016

Rubrique Librairies

J'aime décrire les lieux magiques comme toutes les capitales européennes que je visite depuis cinq ans, mais, il existe aussi des endroits qui nous transportent dans un ailleurs bienfaisant,  hors du quotidien et de chez soi. Les librairies, les bibliothèques, les musées participent à cette envie de quitter ses habitudes pour arpenter ces espaces dédiés à l'intelligence, à la culture et à l'art. Samedi, j'étais à Besançon, une des plus belles cités françaises, et je ne peux jamais visiter une ville sans rentrer dans une librairie, une bibliothèque et un musée. Dans la rue des Granges au 59, la libraire l'Intranquille a ouvert ses portes depuis le mois de novembre 2015 dans une ancienne église, celle des dames de Battant, un monument historique, vieux de trois cents ans. Dans cet ancien lieu sacré, les livres profanes se sentent très bien dans un dédale de cinq étages sur 1300 mètres carrés avec plus de cent mille références. Cette librairie générale indépendante est devenue la plus importante de la ville. Au dernier étage, se nichent les livres d'art sous une majestueuse coupole avec ses baies vitrées hautes de six mètres.  Tous les publics se mélangent allègrement et je me suis retrouvée entourée d'enfants, d'adultes et de jeunes assoiffés de connaissances et de culture. Du sous-sol au dernier étage, mes yeux se posaient avec fébrilité sur les livres et avant d'en acquérir quelques uns, il est essentiel de les feuilleter, de vérifier le sommaire pour les essais ou de lire un extrait pour tester le style d'un romancier. Ce samedi soir, à Besançon, les citadins se promenaient dans les rues piétonnes dans une tranquillité et un calme appréciables. Certains d'entre eux choisissaient les boutiques de mode, d'autres pénétraient dans l'Intranquille avec gourmandise. J'ai donc pratiqué cette "saine addiction" sans complexe et le libraire m'a offert un marque-page de Noël avec un âne près d'un sapin et sur ce bandeau, des slogans facétieux proclament une vérité universelle : "Lire contribue grandement au bonheur", "Lire nuit gravement à l'ignorance". Besançon, ville verte, ville culturelle, un modèle de ville moyenne à taille humaine où il fait bon vivre et... lire !  

mercredi 23 novembre 2016

Rubrique cinéma

La Quinzaine du Film italien se poursuit jusqu'à mardi prochain et j'en ai profité pour aller voir "L'ultima Spiaggia" et "Fiore". Le premier raconte l'histoire d'une plage à Trieste qui détient une particularité anachronique : un mur se dresse au milieu et sépare les hommes, des femmes. Ce documentaire montre la vie de ces habitants, leurs traditions et leurs loisirs autour de ce lieu unique et pittoresque. J'avoue que je suis partie au bout d'une heure, la magie du lieu me laissant dans une attente dubitative. Pourtant, ce tableau estival d'une population en maillots, entre jeux de cartes et conversations sur serviettes, entre baignades et bronzages, pouvait devenir une étude ethnologique sur les us et coutumes des Triestins. Mais le rythme trop lent, le manque de dialogues distillaient un certain ennui. Dommage... Le deuxième film, "Fiore" raconte la vie d'une jeune adolescente, Daphné, une délinquante qui, avec violence, dévalise des voyageurs dans le métro pour leur subtiliser leur portable. La police arrête la jeune fille et la conduit dans un établissement pénitentiaire pour mineurs. Dans cette prison, les hommes et les femmes cohabitent dans une aile différente et les relations sont interdites entre eux. Daphné remarque Josh. Ils s'envoient des billets clandestinement, bavardent à travers leurs grilles, deviennent amis. Le père de Daphné, sorti de prison,  lui rend visite et refuse de la prendre en charge car sa compagne ne veut pas l'accueillir dans son petit appartement. Daphné se conduit comme une rebelle, n'accepte pas le règlement et tente toujours de s'affranchir des contraintes de la prison. Le film ressemble à un documentaire sur la vie en prison, les relations entre les filles, leurs rivalités, leurs amitiés, leurs solidarités. Daphné malgré une vie rude et dure, tombe amoureuse de Josh et quand le garçon est libéré, elle se retrouve seule et abandonnée. Son père obtient une permission de sortie pour une fête de famille. Que va faire Daphné lors de ce week-end en bord de mer ? Il faut aller voir ce film pour découvrir cette adolescente en quête d'amour et de liberté malgré un départ difficile dans la vie d'adulte...  

lundi 21 novembre 2016

"L'absente"

Ce roman autofictionnel complète notre connaissance de la galaxie familiale de Lionel Duroy. Cet écrivain prolixe et décapant a investi son imaginaire dans la description impitoyable de sa famille avec laquelle il s'est fâché depuis les premiers titres de son oeuvre. Après "Le chagrin" et "Colères", Lionel  Duroy poursuit sa quête de la vérité sur ses géniteurs, son père au surnom ridicule "Toto" et sa mère, Suzanne, la bourgeoise bordelaise. Le narrateur raconte avec sa manière décomplexée sa vie du moment : il se sépare de sa femme et de sa maison à cause du divorce. Il ne supporte pas ce changement, symbolisé par son déménagement et voilà notre mari esseulé en proie au doute existentiel. Il s'enfuit de la maison en emportant quelques photos, son ordinateur et ses deux vélos d'une marque mythique, Singer. Il traverse la France et vagabonde en rencontrant des inconnus avec lesquels il crée des liens éphémères. Une libraire le poursuit de sa passion d'hôtel en hôtel et Augustin se laisse aimer tout en cultivant l'ironie sur cette aventure douteuse. Comme il vit une rupture avec sa vie d'avant, il pense souvent à sa mère qui a vécu un épisode semblable quand sa famille a été expulsée de leur appartement de Neuilly. Ce traumatisme psychique provoque un retour dans son enfance. Notre écrivain prend une décision incongrue : il se fait embaucher comme homme à tout faire dans le manoir où Suzanne est née. Cette supercherie lui permet de sonder le passé de cette famille qui n'a jamais accepté et compris le mariage déclassé de leur Suzanne qui a gâché sa vie. Peu à peu, il mène son enquête auprès de quelques cousins et approche la vérité sur cette femme si complexe, si malheureuse et si perturbée. Alors que cette mère était décrite comme une folle échevelée dans ses précédents ouvrages, il brosse un portrait plus nuancé, plus empathique de sa mère si mal mariée.  Lionel Duroy pourrait lasser ses lecteurs(trices) tellement il ressasse sa généalogie déficiente. Mais, son humour, son sens de la dérision, son écriture vivante et sans fioriture, ses obsessions familiales entraînent l'adhésion de son public qui aime les histoires de famille, une  véritable série avec plusieurs saisons avec Toto et Suzanne, Augustin et sa fratrie, comme personnages principaux. Un secret de famille se dévoile et termine peut-être la saga "Duroy"...

jeudi 17 novembre 2016

Rubrique cinéma

Du 16 au 29 novembre, les cinémas de Chambéry, l'Astrée et le Forum, organisent la traditionnelle Quinzaine du Cinéma italien. J'ai donc assisté au premier film diffusé aujourd'hui : "La ragazza del mondo" du réalisateur Marco Danieli. Giulia, une jeune adolescente de dix sept ans, vit dans un monde clos, figé, étouffant, celui des témoins de Jéhovah. Ses parents, sa petite sœur, son milieu social dépendent de cette religion sectaire. L'adolescente se comporte en disciple exemplaire en prêchant sa foi. Sa différence culturelle la marginalise au lycée et une professeur de mathématiques l'encourage pour passer un concours mais, Giulia décline cette offre, suivant ainsi les préceptes de sa religion intolérante. Pendant une visite chez une adepte, elle croise son fils et apprend qu'il sort de prison. La jeune fille veut aider Libero et demande à son père de l'embaucher dans son entreprise de menuiserie. Les mondes de Giulia et de Libero sont pourtant incompatibles et irréconciliables. Pourtant, ils se rejoignent dans une bulle amoureuse contre l'avis de tous. La jeune fille vit un séisme mental en transgressant la  loi de son milieu en rompant avec sa religion. Elle fuit avec Libero. Mais, le monde de Libero n'est pas réjouissant car le jeune homme s'adonne au trafic de drogue. Giulia découvre la vie réelle, débarrassée du joug familial et religieux. Elle décide de passer le concours de mathématiques qu'elle réussit. Ses parents la renient et l'assemblée l'excommunie... Sa liberté conquise la fragilise et leur idylle amoureuse s'étiole entre la misère sociale et la soumission sectaire. La jeune fille se lance à son tour dans le trafic de drogue avec sa couverture ancienne des témoins de Jéhovah. Cet engrenage dans la spirale infernale de la drogue tue son amour pour Libero. Elle le quitte et rejoint une ancienne témoin, comme elle, excommuniée par la secte. Ce film traite d'une façon très réaliste de l'aliénation mentale dans un groupe sectaire et de la très lente aspiration à la liberté individuelle d'une jeune femme soumise et obéissante. Comme j'ai toujours milité pour l'émancipation des femmes depuis de nombreuses années, je ne pouvais qu'adhérer au message de ce film : rien ne vaut la liberté, loin des dogmes politiques et religieux...

mardi 15 novembre 2016

Apprendre le grec ancien

A l'occasion des 80 ans de mon amie Evelyne, devenue depuis trois ans mon professeur de grec ancien, j'ai décidé de livrer un texte d'hommage qui a été intégré dans un journal que sa famille a composé à son honneur. Voici un extrait de mon texte : "Et puis, a germé dans ma tête un rêve fou et décalé. Comme Evelyne, notre franc-comtoise de choc, possède un art consommé de la générosité, elle a accepté de m'enseigner le grec ancien dans sa maison de Cognin. J'ai donc démarré en apprenant l'alphabet mystérieux de cette langue morte qui ne l'a jamais été à mes yeux tellement le vocabulaire et la grammaire ont fondé notre langue actuelle. Nous avons commencé avec l'ouvrage "Vive le grec" qui m'a lancée dans un éblouissement continuel : la conjugaison étrange, les phrases biscornues, le vocabulaire expressif, les tournures tarabiscotées, les exclamations tonitruantes. Elle m'a tout appris depuis trois ans et je me sens encore plus proche de mes dieux grecs, des héros mythologiques, des philosophes comme Socrate, Platon et Aristote, de mon aède préféré, Homère. Je partage avec elle cet amour de la Grèce antique et elle sait tout sur les contes et légendes de ce pays à qui on doit tant. Si je me décourageais par l'aoriste ou les comparatifs-superlatifs, elle n'insistait pas sur le moment et sa patience me permettait de rebondir plus tard. Pour me distraire des difficultés rencontrées, elle m'a raconté des anecdotes amusantes de sa vie de professeur au collège de Louise de Savoie de Chambéry. Et elle reprenait en douceur les leçons plus complexes telle une accompagnatrice de piano qui aide son élève à jouer juste. Le grec ancien, je continue à l'apprendre une fois par semaine sans interruption à part quelques semaines de voyage que j'entreprends depuis que je suis à la retraite. Evelyne m'a transmis un très beau patrimoine linguistique et j'éprouve pour ma professeur, une gratitude éternelle. Athéna, ma déesse préférée, m'a parlé quand je me trouvais à ses pieds sur une place d'Athènes, et m'a révélé un secret : apprendre le grec ancien rend heureux... J'ai suivi son conseil et Evelyne me procure un grand bonheur une fois par semaine ! 

lundi 14 novembre 2016

"Dictionnaire amoureux des Ecrivains et de la Littérature"

Cette collection des dictionnaires amoureux (presque une centaine de titres), publiée chez Plon, s'est bien installée dans la production éditoriale et poursuit son succès sans complexe. Chaque lecteur(trice) peut trouver son dictionnaire préféré selon ses goûts et ses passions. Je ne conseillerai pas pour ma part certains thèmes comme la chasse, le rock, la télévision, la médecine, le Tour de France, etc. Les ouvrages consacrés à la géographie et à l'Histoire dominent la collection et certains titres portent sur des sujets plus spécifiques comme la laïcité, le journalisme,  l'opéra entre autres. J'en possède quelques uns dans ma bibliothèque, ceux de la Grèce antique (évidemment !), de la mythologie (on ne se refait pas), de l'Italie (indispensable)... Je viens donc d'acquérir une nouveauté alléchante : "le dictionnaire amoureux des Ecrivains et de la Littérature", écrit et composé par Pierre Assouline. Dans la préface, l'auteur raconte sa relation passionnelle avec les livres, son exaspération aussi envers ces envahisseurs de papier lors des déménagements. Il propose aux amateurs de littérature un dictionnaire très subjectif qui tient compte de sa propre vision de la littérature. Le lecteur(trice) ne trouvera peut-être pas tous les écrivains la planète, loin de là... Mais, les articles consacrés aux écrivains évoquent les plus importants de nos classiques : de Beckett à Kafka, de Musil à Proust, de Woolf à Zweig, sans oublier nos contemporains vivants : Patrick Modiano, Eri de Luca, Milan Kundera, Pierre Michon, Philip Roth, etc. Quand j'ai lu le billet sur Pascal Quignard, j'ai apprécié son avis très favorable sur l'œuvre de mon écrivain préféré. Les portraits des auteurs côtoient certains titres de romans, des émissions littéraires, d'anecdotes sur la vie littéraire. Ce dictionnaire fourmille d'informations sur le monde de la littérature. Il ne faut pas le lire en continu mais le feuilleter, s'arrêter sur un article, papillonner, fureter, se promener dans ces pages où Pierre Assouline se livre, délivre un message fort et tenace : aimez donc les livres et la littérature !

jeudi 10 novembre 2016

Prix littéraires 2016

La saison des prix littéraires s'est terminée cette semaine. J'ai retenu pour ma part le Goncourt pour la jeune franco-marocaine, Leïla Slimani, journaliste-écrivain, pour son deuxième roman, "Chanson douce", édité chez Gallimard. Son premier titre, "Dans le jardin de l'ogre", avait été remarqué par la critique littéraire. Le sujet très dur de ce roman, une nounou meurtrière, pourrait rebuter un grand nombre de lecteurs mais, il se lit comme un thriller intense en dévoilant une certaine lutte de classes basée sur l'humiliation. Le prix Médicis a été attribué à Yvan Jablonka pour "Laëtitia ou la fin des hommes", édité au Seuil. Tiré d'un fait divers tragique, l'auteur relate la mort atroce de cette jeune adolescente massacrée par un marginal. La violence des hommes est au cœur du récit et l'auteur, sociologue de profession, mélange les frontières de la fiction et de la non fiction.  Dans un article du journal Le Monde, au titre explicite, "Les prix littéraires donnent voix aux sans-voix", les journalistes évoquent le coup de fouet (400 000 exemplaires pour le Goncourt) donné par les prix aux librairies et aux éditeurs. Ils remarquent le peu d'impact des prix sur la littérature contemporaine d'avant-garde à l'exception de quelques écrivains comme Pascal Quignard en 2004. Philippe Claudel, membre de l'Académie Goncourt, interrogé par le Monde, a déclaré : "La littérature n'est pas toujours là pour nous consoler, appliquer un baume ou nous faire voir le monde à travers une vitre opaque. Pour moi, la littérature est un art du dévoilement, y compris le plus amer et le plus difficile". La littérature se mêle du réel le plus cruel et un critique relève que le sujet l'emporte sur le style, une des grandes tendances du moment. Yvan Jablonka rejoint avec cette étude sur Laëtitia, les écrivains, imprégnés de sociologie comme Annie Ernaux et Pierre Michon. J'ajouterai le prix Renaudot pour Yasmina Reza avec "Babylone". J'ai regretté l'absence de Jean-Paul Dubois, Laurent Mauvignier, Luc Lang, Catherine Cusset. J'ai donc un an devant moi pour découvrir ces titres primés en attendant la nouvelle marée annuelle de la rentrée prochaine... Et surtout, de nombreux très bons romans attendent leurs lecteurs en toute discrétion, sans couronne de fleurs et sans réception mondaine...

mercredi 9 novembre 2016

"Les bottes suédoises"

"Les bottes suédoises" d'Henning Mankell est son dernier roman, écrit avant sa mort en 2015. Ce livre fait suite aux "Chaussures italiennes". Le personnage principal, Fredrik Welin, a pris sa retraite après avoir raté une opération chirurgicale avec une de ses patientes. Cet accident professionnel le tourmente toujours alors qu'il est installé sur une île de la Baltique. Dès les premières pages, j'ai retrouvé cet homme blessé qui avait accueilli sa femme Harriet dont il n'avait plus de nouvelles. Quand elle réapparaît dans les "Chaussures italiennes", elle lui annonce qu'il est père d'une grande fille, Louise. Il va prendre soin d'elle car elle va mourir d'un cancer sur cette île. Fredrik vit donc solitaire et déprimé dans sa maison. Une nuit, il est tiré du sommeil par des flammes : sa maison brûle et il ne reste que des cendres. Face à ce désastre,  Fredrik assume cette nouvelle catastrophe. Il se sent pourtant vieillissant, fatigué, mais il trouve des solutions immédiates : commander des "bottes suédoises" de très bonne qualité dans une boutique de l'île et occuper sa caravane dans son jardin, près de la maison détruite. La police intervient sur place et le soupçonne d'avoir mis le feu dans sa maison. Voilà notre héros suédois en prise avec les plus grandes difficultés : il a tout perdu et doit survivre... Les liens avec sa fille sont distendus même si elle lui rend une visite qui s'avère plus perturbante que son absence. Une journaliste s'intéresse à son drame et Fredrick espère une relation amoureuse avec elle. Un voisin lui rend visite souvent et l'aide aussi dans sa survie. Cet homme seul, voire esseulé, se pose la question du vieillissement, de sa propre disparition : peut-il encore aimer et être aimé ? Sa fille va-t-elle se rapprocher de lui alors qu'elle s'en éloigne trop souvent ? Peut-il reconstruire sa maison de famille ? Je ne révèlerai pas les rebondissements dans la vie de Fredrick. Il vaut mieux s'emparer des "bottes suédoises" pour partir sur cette île froide et enneigée et partager la vie rude, courageuse et solitaire de ce personnage qui ressemble beaucoup à son créateur, Henning Mankell. Les lecteurs(trices) qui apprécient Mankell seront heureux(ses) de retrouver l'univers de cet écrivain très attachant.

mardi 8 novembre 2016

Rubrique cinéma

J'ai donc vu "Réparer les vivants" de la réalisatrice Katell Quilléviré et j'ai remarqué une certaine affluence pour ce film en ce début d'après-midi. Comme le roman de Maylis de Kerangal m'avait vraiment impressionnée, j'avais envie de comparer la force du livre avec celle des images. Je n'ai pas été déçue, loin de là. Les premières scènes montrent le jeune homme, Simon, d'une énergie folle, amoureux de sa copine et des vagues océaniques. Les trois amis se rejoignent pour surfer et cette séquence nous enroule littéralement  dans un tourbillon d'écume et de bulles, symbole de la fureur de vivre. Les trois amis repartent en camionnette mais la fatigue arrive après tous les efforts fournis et l'accident a lieu. Simon est transporté à l'hôpital dans un état désespéré. Les parents de Simon se précipitent à son chevet et un médecin les reçoit pour leur annoncer la mort cérébrale de leur fils. La délicate question du don d'organes est posée et les parents, bien que bouleversés par cette mort absurde, acceptent la proposition du médecin. Le personnel hospitalier ultra-compétent et fort empathique sert de lien entre les deux histoires : celle de Simon, le donneur et celle de Claire, la receveuse. Claire vit très mal avec son cœur malade. Elle est soutenue par ses deux fils et avant de se faire opérer, elle va retrouver son amie (trame romanesque inventée par la réalisatrice) pianiste. De la mort à la vie, ce film sensible réussit à émouvoir et à réfléchir aussi sur la fragilité des liens familiaux, sur la détresse des vivants face à la disparition de leurs proches, sur le deuil et sur la dignité. La scène où le jeune médecin met des écouteurs sur les oreilles de Simon alors que l'opération va démarrer pour lui ôter son cœur est bouleversante. Quand les scènes médicales montrent le transfert des organes,  j'ai admiré tous les chirurgiens de la planète qui sauvent tant de vies... Tous les personnages (interprétés par Tahar Rahim, Dominique Blanc, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval sans oublier Alice Taglioni),  forment une communauté solidaire et responsable. J'ai souvent pensé à la prose magnifique de Maylis de Kerangal que les images ne renvoient pas. Mais, le film mérite vraiment d'être vu pour le sujet traité, le don d'organes, et pour la générosité des parents malgré la perte irrémédiable de leur enfant.

lundi 7 novembre 2016

Giorgio Morandi, peintre du silence

J'ai vu les œuvres de Giorgio Morandi (1890-1964) dans plusieurs musées européens dont ceux de Milan et de Bologne. Il est facile de reconnaître un Morandi dès que l'on pénètre dans une salle comme cela m'est arrivé à Lisbonne dans le musée d'art moderne. La nature morte est un genre artistique peu exploité au XXe siècle et pourtant, elle n'a jamais disparu des créations picturales. Giorgio Morandi a voué sa vie d'artiste à la nature morte même s'il a peint aussi quelques paysages. J'ai trouvé en furetant les tables des nouveautés à la librairie Garin un ouvrage sur le peintre de Bologne : "Giorgio Morandi, les jours et les heures" de Bruno Smolarz aux éditions Arléa. Je voulais en savoir plus sur ce peintre que j'ai découvert grâce à Philippe Jaccottet dans son livre "Le bol du pèlerin", édité chez La Dogana en 2001. Il faut parfois des années pour rencontrer un écrivain, un poète, un compositeur, un peintre et quand la découverte a lieu, il reste à approfondir le lien que l'on établit avec l'artiste en question. Bruno Smolarz n'a pas composé une biographie précise, avec des repères chronologiques, des événements, des anecdotes diverses. Il rend un hommage à Giorgio Morandi tout en nuances, tout en douceur, en décrivant la vie du peintre comme il décrirait un tableau. Le critique analyse l'œuvre sans employer un jargon technique. Bien au contraire, il donne à voir la vie simple de ce peintre dans une maison à Bologne, entouré de sa mère et de ses sœurs. Il était tout à son atelier et ne se mêlait ni de politique, ni de la société. Cette discrétion, voire cet effacement, ce retrait se retrouvent dans son art de peindre. Peindre des bouteilles, des pichets, des bols dans une mise en scène d'une sobriété palpable et géométrique parfaite relève d'une ascèse quasi métaphysique. Le critique remarque l'absence d'éléments que l'on trouve dans les natures mortes traditionnelles : des fruits, des légumes, des objets culturels, etc. Je cite Bruno Smolarz : "La peinture de Morandi s'inscrit dans la vibration d'un instant qui a peut-être commencé avec une lenteur d'éternité, il y a longtemps, si longtemps qu'il est difficile de déterminer quand elle a commencé, et l'on sait déjà qu'elle durera, pour nous, autant que l'on contemplera le tableau et, bien sûr, au-delà, tant que le tableau existera". L'observation d'une toile de Morandi ressemble à un acte de méditation silencieuse dans un monde tumultueux et bruyant...  

vendredi 4 novembre 2016

Le jeudi des livres, 2

J'avais proposé aux lectrices, un roman de Pascal Quignard, "Les solidarités mystérieuses" avec un peu d'inquiétude car cet écrivain d'une singularité absolue peut provoquer un rejet immédiat. Le devoir de lecture n'est pas toujours facile à imposer car nous sommes dans le plaisir de lire et non dans la contrainte. Mais, parfois en terre littéraire, il est nécessaire de s'accrocher, de persévérer, d'accepter un certain inconfort de la pensée. J'avais envie comme médiatrice de leur montrer qu'un très grand écrivain, réputé hermétique, comme Pascal Quignard peut être lu sans aucune appréhension.  La majorité des lectrices a accompli ce "devoir" de lecture, une révélation pour certaines d'entre elles. Ce roman détient les clés de l'œuvre "quignardienne" en la personne de Claire, en rupture familiale et revenant dans sa Bretagne natale pour retrouver son amour de jeunesse. Cet homme n'est plus disponible alors qu'il aime toujours Claire. Mais, il est marié et ne peut abandonner son enfant handicapé. Claire ne vit pas une solitude totale même si elle recherche cet état. Elle choisit ses liens, ses "solidarités mystérieuses" : son frère, son professeur de piano, son ancien amour de jeunesse, et surtout, sa fusion "utérine" avec la nature bretonne, la mer, les plantes, les oiseaux, le ciel, les nuages. Ce personnage magnifique ressemble à Anne Hidden, dans "Villa Amalia" comme une sœur jumelle. Pascal Quignard insuffle à ses œuvres diverses (romans, contes, fragments, aphorismes, essais) un halo de mystère, une nébuleuse de pensées profondes et même vertigineuses sur le sens de la vie, du passé, de l'amour, de l'art, de la musique, de la mort. Lire cette œuvre étrange (et je la fréquente depuis trente ans) procure une jubilation intellectuelle car, en tant que lectrice, je préfère "décrypter" les textes qui m'ouvrent sur un monde complexe et mystérieux. Des extraits ont été lus pour savourer la musicalité de la prose de Pascal Quignard, qui, en tant que musicien, connaît le solfège harmonieux de la langue française. Cet écrivain anachronique, atemporel, archéologique, psychanalytique m'enchante depuis des décennies, m'intrigue toujours, me bouscule, me bascule dans le vertige du temps. Pour conclure la séance, j'ai cité cette définition de la lecture selon l'écrivain : "Lire, c'est opérer un écart avec le monde, lire espace la pensée. Vivre dans l'angle mort du social et du temps. Dans l'angle du monde."  A méditer et surtout, ne plus hésiter à se plonger dans l'œuvre immense de Pascal Quignard.

jeudi 3 novembre 2016

Le jeudi des livres, 1

Ce jeudi 3 novembre, nous nous sommes retrouvées à la Maison de quartier du centre ville de Chambéry pour évoquer les coups de cœur et Pascal Quignard. Je préfère démarrer mon compte-rendu par les coups de cœur de mes amies lectrices. Sylvie a beaucoup aimé une trilogie de Philippe Carrèse : "Virtuoso Ostinato", "Retour à San Catello" et "La légende Belonore". Cette saga familiale se déroule au début du XXe siècle dans un petit village lombard. Le patriarche Belonore gère d'une main de fer ses trois fils, sa femme et son village. Sur fond de guerre et du fascisme naissant, le romancier relate l'atmosphère de la paysannerie de cette époque avec des personnages attachants. Sylvie a aussi cité "L'île des oubliés" de Victoria Hislop et "Le CV de Dieu" de Jean-Louis Fournier, ouvrage plein d'humour facétieux. Danielle a lu "Mémoire de fille" d'Annie Ernaux qu'elle a beaucoup appréciée et nous a présenté un essai, "Les lois naturelles de l'enfant" de Céline Alvarez. Cet ouvrage expérimental se base sur les neurosciences et révolutionne l'éducation dans les classes maternelles. Certains chapitres sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture  sont assez techniques mais dans l'ensemble, il se lit avec beaucoup d'intérêt. Dany a choisi le roman de Delphine de Vigan (déjà mentionné dans ce blog). Janelou a bien aimé le roman de Gaël Faye, "Petit pays", un des derniers sur la liste des Goncourt. L'auteur évoque son enfance au Burundi, ses souffrances provoquées par le divorce de ses parents et par le conflit du Rwanda. Véronique a parlé de "Soie" de Barrico et "No et moi" de Delphine de Vigan. Régine a beaucoup appris de l'Iran avec le livre de Delphine Minoui, "Je vous écris de Téhéran". Ce récit  autofictionnel relate dix ans de sa vie en Iran dans les années 90 et l'auteur raconte les dérives religieuses, les interdits détournés par la jeunesse, la complexité du pays de son grand-père. Elle a aussi évoqué un roman policier de Sandrine Colette, "Six fourmis blanches" qui se déroule en Albanie avec un groupe de six jeunes alpinistes et avec la présence d'un sacrificateur de moutons... Elle a ajouté un troisième coup de cœur avec "Un hiver long et rude" de Mary Lawson, une chronique familiale dans un Canada des années 60 avec un personnage attachant, Megan,  qui veut s'émanciper de cet univers étouffant et dépressif. Geneviève a terminé les coups de cœur avec le roman délicieux (selon son vocabulaire), "Les quatres saisons de l'été", de Grégoire Delacourt, l'auteur du populaire "Liste de mes envies". Voilà pour la partie coups de cœur... Des idées de lecture pour les mois d'hiver.

mercredi 2 novembre 2016

"Les vies de papier"

Ce roman de Rabih Alamedinne vient d'obtenir le prix Femina étranger, prix bien mérité pour ce livre original. La narratrice de ce journal intime s'appelle Aaliya Saleh, ancienne libraire et femme insoumise à l'ordre social de son pays, le Liban. Elle vit au rythme des livres et de la littérature et ce personnage inventé par l'écrivain symbolise l'amour fou de Rabih Alemedinne pour ses héritiers littéraires. Aaliya a décidé de traduire un de ses auteurs préférés (Franz Kafka, Walter Benjamin,  Fernando Pessoa) et elle démarre ce rituel le 1er janvier de chaque année en s'adonnant à ce loisir intellectuel tout au long de l'année. Mais, entre les lignes consacrées à la littérature, à ses compagnons de papier, la narratrice raconte sa vie de femme au Liban, son métier de libraire dans un Beyrouth en guerre,  la solidarité avec ses voisines amies, la tradition séculaire des mariages arrangés, le machisme des hommes. Cette femme rebelle préfère la solitude à une mauvaise et illusoire compagnie masculine. Elle évoque souvent sa meilleure amie, Hannah, disparue tôt avec laquelle, elle pouvait se confier en toute sérénité. Mais, cet ouvrage atypique devient au fil des mots un hommage magnifique aux écrivains, à l'amitié et au courage de vivre dans un pays en guerre. Cet extrait résume la narratrice : "Je me suis depuis bien longtemps abandonnée au plaisir aveugle de l'écrit. La littérature est mon bac à sable. J'y joue, j'y construis mes forts et mes châteaux, j'y passe un temps merveilleux. C'est le monde à l'extérieur de mon bac à sable qui me pose problème. (...) Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est mon bac à sable, alors le mode réel est mon sablier - un sablier qui s'écoule grain par gin. La littérature m'apporte la vie, et la vie me tue." Je ne pouvais qu'apprécier "Les vies de papier", car je partage avec Aaliya, deux points communs : le métier de libraire et surtout la passion de la littérature. Elle mentionne plusieurs fois Fernando Pessoa et comme j'étais récemment sur les traces de cet écrivain étrange et merveilleux à Lisbonne, je savourais ses citations avec gourmandise. L'écrivain libano-américain, Rabih Alemedinne, se cache certainement derrière cette libraire, lectrice idéale,  et la renommée du roman s'amplifiera grâce au prix Femina. 

mardi 1 novembre 2016

"L'enfant qui mesurait le monde"

Ce roman de Metin Arditi, "L'enfant qui mesurait le monde", n'obtiendra pas de prix littéraire et pourtant, il aurait, au minimum,  mérité d'apparaître sur les listes de sélection... Cet écrivain suisse d'origine turque creuse son sillon depuis quelques années et la critique avait salué la sortie de son roman, " Le Turquetto". Son dernier livre, publié chez Grasset, évoque la Grèce à travers trois personnages très attachants : un petit garçon autiste, Yannis, sa mère, Maraki et Eliot, un architecte américain, grec d'origine. Ces trois solitaires se retrouvent sur l'île de Kalamaki en proie à la crise économique. Eliot retourne dans son pays pour retrouver les traces de sa fille, étudiante en architecture antique, décédée dans un accident stupide alors qu'elle travaillait dans un chantier de fouilles. Maraki élève son fils seule et elle pêche à la palangre. Le petit garçon vit selon les nombres car il mesure tout ce qui l'entoure : les clients du café, les poissons pêchés, les bateaux, etc. Eliot s'attache à cet enfant si exceptionnel dans sa façon de vivre. Il lui raconte les mythes antiques, s'occupe de lui le plus souvent possible pour aider Maraki. Un projet d'hôtel surgit dans ce monde si calme et toute la population s'affronte sur l'avenir de l'île. Faut-il encourager ce projet, créateur d'emplois ou refuser le tourisme de masse ? Ce microcosme humain préservé va-t-il basculer dans la modernité agressive et enlaidissante ? L'installation de l'hôtel divise la population et la polémique enfle jusqu'à Athènes. Eliot, tout en cultivant la relation quasi paternelle avec Yannis, trouve une solution originale... Ce roman se lit avec un très grand plaisir. Comment ne pas se laisser séduire par cette île, ses habitants, les personnages empathiques, ce petit garçon autiste ? Eliot, l'architecte à la recherche du nombre d'or, symbole de l'harmonie, propose une solution pour contrer le projet de béton : ouvrir une école dans l'île pour les étudiants européens... La naïveté de l'écrivain peut faire sourire mais la littérature peut aussi offrir de belles idées humanistes et cela fait du bien de partir sur cette île enchanteresse...

jeudi 27 octobre 2016

"Continuer"

Le roman de Laurent Mauvignier, "Continuer" reprend une expression de Samuel Beckett. Ce verbe "continuer" résume la vie de Sybille, une mère quelque peu déprimée et découragée. Elle rêvait d'être chirurgienne, elle est infirmière. Elle rêvait de vivre avec l'amour de sa jeunesse. Son compagnon meurt accidentellement. Sa dépression chronique a fait fuir son mari vers d'autres horizons féminins. Et son fils, Samuel, ne va pas bien, vraiment pas bien du tout. Il fréquente des garçons peu "fréquentables" et sa mère doit le récupérer à la gendarmerie. Sybille comprend vite que son garçon est en danger et prend une décision énergique : elle vend sa maison de famille pour financer un grand périple dans un pays surprenant : le Kirghizistan... Tous les deux aiment les chevaux et ce lien va permettre une sorte de reconquête. Samuel semble perdu dans un monde de rancœur, de repli sur soi, d'agressivité et de mal-être. Comme beaucoup d'adolescents, il vacille, n'a pas confiance en lui, voit les adultes comme des ennemis. Sa mère lui renvoie cette image de femme fragile et son père, une image d'irresponsable. Samuel accompagne sa mère car il n'a pas le choix. Le duo mère-fils va-t-il exploser dans ce périple ou au contraire, se souder davantage ?  Je ne dévoilerai pas les nombreuses aventures, bonnes et mauvaises,  dans ce pays inconnu. Sibylle va retrouver le goût de vivre, Samuel, ses repères affectifs. Laurent Mauvignier fait ressentir grâce à son écriture précise, belle et charnelle, la chaleur des chevaux, la présence de la nature, les rencontres imprévues, le dialogue perdu et retrouvé, des personnages mouvants et émouvants, la fragilité des êtres, les liens familiaux inextricables et complexes... Dans une émission littéraire, l'écrivain expliquait que la matrice de son livre prenait sa source dans un fait divers d'un père de famille voulant sauver son fils grâce à un périple dans un pays lointain. Cette mère si fatiguée et pourtant si vivante réussira à renouer des liens avec ce garçon mutique, replié sur lui-même, en proie à un mal être courant à son âge. Et Samuel finira par comprendre que sa mère ressemble à une véritable héroïne des temps modernes... Un des plus beaux romans de la rentrée... 

mardi 25 octobre 2016

Rubrique cinéma

Le film de Nicole Garcia, "Le mal de pierres" se laisse voir avec plaisir. Il repose sur Marion Cotillard qui joue un rôle difficile et ambigu. L'histoire se passe en Provence dans les années 60. Gabrielle et son mari accompagnent leur fils à Lyon pour un concours de piano. Quand elle aperçoit un nom de rue qui lui est familier, elle abandonne brutalement sa famille pour vérifier cette adresse. Puis, le flashback reprend ses droits et on voit la jeune femme se conduire bizarrement dès la première image du film. Elle est agitée, fiévreuse, imprévisible. Sa réputation d'être folle l'isole et elle se refugie dans une conduite excessive. Son comportement découle d'une brûlure intérieure sur le plan physique car le mal de pierres est une maladie handicapante. Elle tombe amoureuse d'un professeur qui lui donne des conseils de lecture. Elle interprète le prêt d'un livre comme une déclaration d'amour. Cette paranoïa l'entraîne dans un malentendu avec ce maître qui repousse ses avances. Sa mère décide de se "débarasser" d'elle en proposant à un de ses journaliers espagnols, un mariage arrangé. Celui-ci accepte le contrat et le mariage s'organise sans amour car Gabrielle le rejette avec mépris. Ils s'installent dans le midi et son mari, pourvu d'une patience infinie, lance son entreprise de maçonnerie. La scène où elle lui vend son corps illustre le marché que sa mère a proposé au réfugié espagnol. Comme sa maladie l'empêche d'avoir un enfant, elle part en cure dans un grand hôtel suisse. Elle rencontre un jeune homme malade qui lui offre un de ses livres. Gabrielle est attirée par ce lieutenant solitaire et cultivé qui lui aussi s'intéresse à elle. La jeune femme voit pourtant le jeune homme quitter l'hôtel... Son mari présent à ce moment-là comprend qu'ele vit une histoire d'amour avec le lieutenant. Quand le jeune homme revient à l'hôtel, Gabrielle le rejoint dans sa chambre et vit sa première nuit amoureuse. Ils décident de partir ensemble mais, il veut mettre de l'ordre dans sa vie et lui demande un délai. Revenue chez elle, la jeune femme envoie des lettres enflammées à son lieutenant muet. Car, il ne répond plus, il s'est évaporé. Je ne révèlerai pas le dénouement du film... Un coup de théâtre attend les spectateurs et Nicole Garcia, la réalisatrice, nous offre sa sensibilité, son empathie envers un personnage féminin, aveuglée par "l'amour de l'amour", une passion dérangeante et dangereuse. Ce film appartient à la catégorie des mélos romanesques mais, parfois, le spectateur(trice) peut adhérer à une histoire très bien ficelée, filmée avec émotion et qui, en plus, se termine bien...

lundi 24 octobre 2016

"Judas"

Amos Oz, l'un des plus grands écrivains israéliens, vient d'écrire "Judas", édité chez Gallimard. Il s'agit d'une histoire complexe sur les plans historique et politique qui se situe en 1959, mais on peut le lire avec intérêt. Le personnage central, Schmuel, un jeune étudiant de 25 ans, se fait larguer lamentablement par sa petite amie et interrompt sa vie universitaire. Ce garçon est qualifié de "corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste, asthmatique, cyclothymique". Il prépare un mémoire sur Jésus dans la tradition juive. Il répond à une annonce pour un poste d'homme de compagnie d'un certain Gershom Wald, un érudit très âgé, bavard et doté d'une causticité sans limite. Il rencontre lors de son entretien sa belle fille, Atalia, qui s'occupe du vieux monsieur et de la maison. Entre ces trois personnages, se lie une relation quasi familiale. Schmuel se refugie dans sa petite chambre et observe les us et coutumes de la maison. Il tombe amoureux d'Atalia qui a pourtant vingt ans de plus. Elle le cantonne à son rôle d'assistant de son beau-père et l'évite en organisant sa vie quotidienne. Le roman se lit sur deux niveaux : l'histoire de Schmuel en proie à la frustration amoureuse et celle du discours de l'écrivain à travers les nombreuses conversations du jeune homme avec l'érudit. En filigrane, le personnage de Judas obsède le jeune étudiant comme la figure du traître. Le propre père de la jeune femme, un homme politique influent, a toujours été considéré comme un traître car il refusait la création de l'état d'Israël, voulant cohabiter pacifiquement avec les Palestiniens. Dans un article du journal Le Monde des Livres, Amos Oz explique le rôle des traîtres dans l'Histoire qui sont parfois des visionnaires et le parallèle entre Judas et Abravanel en est l'illustration. Il peut arriver que l'on se perde un peu dans les pensées du jeune homme et de l'érudit parce que le monde d'Amos Oz n'est pas simple à comprendre. La lecture demande parfois des efforts, mais et il suffit de s'informer sur Israël pour surmonter les difficultés que l'œuvre d'Amos Oz peut entraîner.

vendredi 21 octobre 2016

Escapade à Milan, 4

Je ne pouvais pas quitter Milan sans découvrir le seul musée archéologique de la ville : le Civico Museo archeologico, car j'aime retrouver les racines les plus anciennes de tous les lieux que je visite. Milan doit son nom "Mediolanum" (pays du milieu) aux Celtes qui la fondèrent au Ve siècle avant J.-C.. Les Romains la conquirent en 222 av. J.-C., puis des Barbares ont dévasté la cité dont les Wisigoths et les Lombards, peuple guerrier venu de la Baltique, se sont installés dans le Nord de l'Italie pendant deux siècles... Le musée civique est installé dans le couvent de San Maurizio et propose des collections fort intéressantes. J'ai été étonnée de ne voir personne dans les murs de ce musée et j'ai ainsi pu admirer en toute tranquillité tous les vestiges de la cité milanaise. Les fouilles ont dévoilé les objets usuels comme les lampes à huile, les bijoux, les poteries et les statuettes votives en terre cuite. Un grand plan de Milan à l'époque romaine et en trois dimensions permet de comprendre la naissance de la cité. J'ai retrouvé la civilisation étrusque avec les urnes funéraires sculptées, des bustes, des objets divers.Quelques vases grecs attiques à figures rouges en très bon état ont retenu toute ma plus grande attention et j'ai complété ma collection de photographies sur ces œuvres d'art extraordinaires. Des pans entiers de mosaïques montraient le raffinement des villas romaines. Une salle égyptienne méritait aussi le détour. Milan antique, Milan chrétien, Milan Renaissance, Milan moderne, Milan futuriste, tous les visages de cette ville composent un livre d'images passionnant à découvrir comme toutes les capitales européennes. J'ai terminé mon séjour en arpentant la belle galerie Victor Emmanuel II, cousine de la napolitaine, la Umberto, construite en 1865 sur un plan en croix latine. Beaucoup de magasins de luxe, de cafés et de restaurants donnent une ambiance fiévreuse à ce lieu ouvert sur la place du Duomo. Et en traversant la place, j'ai assisté à la cérémonie consacrée à Dario Fo, le dramaturge italien, prix Nobel de littérature. Une foule compacte et émue lui rendait un hommage sincère. Même sous une pluie intense, Milan conserve un charme certain et sa richesse culturelle surpasse de loin sa réputation commerciale de ville vouée au luxe et au football. Le luxe pour moi se résume au mot culture, un luxe que tout le monde peut s'offrir...

jeudi 20 octobre 2016

Escapade à Milan, 3

La Pinacoteca de Brera est installée dans un palais du XVIIe siècle et offre une des plus belles collections d'art italien de la Renaissance et du Baroque. J'ai, évidemment, admiré quelques peintres que j'aime particulièrement : Piero della Francesca, Bellini, Raphaël, Le Caravage. Le musée propose aussi des salles de peinture moderne et j'ai retrouvé avec plaisir "mon" Giorgio Morandi que j'avais admiré dans l'espace Novecento, près du Duomo. Cet artiste ne peint que des paysages et des natures mortes représentant des bouteilles, des bols, des vases de fleurs, des pichets et ces objets usuels d'une simplicité prosaïque me plongent dans une réflexion sur notre humble condition humaine, tissée de solitude et de déréliction. J'ai aussi remarqué quelques peintres italiens du mouvement futuriste des années 30. Découvrir toutes ces œuvres ouvre aussi des horizons nouveaux et aiguise ma curiosité intellectuelle. Je consulte des documents pour m'informer sur tel peintre, sur un mouvement, sur la Renaissance et les livres m'apportent ces connaissances indispensables. Partir et découvrir ouvrent l'esprit pour d'autres voyages intérieurs... Dans le palais de Brera, j'ai aussi visité la bibliothèque nationale de Milan, la "Braidense", un lieu de recherche toujours en activité. Les lecteurs penchés sur leurs livres donnaient une image de paix et de sérénité qu'il était bon de saisir en ces temps troubles de violences diverses dans notre pays. Si certains jeunes "hors sol" s'appropriaient ces lieux magiques pour devenir des citoyens, la paix sociale gagnerait du terrain... Je rêve, évidemment. Une ambiance harmonieuse dans l'institution se déployait à tous les étages avec des étudiants des beaux-arts dans tous les couloirs. Ce dynamisme autour de la culture me réconciliait avec notre présent et je me disais que l'héritage culturel en Italie fonctionne peut-être beaucoup mieux qu'en France... J'ai aussi découvert deux musées très intéressants : le Poldi-Pezzoli et la Casa Boschi Di Stefano. Le premier présentait des collections d'art de grande qualité dans un hôtel particulier très luxueux. Le second musée se situe dans un appartement art nouveau et offre une ambiance plus intimiste. A ma grande surprise, j'ai admiré quelques Morandi, des Chirico et des peintres italiens futuristes. Il ne faut pas oublier ces lieux confidentiels qui recèlent quelques merveilles à ne pas manquer. Je voyage dans une ville comme un enfant qui se lance dans une chasse aux trésors... Et des trésors, Milan en recèle beaucoup...

mercredi 19 octobre 2016

Escapade à Milan, 2

J'ai eu la chance de profiter de deux belles journées ensoleillées pour me promener dans les belles rues de la ville, les places et les jardins. Avec l'apparition de la pluie dès le jeudi, les musées ont servi d'abris réconfortants, remplis de merveilles. Dès le mercredi, j'ai pris le chemin du château Sforzesco en traversant la via Dante et le Milan moyenâgeux s'est profilé avec ses tours et ses remparts de briques rouges. Le Castello, bâti par les Visconti au XIVe siècle, a été détruit puis reconstruit et s'est transformé en musées divers consacrés à l'art ancien lombard, aux sculptures religieuses, aux fresques et aux armes. Ces pièces proviennent de la démolition des églises, des couvents et des palais. Mais la sculpture la plus remarquable se trouve dans la salle delle Asse : la Pieta Rondanini de Michel Ange, un marbre inachevé d'une beauté à couper le souffle. Dans la pinacoteca du château, les plus grands peintres italiens défilent sous mes yeux : Mantegna, Lippi, Lotto, Canaletto, Guardi, Tiepolo, etc. J'ai ensuite traversé le parc Sempione, le plus grand de la ville, et je me suis retrouvée devant l'Arc de la Paix, commandité en 1809. Après cette plongée dans l'art lombard, j'ai visité le quartier Navigli, composé de canaux et de maisons basses donnant un aspect de village le long de la promenade. Il reste même un lavoir, heureusement sauvegardé pour illustrer cette vie de quartier populaire. Mais, les deux plus grands musées de Milan que j'ai visités pendant les jours pluvieux ont mérité leur réputation internationale : la Pinacoteca Ambrosiana et la Pinacoteca de Brera. Pour la première galerie, quelle fut ma stupéfaction de me retrouver seule (avec mes amies, quand même) devant tant de tableaux de grands peintres : Léonard de Vinci (portrait d'un musicien), Botticelli, etc. J'ai traversé toutes les salles avec intérêt mais quand j'ai pénétré dans la bibliothèque ambroisienne, créée en 1609 avec un fonds de 700 000 ouvrages, j'ai remarqué une lumière tamisée qui ne m'a pas empêchée  d'admirer l'architecture intérieure de ce lieu consacré à la lecture. Dans le fond de la salle, la corbeille de fruits du Caravage, peinte en 1596, n'attendait que ma visite pour lui tenir compagnie... Comme j'ai toujours aimé les natures mortes, celle du Caravage surpasse les autres. J'avais envie de saisir une grappe de raisin pour savourer cette beauté picturale. J'ai quitté la Pinacothèque en acquérant le catalogue en anglais pour garder un souvenir de toutes ces œuvres d'art et quand je le feuillèterai régulièrement cet hiver, c'est le génie italien que je retrouverai... 

mardi 18 octobre 2016

Escapade à Milan, 1

Je viens d'effectuer ma dernière escapade de l'année en visitant Milan, une étape indispensable pour découvrir les richesses culturelles de l'Italie du Nord. Ce pays me fascine et je "collectionne" les villes comme on collectionne des tableaux vivants de l'art. Après la Sicile, Rome, Venise, Florence et la Toscane, Naples, je savais que Milan me réservait de belles surprises. Evidemment, cette métropole lombarde, la deuxième ville après Rome, mérite une escapade de cinq jours. J'ai pris le TGV à Chambéry et après quatre heures de route ( de rails), je suis arrivée à la gare Garibaldi. J'ai réservé ma première visite au célébrissime Duomo, la cathédrale gothique du centre ville, une des plus grandes d'Europe après celles du Vatican et de Séville. J'avoue que cet édifice ne peut qu'attirer l'admiration avec ses deux mille statues sur les façades et sur le toit.  La construction de cet édifice grandiose a démarré en 1386 sous le règne des Visconti et s'est terminé en... 1809 ! Sur la plus haute flèche, haute de 108 mètres, brille la silhouette de la Madoninna, la Vierge protectrice de la ville. Quand je suis entrée à l'intérieur de la cathédrale, j'ai retenu mon souffle devant l'immensité des cinquante deux piliers au sommet desquels s'enroulent des fresques sculptées. Les vitraux diffusent une lumière bleutée qui change constamment au fil des heures. Il fallait marquer la magnificence de la chrétienté et cet emblème religieux est devenu le cœur battant de la ville où Milanais et touristes se retrouvent en toute quiétude malgré la présence importante des militaires qui protègent ce magnifique monument. Mais, le Duomo n'est pas la seule cathédrale à visiter et j'ai découvert des églises milanaises aussi belles que celles de Rome et de Venise. Je citerai surtout l'église conventuelle de San Maurizio avec la chapelle dédiée à Sainte Catherine, couvertes de fresques incroyables dont une représentation de l'Arche de Noé et celle de San Simpliciano, fondée au IVe siècle par Saint Ambroise. Chaque église visitée constituait un musée tellement les fresques et les tableaux, les chapelles, les orgues, les autels formaient un ensemble harmonieux, nimbé de silence et de recueillement. J'ai croisé très peu de touristes dans ces lieux de culte... Bizarre, ils étaient tous devant le Duomo et surtout dans les nombreux magasins de luxe qui fourmillent à Milan. La réputation de la ville s'appuie sur la mode, le luxe et le raffinement et j'ai constaté pendant ces cinq jours la discrétion et la gentillesse de ces Italiens du Nord beaucoup plus calmes que les Napolitains... Un certain art de vivre se cultive avec le nombre des pâtisseries, des restaurants et des cafés et je n'ai pas résisté au tiramisu et aux glaces...

lundi 17 octobre 2016

Prix Nobel de Littérature

Quelle surprise de voir un chanteur de folk, même génial,  gratifié d'un prix littéraire de cette dimension après Camus, Le Clézio, Modiano pour ne citer que nos compatriotes ! Je comprends que les Suédois aient voulu moderniser, toiletter, rajeunir ce prix plus que centenaire. Mais, choisir Bob Dylan au détriment des écrivains américains qui le méritent depuis tant d'années, me laisse sans voix. Des critiques littéraires ont écrit dans la presse leur étonnement et pour certains d'entre eux leur consternation devant tant de démagogie de l'Académie suédoise. En d'autres termes, pourquoi Bob Dylan et pas Patti Smith qui, elle, dispose d'une œuvre littéraire incontestable ? J'aurais aussi décerné ce prix à Joan Baez, plus charismatique que Bob Dylan. J'avoue que je ne connais pas bien Bob Dylan, ayant peu de goût pour la chanson en général... Je baigne trop dans la musique classique pour m'intéresser à la chanson internationale qui a des milliards de fans sur la planète. Je préfère les causes désespérées et je soutiens et soutiendrai toujours les compositeurs des siècles passés qui sont peu écoutés de nos jours par les jeunes en particulier... Ce n'est pas un réflexe élitiste de ma part mais un constat de mon décalage culturel, de mes préférences archaïques alors que je devrais connaître les grands noms du rock, de la pop, du jazz, etc. Pierre Assouline dans son blog passionnant, "La République des Livres", titre son billet ainsi : "Le bras d'honneur des Nobel à la littérature américaine". L'écrivain manifeste son dépit car, à ses yeux, l'Académie suédoise a oublié volontairement les grands de la littérature américaine : Philip Roth, Joyce Carol Oates, Russel Banks, Don De Lillo. Je voulais mentionner ce fait divers culturel car le prix Nobel annonce tous les prix littéraires de l'automne et cette surprise, que certains approuveront totalement, m'a déçue mais je m'en remettrai sans problème. L'année prochaine, les Nobel vont-ils choisir un humoriste célèbre, un journaliste de talent, un homme ou une femme politique ? Ou reviendront-ils sur la terre des écrivains ? Rendez-vous le 13 octobre 2017...

lundi 10 octobre 2016

Jeudi des livres, 2

Je poursuis mon compte-rendu avec Véronique qui a beaucoup aimé le roman de Pierre Lemaître, "Au revoir, là-haut" et celui de Marc Dugain, "L'insomnie des étoiles". Danièle a choisi une nouveauté de la rentrée avec "Le garçon" de Marcus Malte, un ouvrage de plus de cinq cents pages relatant à la façon d'un conte, le destin d'un enfant sauvage au début du XXe siècle. Ce roman l'a vraiment intéressée en le comparant avec le "Cent ans de solitude" de Gabriel Marquez. Janelou a bien apprécié un très bon premier roman sur la Guerre d'Algérie, "Finir la guerre" de Michel Serfati. Elle aime les textes autofictionnels de Lionel Duroy dont son tout dernier publié en septembre, "L'absente" où l'écrivain revient sur sa mère et se réconcilie avec elle au-delà de la mort. Les règlements de compte que Lionel Duroy met en scène dans ses livres peuvent être taxés de "nombrilistes" mais, le thème de la famille a toujours nourri la littérature et continuera à l'épicer et à la troubler... Dany m'a envoyé un message pour s'associer à nos retrouvailles livresques. Elle a mentionné  "Dans les forêts de Sibérie" de Sylvain Tesson, "Un fils en or" de S.D.Gowda, "Le bruit des trousseaux" de Philippe Claudel, "A l'orée du verger" de Tracy Chevalier, pour ne citer que les premiers coups de cœur de la liste. La séance s'est terminée avec une rubrique cinéma. Mylène a vu un film sur Zweig, "Adieu, l'Europe" qu'elle a beaucoup apprécié. Janelou a cité un film très intéressant sur la danse, "La relève" sur l'Opéra de Paris et sur la vie difficile des danseurs étoiles. Nous nous retrouverons le jeudi 3 novembre pour partager livres et films du mois. La rentrée littéraire aura distribué ses nombreux prix et nous les évoquerons certainement avec plaisir. Le prix Nobel de littérature sera décerné jeudi prochain et j'ai pensé à Eri de Luca, Philip Roth, Annie Ernaux, Milan Kundera et, évidemment, les Suédois nous surprendront !   

samedi 8 octobre 2016

Jeudi des Livres, 1

L'atelier de lectures ne se tient plus le mardi, mais le jeudi... Dorénavant, nous nous retrouverons une fois par mois à l'AQCV qui m'a très gentiment prêté une salle pour nous réunir autour des livres. Ce jeudi des livres (Je dis des livres) a démarré le 6 octobre et malgré l'absence de quelques participantes, nous étions assez nombreuses pour former un groupe de lectrices très motivées. J'ai proposé d'aborder pendant les deux heures de la séance les coups de cœur de l'été. Nous avons envisagé une formule un peu plus inédite en conservant pendant la première heure, les coups du cœur du mois et dans la deuxième heure, une d'entre nous mène la séance en ayant choisi un thème ou un roman, un essai ou un écrivain. Pour lancer la nouvelle mouture pour le jeudi 3  novembre, j'ai pensé à un roman de Pascal Quignard, "Les solidarités mystérieuses", une ouverture fictionnelle à sa pensée et à son œuvre. Ensuite, je passe le "relais" pour une proposition nouvelle en décembre. Ce partage des projets de lecture permettra une participation plus active de mes amies lectrices. Mylène a pris la parole pour évoquer ses coups de cœur : "Nora Webster" de Colm Toibin, un écrivain irlandais, très apprécié dans son pays et chez nous. Il décrit la vie d'une veuve en se mettant à sa place dans les années 80. Ce temps du deuil est analysé d'une façon magistrale. Mylène a cité "Les pêcheurs d'Islande" de Pierre Loti, roman qu'elle a acheté dans la très bonne Librairie du Renard à Paimpol. La prose de Loti est toujours aussi belle dans les descriptions marines. Evelyne a poursuivi en résumant un ouvrage de Matin Arditi, "L'enfant qui mesurait le monde". L'histoire se déroule dans une petite île grecque avec trois personnages emblématiques : Maraki, une femme courage, pêcheur à la palangre (aux filets), son fils autiste, Yannis,  et un architecte américain, Eliot. Eliot a perdu la trace de sa fille qui était installée dans l'île pour effectuer des fouilles archéologiques. Un projet d'hôtel perturbe la population et la découverte des cahiers de sa fille va peut-être enrayer la spirale infernale du tourisme de masse qui dégrade les paysages grecs. Un très bon roman, selon Evelyne, helléniste de toujours et sensible aux belles histoires. La relation entre Yannis et Eliot l'a particulièrement marquée. Régine a poursuivi l'évocation des coups de cœur en nous parlant avec conviction et passion du livre de Rabih Allameddine, "Les vies de papier", publié chez l'éditeur "Les Escales". Ce journal intime est tenue par une libraire, Aaliya Saleh, âgée de 72 ans. Elle raconte sa passion de la littérature en citant ses mentors comme Pessoa (tiens, tiens), Kafka et Nabokov. Régine a précisé que ce livre ne se lit pas d'une seule traite. Il vaut mieux le savourer en accompagnant cette libraire qui a rejeté les carcans d'une société libanaise qu'elle juge trop traditionnelle. Elle nous a lu des extraits qui nous donnaient l'envie de le lire et avant de conclure, elle a ajouté un deuxième coup de cœur avec "Mémoire de fille" d'Annie Ernaux, un ouvrage d'autofiction remarquable sur sa jeunesse. Comme la séance était réservée aux coups de cœur, je consacrerai un deuxième billet lundi.

vendredi 7 octobre 2016

Rubrique cinéma

J'ai donc vu le film de Xavier Dolan, "Juste la fin du monde" et j'ai reconnu la griffe "dolanesque" dans la thématique du mal être, des dégâts psychiques qu'une famille mal assortie peut provoquer. Ce film dramatique dans son austérité théâtrale peut déranger par sa violence et sa désespérance. Le personnage principal, écrivain et homosexuel, revient dans sa famille après douze ans d'absence. Dès la première minute, on sait qu'il va mourir et il veut annoncer cette nouvelle à son frère, sa sœur et sa mère. Quand il se rend dans la maison familiale, sa mère sèche ses ongles, sa sœur hurle sur elle, son frère éclate de colère et sa belle-sœur est la seule à le recevoir gentiment sans le heurter. Ce film réunit les personnages dans un huis clos hystérique. La mère futile et agitée ne comprend pas son fils mais elle lui déclare son amour. Sa sœur a grandi mais elle reproche avec amertume et rancœur l'absence de ce frère, devenu un écrivain célèbre. Elle se sent rejetée et se dispute sans cesse avec le frère aîné. Ce frère résume à lui seul les relations familiales tissées d'incompréhension. Le verbe comprendre revient souvent dans leurs échanges volcaniques : "Je ne te comprends pas mais je t'aime quand même." Le jeune homme a abandonné cette famille à cause de sa vie amoureuse et ce retour raté lui fait comprendre que la paix et la sérénité ne règneront jamais dans ce milieu anxiogène et explosif. Une scène dans la voiture entre les deux frères me semble significative : ils ne peuvent pas communiquer. Le frère aîné lui reproche d'être dans les mots, le langage, la parole construite et élaborée et surtout, son silence, lourd de sens. Un gouffre infranchissable les sépare et le jeune écrivain finit par se taire par impuissance. Il ne dira rien, au fond. Il renonce à annoncer cette nouvelle funeste. Il préfère partir, quitter cette famille où il est impossible de se comprendre. Xavier Dolan raconte à sa façon excessive et passionnée les liens inextricables d'une famille complexe et frustre. Un film fort, troublant et intense comme son réalisateur...