vendredi 18 février 2022

Rubrique Séries : "Six Feet Under"

 Depuis quelques mois, j'ai redécouvert le charme vintage de la relecture. La lecture demande de la lenteur et dans ma jeunesse, je sais que je lisais parfois à une allure de galop. Maintenant, j'adopte le trot... Cette démarche de deuxième visite s'applique aux chefs d'œuvre de la littérature et maintenant aux séries du soir. En décembre, j'ai revu avec plaisir les saisons de Downtown Abbey dans son intégralité. On s'attache vite aux personnages, à l'ambiance feutrée d'une Angleterre délicate et délicieusement civilisée avec l'heure du thé, le salon-bibliothèque aux murs garnis de livres reliés, les domestiques liés à la famille, les classes sociales, les années 1900, la guerre de 14, les intrigues amoureuses, l'émancipation des femmes, les mésententes familiales. Ma deuxième relecture concerne "Six Feet Under" ou "Six pieds sous terre", réalisé entre 2001 et 2005 par Alan Ball. Dans cette nouvelle forme cinématographique, il est habituel de voir des super-héros aux pouvoirs particuliers, des histoires tordues d'amours impossibles, des aventures de vampires, de survivants sur une île déserte, des trafics de drogue, des adolescents perturbés, des univers fantastiques, des policiers corrompus, des médecins héroïques, etc. Comme dans le monde de la littérature, il existe des bons et de mauvais livres et dans le marché audiovisuel, on peut trouver des bonnes et de très mauvaises séries. Mais, dans cette masse d'images, quelques séries sortent du lot et deviennent des diamants noirs. J'ai donc revu les trois premières saisons de "Six Feet Under" sur les cinq et des années après, ma vision s'est renouvelée. J'ai mieux apprécié les personnages, les thèmes et les "messages" que délivre le réalisateur. Pourtant, ce sont tous des hommes et des femmes ordinaires qui se débattent dans leurs difficultés de vivre. Tous ces personnages habitent ensemble dans une entreprise de pompes funèbres (pas glamour du tout !) et ils côtoient tous les jours la mort. Chaque épisode démarre par une mort imprévisible et parfois drôle. Puis, nous suivons ces héros du quotidien. Le père décédé réapparaît dans des dialogues comme un Charon menant les morts vers les enfers. La mère esseulée cherche l'amour avec maladresse, le fils aîné rencontre une femme complexe et attirante, le fils cadet est un homosexuel tourmenté et culpabilisé et la petite dernière, artiste en herbe, tombe toujours sur des garçons paumés. Avec cette famille ordinaire, la fresque prend des couleurs vives et parfois plus sombres au fil des années. Malgré la proximité de la mort quotidienne, ils essaient tous d'affronter la vie avec courage, avec solidarité et avec panache. Cette série iconique a été classée l'une des meilleures par les cinéphiles. Un écrivain et essayiste français, Tristan Garcia, a écrit un livre sur "Six Feet Under" où il explore les personnages dans leur dimension individuelle, sexuelle, familiale, professionnelle. Chacun peut se retrouver dans ces trajectoires de la famille Fisher et des personnages secondaires devenus essentiels. La narration multiplie les points de vue, bouscule les clichés sociologiques, les stéréotypes, l'hypocrisie des relations sociales. Cette série américaine rare et passionnante mérite vraiment sa consécration par sa dimension philosophique, psychologique et sociologique. A voir absolument.