lundi 14 septembre 2020

Escapade en Provence, 2

 Le lendemain matin, je n'ai pas résisté à l'appel du paysage. Autour de moi, des vignes et des oliviers et quelques chênes. J'ai arpenté cet espace où régnait un silence quasi religieux. L'hôtel, très peu fréquenté, conservait son calme de la veille. J'ai rencontré au détour d'un chemin un vigneron plus proche de la retraite que d'une activité professionnelle et comme je m'étais perdue, je lui ai demandé la direction de l'auberge d'Anaïs. Puis, il m'a parlé de ses raisins avec amour qu'il nettoyait en les débarrassant des grains abimés : un travail d'orfèvre. Ses vignes produisaient du Ventoux et comme j'aime ce terroir, ce vigneron généreux m'a offert un bon kilo de son muscat. Un régal, ce raisin goûté en plein soleil matinal avec ce personnage tout droit sorti d'un roman de Giono. Ma deuxième journée s'est passée à l'ombre des livres. En effet, j'ai enfin découvert la célèbre librairie de Banon, le Bleuet, dans les Alpes de Haute Provence. Fondée en 1990 par Joël Gattefossé, cet espace labyrinthique de 800 mètres carrés contenait plus de 180 000 livres et représente la plus grande librairie française indépendante en milieu rural. Elle a développé un site de vente en ligne et dispose aujourd'hui d'un million de documents. Mais, la stratégie commerciale bat de l'aile. La librairie est vendue une première fois en 2014 et une deuxième fois en 2016 à un  couple de Lyonnais. J'ai arpenté les différentes salles du Bleuet où les livres sont disposés pour être feuilletés et le choix semble vraiment large. Devant la devanture, un sculpture monumentale en bois représente des livres en pile et mesure au moins six mètres. J'aime rentrer dans toutes les librairies que je rencontre sur mon chemin. Je suis repartie avec le dernier  Quignard, évidemment. Ensuite, j'ai traversé le plateau d'Albion et du Lurs pour atteindre Manosque. Je n'avais pas revu cette petite ville depuis trente ans et j'ai été stupéfaite de remarquer l'invasion des zones commerciales où l'on retrouve les enseignes les plus courues. Un spectacle que Jean Giono aurait réprouvé avec force. Quelle laideur ces zones de consommation à outrance ! J'ai quand même pu m'inscrire pour une visite guidée du Parais, la maison de Jean Giono. Une guide culturelle nous a reçus dans le jardin et après une présentation de l'écrivain, elle a guidé notre petit groupe dans les différentes pièces de la maison : la cuisine plus que modeste, une salle à manger minuscule d'une simplicité étonnante, les bureaux successifs au premier étage et surtout la présence de ses 35 000 ouvrages dans les bibliothèques en bois. Dans l'univers de Jean Giono, j'ai tout de suite éprouvé une réelle émotion devant son dernier bureau où ses manies d'écrivain se devinent : son carnet où il notait ses idées, ses porte-plumes, son dernier manuscrit sans ratures, ses pipes, ses livres de bord. Des objets modestes et simples de son quotidien révèlent des heures d'écriture et de lectures assidues. Jean Giono a vécu quarante ans dans son Parais (ou paradis) dans un Manosque rural et provençal qui n'a plus rien à voir avec la bourgade enlaidie d'aujourd'hui. J'aime reconstituer la vie de ces génies littéraires dans leur maison, un lieu choisi qui leur a permis de s'adonner à leur imagination foisonnante et fabuleuse. Et je continuerai à lire et à relire Jean Giono, une fidélité littéraire en l'imaginant penché sur sa table, rêvant à ses personnages, aux paysages de Provence et sa belle maison de Manosque.