lundi 30 janvier 2023

Rubrique Cinéma : "Tar" de Todd Field

 J'ai vu cette semaine un film "renversant" et les deux heures quarante que j'ai passées dans la salle m'ont semblé durer une heure... Il faut préciser que ce long-métrage du réalisateur américain, Todd Field, se situe dans la milieu de la musique classique et dresse le portrait d'une femme chef d'orchestre, Lydia Tar, toute vouée à son art. Le charisme et la beauté de l'actrice, Cate Blanchett, sont un atout majeur dans ce film passionnant : netteté de son jeu, voix grave, présence élégante. Cette chef d'orchestre se montre exceptionnelle dans sa maitrise de la conduite d'orchestre, mais sa vie privée laisse à désirer et elle ne la gère pas avec sa baguette d'une façon magistrale. A Berlin, dans la sublime salle d'orchestre, elle s'attaque à la Cinquième symphonie de Mahler avec une fougue passionnelle qui laisse les musiciens sans voix. Mais, cette magie de l'art musical qu'elle incarne a son contrepoint. Comme elle dispose d'un pouvoir quasi absolu dans son milieu musical, elle n'hésite pas à abuser de son immense influence pour embaucher une musicienne qui l'a charmée car elle aime les femmes. Bien qu'en couple avec une violoniste reconnue, elle se permet des escapades amoureuses dont l'une s'est terminée tragiquement, car l'étudiante a mis fin à ses jours. Ce monde assez impitoyable de la musique est décrit avec réalisme et personne n'ose s'opposer aux manœuvres abusives de Lydia Tar. Elle commet donc ces erreurs de casting en embauchant des jeunes prodiges au détriment des anciens de l'orchestre alors que la hiérarchie dans ce milieu professionnel prime. Lydia Tar cumule aussi des attaques de la "cancel culture", une vague protestataire venue des Etats-Unis et s'installant en Europe à grands pas. Selon un étudiant qu'elle forme, Bach est rejeté de ses options d'interprétation car c'est un "homme blanc, hétérosexuel et misogyne"... Elle est happée dans un tourbillon permanent autour d'elle et sa secrétaire personnelle, (interprétée par Noémie Merlant), facilite longtemps sa conduite. Le wokisme, les réseaux sociaux, metoo dénoncent l'attitude de la cheffe d'orchestre qui va tomber de très haut alors qu'elle se sentait invincible dans sa mode de vie. Elle finit par démissionner de son poste prestigieux et se réfugie dans un pays asiatique pour poursuivre sa carrière. Elle a tout perdu : sa compagne, sa secrétaire, son milieu et sa gloire professionnelle. Sa conduite narcissique l'a ruinée. Le réalisateur américain a mûri son projet depuis une dizaine d'années et propose une réflexion sur le pouvoir et ses abus inévitables. Un film original, intelligent et musicalement percutant.