lundi 28 août 2023

"Les yeux ouverts", Marguerite Yourcenar, 3

 Dans ce livre emblématique, Marguerite Yourcenar évoque ses essais moins connus que ses romans comme "Sous bénéfice d'inventaire" et ses traductions dont celles du récit, "Les vagues" de Virginia Woolf. Elle a rencontré l'écrivaine anglaise pour lui demander des conseils et celle-ci lui a répondu : "Faites ce que vous voulez". La jeune Marguerite, âgée de trente ans, relate son impression lors de cette entrevue unique : "Elle paraissait très menacée, très fragile". Mathieu Galey lui pose des questions sur sa grande saga magnifique, des mémoires intitulées "Le Labyrinthe du monde" avec les trois tomes : "Souvenirs pieux", "Les archives du Nord" et "Quoi, l'éternité" publiés entre 1973 et 1988. A la soixantaine, sa démarche autobiographique se résume ainsi dans cet entretien précieux pour comprendre la genèse de ses ouvrages : "Il s'agit pour moi de donner une pensée à ces millions d'êtres qui vont se multipliant de génération en génération (...) à l'immense foule anonyme dont nous sommes faits, aux molécules humaines dont nous avons été bâtis depuis qu'a paru sur la terre ce qui s'est appelé l'homme". Pour composer ses souvenirs personnels, l'écrivaine disposait de documents familiaux dans lesquels elle puisait des informations précises. Elle rend un hommage vibrant à son père, Michel, à qui elle doit tout : son éducation, sa mémoire familiale, sa culture et sa vision de la vie. Quand le journaliste l'interroge sur "la souffrance d'écrire", elle lui répond que l'écriture est un travail, "presque une jeu et une joie parce que l'essentiel, ce n'est pas l'écriture, c'est la vision". Elle ajoute même qu'elle a imaginé ses personnages pendant dix ans avant de les faire naître sur le papier. Dans ses brouillons, elle supprime "tout ce qui peut être supprimé" et elle écrit en bas de page le nombre de mots éliminés. A la fin de cet entretien, elle livre quelques règles de vie inspirées d'une sagesse bouddhiste : "éliminer les mauvais penchants, s'adonner à l'étude, tenter de toujours se perfectionner et, enfin, tenter par l'amélioration de soi d'arriver à l'amour des autres".  En conclusion, elle déclare en fin d'entretien qu'elle "va de l'avant" et espère garder longtemps "le yeux ouverts", une curiosité sans cesse à l'affût dans ses voyages comme dans son Ithaque américain. Elle est partie rejoindre ses chers Habrien et Zénon en 1987 et pour la retrouver, il faut lire ce très beau témoignage qu'elle a nous offert avec Mathieu Galey. Une très grande dame de la littérature française à fréquenter régulièrement. 

jeudi 24 août 2023

"Les yeux ouverts", Marguerite Yourcenar, 2

Dans cet entretien essentiel pour connaître Marguerite Yourcenar, il est aussi question d'elle, de son rapport à l'argent en particulier et elle déclare qu'elle a "horreur de la possession, l'horreur de l'acquisition, de l'avidité". Son rapport à l'amour aussi s'avère bien subtil : "Je crois d'ailleurs que l'amitié, comme l'amour dont elle participe, demande presqu'autant d'art qu'une figure de danse réussie. Il y faut beaucoup d'élan et beaucoup de retenue, beaucoup d'échanges et de paroles et beaucoup de silences". Avec l'aide du journaliste, elle présente en profondeur tous ses ouvrages comme "Feux", "Les songes et les sorts", "Les nouvelles orientales" tout en précisant les influences qu'elle a reçues des cultures diverses comme celles du Japon et de l'Orient. L'écrivaine raconte son itinéraire de Paris aux Etats-Unis en 1939 alors qu'elle souhaitait s'installer en Grèce. Elle a trouvé un poste de professeur de français mais cette expérience ne lui laissera pas de souvenirs impérissables. Comme elle l'a dit dans un de ses textes, sa véritable patrie, ce sont les livres. Et elle n'a pas ressenti de nostalgie pour la France et l'Europe. A partir de 1942, son petit coin de paradis dans le Maine l'a comblée tellement elle aimait la nature, les animaux, le silence et le calme. Mais cela ne l'empêchait pas de vivre au rythme du monde : "Il ne se passe pas un matin où, en me levant, je ne songe d'abord à l'état du monde, pour m'unir un instant avec toute cette souffrance et on réussit pourtant à être heureux parfois, malgré cela, mais d'une autre espèce de bonheur". Elle évoque sa vie quotidienne, entre lectures et écriture, visites des voisins, correspondance active, balades dans la nature proche, sorties chez des amis sans oublier de fabriquer son pain et de préparer de petits plats. Une vie sobre et modeste car elle ne voulait pas encombrer le monde avec des objets inutiles. En 1948, elle réceptionne une malle et elle retrouve les brouillons d'Hadrien qu'elle avait oubliés. En analysant la conception des "Mémoires d'Hadrien", elle se souvient de sa visite (à l'âge de 20 ans) à Tivoli, près de Rome et comme elle est pétrie de la même culture gréco-romaine qu'Hadrien, elle choisit la forme du monologue pour relater la vie de cet empereur philosophe, réformateur, en un sens, "un homme de la Renaissance". Paru en 1951, ce livre a rencontré l'enthousiasme des critiques et du public. Puis, la même profondeur d'analyse concerne "L'Œuvre au noir", un roman capital dans le panorama de la littérature française, paru en 1968. Entre Hadrien et Zénon, l'écrivaine déclare : "Il est certain, en tout cas, que l'empereur est naturellement solaire, et Zénon naturellement nocturne. Ce sont les deux pôles complémentaires de la sphère humaine telle que je l'ai contemplée". (La suite, demain)

mercredi 23 août 2023

"Les yeux ouverts", Marguerite Yourcenar, 1

 Quand j'ai trié mes livres cet été pour préparer un lot de dons, je suis tombée sur un vieux bouquin des Editions Le Centurion, publié en 1980, "Les yeux ouverts" où Marguerite Yourcenar (1903-1987) se confie au journaliste littéraire, Mathieu Galey. Comme je venais de lire "Denier du rêve", j'ai eu la curiosité de relire ce document qui m'accompagne depuis plus de quarante ans. Je ne me suis jamais séparée de ces entretiens et j'ai bien eu raison de me replonger dans l'univers fascinant de cette magicienne de la littérature. Et pourtant, j'ai lu les deux biographies qui lui étaient consacrées, des articles sur elle, des émissions sur France Culture. J'ai l'impression de la connaître comme une amie. Dans ce livre, "Les yeux ouverts", je la retrouve encore plus proche, plus authentique, plus sincère sans filtre malgré la présence du journaliste qui lui pose des questions intelligentes et percutantes. Il n'hésite pas à franchir l'océan atlantique pour se rendre sur l'ile de Mount Desert, à "Petite Plaisance", la maison blanche en bois où elle a choisi de vivre avec sa compagne américaine, Grâce. Comment devient-on Marguerite Yourcenar ? Je me pose souvent la question devant un écrivain, un peintre, un artiste, un créateur. Pour la petite Marguerite, l'arrivée au monde se passe mal car sa mère meurt quand elle était toute petite. Mais elle possède un père exceptionnel, fantasque, cultivé, malicieux, d'un esprit de liberté rare à l'époque. Son éducation culturelle passera par lui et par des précepteurs. A l'âge de neuf ans, elle lisait du Racine, Aristophane, Homère. A douze ans, elle parle le grec et le latin. Son père l'emmène dans ses nombreux voyages surtout en Grèce et en Italie. Son éducation religieuse sera courte mais elle s'intéresse à la sensation du "mystère" qui entoure les croyances. Elle dit aimer les rites, en particulier ceux de la religion orthodoxe. Le sacré est un "mot qu'il faut prendre au sérieux" et ajoute : "il m'en est tout de même resté le sentiment de l'immense invisible et de l'immense incompréhensible qui nous entoure". Elle va vite se passionner pour le passé qui permet de comprendre le présent. Sa grande passion se nomme l'Antiquité grecque et romaine. Quand elle évoque le personnage le plus emblématique de son œuvre, l'Empereur Hadrien, elle l'a imaginé dès l'âge de vingt ans ainsi que Zénon dans "L'œuvre au noir". A 24 ans, elle compose "Alexis ou le traité du vain combat" qui la fera connaître dans le milieu littéraire. Cet homme singulier écrit une lettre à sa femme pour lui avouer son homosexualité. Ce récit fictif, influencé par Rilke, se lit encore aujourd'hui avec beaucoup d'intérêt. Elle raconte avec malice qu'en recevant une avance sur recettes à la publication de ce premier roman, elle est rentrée chez Lalique acheter un vase bleu qu'elle a toujours conservé chez elle. (La suite, demain)

lundi 21 août 2023

Rentrée littéraire de l'automne

Des articles sur la rentrée littéraire pointent leur nez dans les médias. Après le 15 août, les éditeurs commencent à s'agiter pour réserver des surprises aux potentiels lecteurs et lectrices, gourmands et gourmandes de nouveautés. Comme tous les ans, la presse signale la quantité de romans :  345 romans français et plus de 180 romans étrangers vont donc apparaître dans nos librairies et dans les gondoles des grandes surfaces. Livres Hebdo, la revue des professionnels du secteur, constate une baisse de 10% par rapport à l'année dernière. Donc, il faut se féliciter de cette sobriété retrouvée pour choisir avec plus de sérénité les romans les plus marquants de l'an 2023. Il semblerait que les débutants en littérature seront moins nombreux sur les tables. Déjà, je vais me précipiter chez Garin le mercredi 23 aout pour acquérir le dernier Pascal Quignard avec ses "Heures heureuses", une suite attendue de son "Dernier Royaume" où l'on compte une dizaine de volumes. Cette somme monumentale de Pascal Quignard a démarré en 2002  et je ne cesse de la relire. J'ai terminé cet été le troisième tome, "Abymes", une relecture encore plus intense que la première. Dans cette rentrée, quelques fidèles reviennent comme si l'éternel retour concernait quelques auteurs et autrices : Amélie Nothomb, Sorj Chalandon, Serge Joncour, Eric Reinhardt, Patrick Deville, etc. Déjà, un titre se distingue, celui de Laurent Binet, "Perspectives" dont le roman évoque sous forme épistolaire, la Florence des Médicis. Marie-Hélène Lafon sortira aussi un essai sur Cézanne, "Des toits rouges sur la mer bleue". Il faut attendre Patrick Modiano en octobre avec "La danseuse" chez Gallimard. Je ressens un effet de gourmandise en découvrant ce vaste champ de textes imprimés que je vais feuilleter avec un grand plaisir chez les libraires. Comme devant une vitrine de pâtisserie, je ne sais si le gâteau convoité réservera une bonne surprise à mon palais. Je rentre dans une librairie avec une envie de découvrir de nouveaux talents ou des valeurs confirmées depuis des années. Les journaux et les hebdos donneront vite leurs avis de spécialistes surtout quand les jurys littéraires vont communiquer leurs préférences, leurs poulains au départ des prix automnaux. Leurs choix vont considérablement limiter la liste des nouveautés à lire car sur les 500 romans nouveaux, il en rester une cinquantaine et encore à vraiment lire ! Et sur cette cinquantaine, peu d'entre eux résisteront à l'usure du temps. Quels seront nos "classiques" du XXIe siècle ? Les paris sont ouverts. Pour le moment, je n'ai pas une idée précise des futurs "pléaidisés"... Quelques noms peut-être me viennent en tête : le mystérieux Pascal Quignard, le timide Patrick Modiano ? Et les femmes ? Hélène Cixous, peu connue du grand public mais une grande voix de la littérature française... En attendant les nouvelles Pléiades de 2030, découvrons avec plaisir les artisans et artisanes d'une bonne littérature de qualité ! 

jeudi 17 août 2023

"Les archives des sentiments", Peter Stamm

Peter Stamm, écrivain suisse allemand, vient de publier son huitième roman, "Les archives des sentiments" chez l'éditeur Christian Bourgois. Le narrateur a été licencié de son entreprise pour cause de numérisation des archives. Car il occupait un poste de documentaliste dans un journal. Cet homme si soucieux des archives décide même de les racheter avant d'être détruites. Il les recueille dans sa maison, héritée de ses parents et il en fait l'éloge ainsi : "Les archives ne renvoient pas au monde, elles sont une copie du monde, un monde en soi. Et à la différence du monde réel, elles ont un ordre, tout y a une place déterminée... Voilà la véritable finalité des archives. Etre là et créer un ordre". Pour mieux supporter sa vie de solitaire, le narrateur classe et reclasse ses dossiers pour s'ancrer dans la réalité du monde. Dans sa retraite isolée, un souvenir lui revient en compulsant un dossier : un prénom, Franziska. Ils se sont connus sur les bancs de l'école et il était amoureux d'elle dans leur adolescence. Mais, la vie les a séparés et ils se sont perdus de vue. L'un des dossiers, le plus volumineux de tous, conservés dans sa cave concerne la jeune fille, devenue une chanteuse populaire rebaptisée Fabienne. Il se remémore cet amour manqué tout en rêvant d'elle chaque jour de sa vie. Il raconte leurs rencontres et l'impossibilité de leur couple. Elle aura plusieurs compagnons successifs et une carrière de chanteuse. Dans ce roman rêveur, le narrateur évoque cet amour perdu entre réel et irréel. Il cherche à la recontacter en lui envoyant un message et elle lui répond en acceptant de le revoir. Que va-t-il se passer lors de ses retrouvailles. Ce sera l'occasion pour lui de lui avouer qu'il l'a toujours aimée. Et elle, qu'est-elle devenue ? Après trente ans de séparation, peut-on revivre un amour perdu ? Au fond, son métier d'archiviste l'influence car il a lui-même archivé cet amour qui n'a pas subi les effets du temps. Peut-on conserver l'amour comme un dossier classé, le mettre à l'abri contre le temps destructeur ? Il faut lire ce roman plein de charme et de mélancolie pour découvrir cette histoire d'amour atypique et romantique. Ce narrateur si méticuleux dans son métier en "mettant de l'ordre dans le désordre du monde" (formule d'Alberto Manguel dans une dédicace d'un de ses livres) ne se conforme pas à cette règle car sa vie ressemble plus à une déroute hasardeuse et à un manque d'initiatives comme celle de se déclarer amoureux même si ce fantasme perdure dans sa tête : "Je devrais dire que je l'aime encore, mais je ne suis pas certain que ce soit vrai, si c'est elle que j'aime ou les souvenirs que j'ai d'elle". Compliqué, ce narrateur... 

mardi 15 août 2023

"La Cousine Bette", Honoré de Balzac, 2

 La machiavélique courtisane, Valérie Marneffe, séduit tous les hommes et elle entretient cinq relations en même temps : le baron Hulot, le jeune artiste polonais, le commerçant Crevel, un comte brésilien et son mari fantoche ! Quel appétit d'amour vénal et d'ambition démesurée ! Détestable Valérie, admirée et aimée de la cousine Bette qui ne rêve que de cette vie facile et confortable. Leur relation affective souterraine apporte au roman une dose d'intrigue policière. Au fond, ce roman du XIXe siècle ressemble fortement à un super thriller dans le milieu parisien de l'époque. Le comte polonais pourtant amoureux de sa femme, Hortense, tombe dans les bras de la courtisane. Il ne sera jamais un artiste confirmé et adulé. Lisbeth dans sa noirceur totale veut aussi épouser le frère du baron Hulot pour sa sécurité. Ce vieil homme, militaire glorieux, apprend la faillite de son frère qui a commis des fraudes financières pour couvrir les dépenses de sa maîtresse. A la fin du roman, le baron Hulot, déshonoré, s'enfuit de son foyer et se reconvertit dans un Paris clandestin. Adeline, femme naïve et innocente, pardonne les frasques indignes de son mari volage et le recherche pour sa rédemption. Valérie, la cynique, finit par épouser le commerçant Crevel mais la vengeance de son amant brésilien va provoquer sa mort par empoisonnement. Elle va mourir d'un mal mystérieux. La morale est sauvée. Adeline récupère son mari et la cousine Bette meurt de rage tellement son complot a échoué. Et le baron Hulot ? Alors que sa femme continue de l'aimer malgré ses frasques continuelles, il perpétue son fatal destin. Il s'accapare d'une jeune domestique de sa femme et part avec elle ! Adeline finira par mourir de ce dernier forfait. Ce qui ressort de ce roman puissant et dense, c'est la personnalité hors norme de la cousine Bette : l'équivalent d'un Vautrin féminisé mais doté d'une haine incommensurable envers cette famille Hulot. Honoré de Balzac décrit aussi une société dominée par l'argent et par une bourgeoisie commerçante. Ce roman a été diffusé en roman feuilleton pour concurrencer Eugène Sue et l'écrivain l'a écrit en deux mois ! Adapté au cinéma à plusieurs reprises, je le verrai bien en série avec de tels personnages ! On dit parfois que l'on s'ennuie en lisant un classique. Quelle erreur ! Balzac le démontre avec sa cousine Bette !

lundi 14 août 2023

"La Cousine Bette", Honoré de Balzac, 1

 J'avais envie de relire un roman de Balzac cet été après avoir vu l'émission sur l'écrivain, diffusée sur France 5. J'ai choisi "La Cousine Bette" dans l'édition Garnier-Flammarion en poche. L'abondance des notes en bas de page nous éclaire beaucoup sur le monde balzacien, une planète fictionnelle impressionnante par la quantité de personnages et de situations romanesques. On peut aussi sauter toutes ces notes et poursuivre la lecture sans l'interrompre. Que raconte l'écrivain de la Comédie humaine ? Publié en 1846, le roman fait partie des "Scènes de la vie parisienne". La cousine Lisbeth Fischer, surnommée Bette, est recueillie par sa cousine, Adeline Hulot, qui a pitié de sa pauvreté. A plus de quarante ans, elle rumine une vengeance impitoyable : sa vie ressemble à un ratage total : aucune famille proche, ni mari, ni enfant, aucun métier et d'une solitude extrême. Elle va s'associer avec une jeune courtisane, Valérie Marneffe, qui séduit le pitoyable Hulot, le mari d'Adeline. Cette femme sans scrupules passe un pacte diabolique avec la cousine Bette pour détruire la famille d'Adeline. La cousine Bette s'est entichée d'un jeune comte polonais exilé, orfèvre artiste et elle va tout faire pour le sauver de la misère. Mais ce jeune homme n'éprouve qu'une grande gratitude et repousse une proposition de mariage avec Lisbeth. D'autant plus qu'il est tombé fou amoureux d'Hortense, la fille d'Adeline et du Baron Hulot. Le mariage a lieu entre les deux tourtereaux. Valérie poursuit ses conquêtes avec un commerçant parvenu, Célestin Crevel alors qu'elle est aussi mariée avec un bureaucrate ambitieux, seulement petit chef dans son service administratif. Dans un registre balzacien, le couple Bette-Valérie représente le vice absolu et Adeline représente la vertu. Adeline pardonne tout à son baron de mari, submergé par son désir sexuel auquel il sacrifie tout. La cousine Bette, aigrie, laide, maladivement jalouse va ourdir un complot permanent contre sa cousine Adeline en misant sur une hypocrisie trompeuse avec cette famille Hulot. Et surtout dans ce roman, il est question d'argent, de francs mais dans les notes de bas de page, le franc de l'époque est converti en euros. Dans un des restaurants que fréquentaient les parisiens, un repas pouvait coûter jusqu'à 170 euros ! L'argent rythme la vie des personnages entre richesse et faillite, dettes et héritages, pensions et charges. L'argent ou le destin raté ou réussi, une étrange situation pour le baron Hulot en particulier qui va mettre toute sa famille en danger. (La suite, demain)

vendredi 11 août 2023

"Zuckerman délivré", Philip Roth

 Dans la Pléiade "Philip Roth", j'ai poursuivi ma lecture du deuxième roman, "Zuckerman délivré" après avoir évoqué dans ce blog, "L'écrivain fantôme". Nathan, un double négatif de l'écrivain, avait raconté dans le premier volume sa visite avec un grand écrivain retiré à la campagne, E.I. Lonoff. Il a rencontré aussi la jeune Amy Bellette qui a déclenché chez lui des fantasmes érotiques. Il attire aussi la colère de son père qui désapprouve ses écrits sur sa propre famille, d'origine juive. Dans le "Zuckerman délivré", il s'est passé quinze ans de plus et il est devenu un écrivain reconnu et apprécié avec son roman, "Carnonsky", bestseller scandaleux comme le "Pornoy" de Philip Roth. Il s'est séparé de sa quatrième femme (!), Laura, et se retrouve célibataire. Il vit dans un beau quartier de New York.  Mais, sa notoriété le fragilise car il est harcelé par un homme quelque peu déséquilibré, Alvin, qui le pourchasse au téléphone pendant la nuit. Il entreprend une relation amoureuse avec une star du cinéma qui l'abandonne très vite pour rejoindre un amant qui s'appelle "Fidel Castro" ! Sur le plan familial, rien de va plus : son père est en train de mourir et il se sent culpabilisé par le traitement qu'il a réservé à sa famille en critiquant leurs manières de vivre. Il sera pourtant "délivré" de ce poids moral. Dans son roman qu'il a publié avec succès, il raconte ses prouesses sexuelles et il affirme qu'il ne faut pas le confondre avec ce personnage loufoque. Zuckerman ou la créature de papier de l'écrivain américain, lui permet d'exposer "la métamorphose de la subjectivité", une transformation perpétuelle d'un "Moi" aléatoire. Dans le premier volume, il est tout admiratif d'un mentor littéraire. Dans le second, il a changé avec l'influence du succès et ses funestes inconvénients : "Tout peut arriver, et c'est précisément ce qui arrive : tout". Ce roman d'une virtuosité flamboyante se lit avec plaisir car il ne faut pas oublier l'humour féroce de Philip Roth dans toutes ses œuvres (c'était un grand ami de Milan Kundera) et il cultivait cette distance ironique avec les personnages fictifs. Fiction et réalité, mensonge et vérité, l'écrivain américain brouille les pistes pour déstabiliser son lectorat. Philip Roth traite de plusieurs thèmes dans ce roman baroque : les affres de la célébrité et son lot de "cinglés" harceleurs, l'incompréhension de sa famille et de ses lecteurs et lectrices, les problèmes du couple, les relations hommes-femmes, la sexualité. Son roman, "Zuckerman délivré", ressemble à une autobiographie déguisée, travestie. Philip Roth propose une prouesse littéraire mâtinée d'un humour caustique et d'une vérité dérangeante sur la "comédie humaine". 

jeudi 10 août 2023

"Quel est donc ton tourment ?", Sigrid Nunez

 Dans le dernier "Le Monde des livres" de fin juin, l'équipe du journal recommande des livres pour l'été et j'ai été attirée par ce titre évocateur, "Quel est donc ton tourment ?", de l'écrivaine américaine Sigrid Nunez, publié chez Stock dans la collection "La Cosmopolite". En exergue, Simone Weil, la philosophe, écrivait : "La plénitude de l'amour du prochain, c'est simplement d'être capable de lui demander : quel est donc ton tourment ?". A partir de cette vertu morale et rare que représente l'empathie, la narratrice raconte les rencontres qu'elle fait dans sa vie quotidienne : un ex-compagnon devenu conférencier extrêmement pessimiste sur l'avenir de la planète, une voisine acariâtre et esseulée, une logeuse incapable de communiquer avec les autres. La narratrice est à l'écoute des autres. Mais, quand une amie de jeunesse lui demande l'impossible, elle accepte quand même ce projet par générosité. Quel est donc la demande de cette amie ? Elle lui propose de l'assister dans sa décision de mettre fin à sa vie car elle souffre d'un cancer incurable. Le noyau du récit se situe dans cette confrontation entre une amie qui va mourir et la narratrice, tenant le rôle de témoin consolateur. Et autour de cet évènement tragique, Sigrid Nunez intercale des moments plus légers, plus futiles pour amortir le choc des mots dans le processus de la maladie de son amie : des bribes de conversation, un roman policier raconté, les problèmes du vieillissement, des commentaires sur des films. Ces digressions, ces bifurcations apportent des respirations au texte et ressemblent à une mosaïque du quotidien tissé d'instants consécutifs sans lien logique, dans un désordre vivifiant. La narratrice accepte l'accompagnement de son amie par générosité, par sollicitude. Elles partent dans une location pour accomplir le geste irrémédiable d'un suicide par médicaments pour mettre fin à la douleur. Un portrait de son amie se dessine : courageuse, digne, déterminée mais aussi paniquée, révoltée par son cancer. Cette ancienne journaliste a tout organisé avec un sang froid héroïque. Elle ne veut pas prévenir sa fille avec laquelle elle n'a presque plus de lien. Quand elles arrivent dans ce gîte, la vie s'organise entre elles d'une façon harmonieuse, presque rieuse pour jouir des bons moments que la nature environnante leur offre. Des instants de grâce dans une amitié partagée.  Certains lecteurs et certaines lectrices hésiteraient à découvrir ce roman autour d'un sujet grave et dramatique, d'une tristesse infinie. Mais non, ce livre est un hymne à la vie et il déborde de tendresse, de légèreté et de sagesse.    

mercredi 9 août 2023

"Deux vies", Emanuele Trevi

 J'avoue que je ne connaissais pas l'écrivain italien, Emanuele Trevi, qui n'est pourtant pas totalement inconnu. Né en 1964, il a publié trois ouvrages chez Actes Sud et il a obtenu le prix Strega en 2021 (l'équivalent du Goncourt en Italie) pour son livre, "Deux vies", édité chez Philippe Rey. Dans ce récit, le narrateur évoque deux de ses amis, prématurément disparus, tous écrivains comme lui : Rocco Carbone (1962-2008) et Pia Pera (1956-2016). Ils formaient tous les trois un trio inséparable et solidaire. Emanuele Trevi ne veut pas qu'ils tombent dans l'oubli. Il prend sa plume pour honorer leur mémoire en leur redonnant la vie dans ces pages lumineuses et sereines. Le premier portrait concerne Rocco qu'il a rencontré en 1983 à Rome. Cet ami, un fou de littérature, est atteint "d'infélicité". Ce terme étonnant rappelle la mélancolie : "Plus on s'approche d'un individu, plus il ressemble à un tableau impressionniste, ou à un mur écorché par le temps et par les intempéries". Ce garçon pourtant doué et élevé dans une famille aimante était animé d'un "mal d'exister lourd, inerte, désespéré". Cette "puissance obscure" l'a "assiégé, encerclé, contaminé". Son amie, Pia Pera, était un "être intense, douée d'une âme réceptive et sensible". Elle parlait le russe et a traduit quelques écrivains de ce pays. Elle a connu un échec cuisant avec un roman où elle prenait le point de vue de "Lolita", le roman de Nabokov. A la fin de sa vie, atteinte d'une sclérose en plaques, Pia Pera s'est retirée dans son domaine familial de Toscane pour écrire un très beau livre sur sa passion du jardinage, "Ce que je n'ai pas encore dit à mon jardin", publié chez Arthaud. Ces deux écrivains n'ont rien en commun mais pourtant ils partagent tous les deux le même destin : ne pas avoir connu une certaine reconnaissance littéraire et mourir trop tôt. Rocco se tue au volant d'une mobylette à Rome et Pia de sa maladie invalidante. Emanuel Trevi raconte la vie littéraire de son époque en Italie, une période féconde qu'il analyse avec une acuité profonde. Et il présente ses deux amis tels des "blessés de l'écriture". Rocco Carbone, très exigeant, creusait ses textes comme "un casseur de pierres". Pia rencontrera le succès trop tard. L'auteur égrène aussi dans ce récit sensible des réflexions sur l'amitié, sur l'amour, sur la littérature. Il avoue qu'il a tenté de recréer ces "deux vies" alors que "nous n'avons plus entre les mains qu'un scintillement d'images hésitantes, fugitives". Ce très beau récit m'a donné envie de découvrir ces trois écrivains italiens dont quelques livres ont été traduits en français.

mardi 8 août 2023

"Mrs Dalloway", Virginia Woolf, 2

Le personnage de Septimus est particulièrement poignant car le jeune homme se défenestre au moment même où son médecin cherche à l'interner. Quel lien avec Clarissa ? Aucun à priori mais dans la soirée qu'elle organise, ce médecin est invité et il mentionne cet événement qui la bouleverse alors qu'elle ne le connaît pas. Un des thèmes majeurs de l'œuvre woolfienne se situe dans le rapport à soi et aux autres : qui est-on vraiment ? Septimus est-il le vrai moi de Virginia, atteinte comme lui de crises, d'hallucinations, de dépressions ? Clarissa représente le double de l'écrivaine dans sa vie sociale, mondaine, urbaine. Les Woolf recevaient et sortaient beaucoup comme les Dalloway. Clarissa mène une vie scindée en deux, un moi privé et un moi public, une vie intime et une vie sociale. Mais une faille peut surgir entre ces deux pôles. La fêlure de Clarissa est peut-être fondée sur son "snobisme". Elle a renoncé à Peter Walsh par peur d'une mésalliance et lui a préféré un compagnon ennuyeux mais plus ambitieux et socialement élevé. Dans sa cinquantaine, un trouble la saisit sur cet "erreur" de parcours. Elle retrouve aussi une ancienne amie, Sally, qui l'avait charmée dans sa jeunesse. A-t-elle oublié de vivre à cause de ses choix raisonnables et raisonnés ? Est-elle passée à côté de quelque chose ? Sa mélancolie sur le temps qui passe dans son irréversibilité se manifeste à travers ses états d'âme fluctuants tout en recherchant une preuve de son bonheur : elle veut "sauver cette partie de la vie, la seule précieuse, ce centre, ce ravissement que les hommes laissent échapper, cette joie prodigieuse qui pourrait être nôtre". Impressions, souvenirs, réminiscences, descriptions du réel, surgissement de la rêverie, personnages du passé, du présent : comment concilier le langage et le silence, le calme et le bruit, le mouvement et l'immobilité, l'oubli et le souvenir ? Virginia Woolf se confie sur ces thèmes abordés par l'ensemble des personnages qui représentent tous une partie d'elle. Ce roman dense, poétique, profond demande un certain effort de lecture, une concentration certaine mais quelle récompense ensuite ! Paraît-il qu'il ne se passe rien dans ce livre disent certains lecteurs et lectrices. J'ai envie de leur répondre que Virginia Woolf nous offre une aventure extraordinaire, celle de l'esprit, de l'intériorité, de l'intimité pour comprendre un peu la vie qui est là, en nous et hors de nous. Prenons le temps "lent" et "dense" de lire et de relire Virginia Woolf. 

lundi 7 août 2023

"Mrs Dalloway", Virginia Woolf, 1

 Comme tous les étés, j'ai un rendez-vous avec ma chère Virginia, une amie de très longue date, plus de quarante-cinq ans de compagnonnage. Je parle de Virginia Woolf, une écrivaine anglais fabuleuse, une icône de la littérature mondiale. Les critiques littéraires évoquent souvent des noms d'écrivains quand on leur parle des géants du XXe siècle comme Céline, Proust, Joyce, Faulkner. Mais peu de spécialistes parlent de Virginia Woolf. Serait-ce un oubli basé sur une certaine misogynie ou sur une inculture notoire ? Pour moi, l'écrivaine anglaise a marqué le siècle précèdent dans toutes les dimensions : littéraire, politique, sociologique et philosophique. Son essai "Une chambre à soi" a eu une influence certaine sur la libération des femmes et a servi de prise de conscience pour de nombreuses générations sur un élément fondamental : l'indépendance financière des femmes. J'ai donc relu pour la quatrième fois, avec un sentiment d'admiration constante, son chef d'œuvre absolu, "Mrs Dalloway", publié en 1925 et édité chez Folio, traduit par Marie-Claire Pasquier. Plus je navigue dans la prose sinueuse et poétique de Virginia, plus je l'apprécie, je la savoure tout en l'analysant et à un détour de phrase, j'entends la voix de Virginia dans ses réflexions philosophiques. Dès les premières lignes, Mrs Dalloway, Clarissa de son prénom, issue de la grande bourgeoisie londonienne, quitte son appartement pour aller chez le fleuriste. Tout autour d'elle, Londres en 1923 et ses bruits dont les sons de Big Ben, des passants, des voitures, des couleurs chatoyantes, des mouvements perpétuels. Elle rêve, Clarissa, elle pense sans cesse. Ses pensées intimes dérivent sur le flot du réel. Cette technique littéraire du "flux de la conscience" s'apparente au monologue intérieur. Quand elle revient chez elle, son mari absent de la maison a été invité chez une amie. Un soupçon d'infidélité la taraude et elle songe à son premier soupirant, Peter Walsh. A-t-elle fait le bon choix en épousant Richard Dalloway ? Celui-ci a quitté l'Inde pour revenir en Angleterre et rend une visite imprévue à Clarissa. Leur passé commun réveille en eux des souvenirs nostalgiques. En contrepoint, un personnage sans lien avec l'héroïne du roman, Septimus Warren Smith, un jeune militaire revenu du front, souffre d'un trouble de stress post-traumatique. Virginia Woolf décrit la folie du jeune homme avec une connaissance pratique car elle a connu elle-même des dépressions nerveuses graves. Elle règle ses comptes avec les médecins psychiatres de son époque. (La suite, demain)

vendredi 4 août 2023

"L'écrivain fantôme", Philip Roth

Quand j'aime un écrivain, je me conduis avec une fidélité indéfectible et j'ai toujours envie de découvrir l'ensemble de leurs écrits. Cet effet boulimique concerne en particulier Philip Roth car ses romans emblématiques m'ont marquée profondément en particulier sa saga sur l'Amérique avec "Pastorale américaine", "J'ai épousé un communiste" et"La tâche" sans oublier son émouvant chef d'œuvre, "Némésis".  J'avais lu il a très longtemps le cycle "Zuckerman" et j'avais une envie irrésistible de redécouvrir l'écrivain car Gallimard a commencé à publier ses romans dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Dans le tome 2 publié récemment, l'éditeur Gallimard a eu l'excellente idée de réunir dans un seul volume la série sur Nathan Zuckerman, un double de l'écrivain lui-même publié entre 1981 et 1987. La trilogie commence par "L'écrivain des ombres" (The Ghost Writer) paru en 1979 aux Etats-Unis. Le jeune écrivain, Nathan, commence à connaître le succès dans ses nouvelles car il décrit la communauté juive de son enfance dans les années 60. Il est invité chez un écrivain qu'il admire, E.I. Lonoff, vivant retiré dans les collines du Massachusetts. Autour de l'écrivain, Hope, sa femme, effacée et discrète, s'est dévouée à son mari et Amy, une jeune secrétaire archiviste, s'occupe de l'œuvre de Lonoff. Le jeune Nathan tombe amoureux d'Amy mais cette histoire n'est qu'un fantasme. Comme il passe la nuit dans le  bureau de l'écrivain, il entend des bruits suspects, des voix entre le vieil écrivain et sa secrétaire. Le lendemain matin, Nathan assiste à une scène de jalousie entre les époux Lonoff. Le narrateur explore son mentor en littérature en analysant la distance entre l'homme privé et le personnage public. Qui est vraiment Lonoff ? Qui est Amy ? Son imagination flamboyante lui dicte qu'elle pourrait être Anne Frank, rescapée en Amérique. Cette fécondité imaginative du narrateur emballe le roman dans ses multiples interrogations sur l'identité juive, sur le trouble des relations amoureuses, sur le poids des traditions et sur la place de la littérature dans la vie. A-t-il des devoirs envers sa famille et sa communauté ? Le propre père de Nathan lui reproche de trahir les siens en les décrivant sans concession. Nathan se pose la question : "Mais que sais-je, en vérité, à part ce que je peux imaginer ?". Philip Roth comme son ami Milan Kundera crée un effet ironique, disruptif sur l'étrange "comédie humaine". Ce roman initiatique sur le métier d'écrivain renverse les stéréotypes attachés à cette fonction éminemment symbolique. Le premier roman de la trilogie inaugure pour Philip Roth le thème du double : Zuckerman est-il le sosie de Philip Roth ? Une évidence ! 

mercredi 2 août 2023

Balzac et Flaubert, les Docs de la Grande Librairie

La Grande Librairie a fermé ses portes pour l'été mais on peut toujours regarder les émissions en replay.  Comme je vis en ce moment dans ma période "Retour vers les classiques", j'ai regardé Honoré de Balzac et Gustave Flaubert, les deux "Docs", réalisés par François Busnel que je regrette beaucoup en en tant que présentateur de la Grande Librairie. Il s'est donc libéré des contraintes hebdomadaires (lire les nouveautés comme son prédécesseur, Bernard Pivot). Ces émissions consacrées aux géants de la littérature française se font très rares aujourd'hui et cela me rassure de constater que notre patrimoine culturel n'a pas encore sombré dans l'oubli. Le journaliste compose avec talent un portrait très illustré de Balzac en alternant des commentaires pointus des spécialistes balzaciens. Photos, reportages, repères chronologiques, description de la vie littéraire de l'époque, tout se mêle pour peindre cet homme si puissant dans ses phases créatives. Balzac a inventé la notion de "Comédie humaine" pour qualifier ses romans où l'argent tenait une place primordiale. Il a introduit dans ses pages le retour des personnages comme Vautrin ou Lucien de Rubempré. Dans cette biographie télévisée, François Busnel insiste aussi sur l'homme, un séducteur, un ambitieux et un endetté perpétuel car il vivait bien au-dessus de ses moyens et se hasardait dans des entreprises financières hasardeuses. Ce Doc de la Grande Librairie n'épargne pas les petitesses de Balzac tout en mettant l'accent sur son génie littéraire. Après avoir vu ce documentaire, j'ai eu envie de relire en particulier "Eugénie Grandet" et "La cousine Bette". Le documentaire sur Flaubert apporte aussi des éclairages importants sur la vie et l'œuvre de ce "moine" de la littérature. Il a vécu comme un ermite de l'écriture comme son prédécesseur, Honoré de Balzac. Il vivait à Croisset dans une propriété au bord de la Seine avec sa mère et sa nièce qu'il a élevée. Cultivant l'amitié dont celle avec George Sand, il plaçait la littérature au-dessus de tout le reste. Dans cette émission, Marie-Hélène Lafon évoque avec malice et avec brio Gustave, l'homme et Flaubert, le génie créateur. Dans mes retrouvailles avec les classiques, je relirai évidemment "Madame Bovary" et "Un cœur simple". François Busnel a réussi avec talent son pari : il donne envie de lire et de relire ces deux immenses écrivains français ! 

mardi 1 août 2023

"Julie de Carneilhan", Colette

 Quand je commence à lire Colette, j'ai envie de rester en compagnie de cette écrivaine si exceptionnelle, si unique dans le panorama des Lettres françaises. J'ai donc découvert après "Le Fanal bleu", son roman, "Julie de Carneilhan", publié en 1941 sous la forme d'un feuilleton dans un journal, puis édité chez Fayard. Colette avouera dans ses écrits intimes que ce livre l'a secouée car il ravivait des souvenirs douloureux. Pourtant, elle niera que le personnage masculin, Herbert d'Espivant, n'a rien à voir avec son ex-mari, Henry de Jouvenel. Qui est donc Julie ? Elle est divorcée du comte d'Espivant car cet homme cynique s'est remarié avec une jeune femme très riche. Julie se retrouve seule dans un petit studio à Paris et veut profiter de sa liberté retrouvée. Mariée une première fois à un Hollandais, elle perçoit une petite pension qui ne suffit pas pour assumer son quotidien. Son amant actuel bien plus jeune qu'elle lui offre une parenthèse légère dans cette existence précaire. Mais sa rupture avec le Comte d'Espivant ne se passe pas aussi facilement et dès qu'elle reçoit une lettre de son ex-mari, elle court chez lui. Il traverse une période difficile car sa santé se dégrade après une crise cardiaque. Elle sait pourtant que c'est un "viveur", un dilettante et un fourbe. Il va même lui proposer de soutirer de l'argent à sa propre femme. Une combine qui ne le glorifie pas. Ce manipulateur né restera sur sa faim inassouvie de l'argent. Julie réalise la forfaiture de son ex-mari et elle va s'éloigner définitivement de lui. Son frère Léon qu'elle voit régulièrement lui propose un nouveau départ dans la vie : quitter Paris et rejoindre leur propriété familiale en province à cheval ! Julie retrouve avec joie sa tenue de cavalière et surtout sa terre natale. Colette aime son héroïne et même si elle refusait que les critiques détectent des éléments biographiques, Julie serait peut-être une petite sœur espiègle de  l'écrivaine et elles partagent toutes les deux le même élan vital, le même optimisme devant la vie malgré les difficultés matérielles et les désillusions de l'amour conjugal. Colette a vécu des ruptures nombreuses, a aimé et a été trahie par ses maris (sauf le troisième peut-être). Et elle a toujours rebondi comme une gazelle devant le danger. Un roman peu connu de Colette et qui mérite amplement d'être découvert.