lundi 11 octobre 2021

"L'après littérature"

 Je sais que ce philosophe français crispe une grande partie de l'opinion. Cet homme malheureux et inquiet sur l'avenir de notre pays se nomme Alain Finkielkraut, le fâcheux Alain, insulté souvent dans les médias et par tous les intolérants de tous genres. Il anime pourtant une émission, "Répliques" sur France Culture, il appartient à l'Académie française et il écrit depuis des décennies un éloge de la littérature, de l'identité européenne et de l'héritage culturel de tous ceux et de toutes celles qui nous ont précédés. Cet homme désespéré de la perte de certaines valeurs, d'une France littéraire en voie de disparition, peut agacer évidemment les avides de changement compulsif à tout prix. Son cri d'alarme concerne la disparition de la littérature, devenue une pratique minoritaire. Il constate l'émergence d'un ordre moral qui commence à s'imposer, nommé le "wokisme", une expression américaine signifiant l'éveil. Tout doit être revu à l'aune des inégalités, des discriminations, des victimes. Ce chantage victimaire déforme l'idéal républicain et "annexe le passé sous prétexte de le dépoussiérer". Cette tentative de réécrire l'Histoire dans ses noirceurs évidentes laisse le philosophe dans un pessimisme inéluctable. Le mouvement néo féministe est dénoncé pour sa radicalité et son esprit généralisateur. Il critique la marchandisation des corps, les dénonciations outrancières de Metoo. Alain Finkielkraut déteste la guerre des sexes et souhaiterait une harmonie entre les hommes toujours taxés de "prédateurs, de bourreaux" et les femmes, toujours "victimes éternelles". Le réel lui semble plus subtil et plus nuancé. Et pour lui, le patriarcat a disparu en Occident, les femmes ayant conquis des droits légitimes irréversibles. Le philosophe met aussi en avant l'antisémitisme rampant, l'indigénisme et l'intersectionnalité, ce carrefour de toutes les dénonciations des "dominations" : celles de classe, de sexe, de race. Il évoque des romans qui ont traité ce domaine "wokiste" comme le chef d'œuvre de Philip Roth, "La Tâche".  Alain Finkielkraut plaide pour la singularité de chacun, pour l'art et pour la beauté du monde alors qu'il ne voit souvent que laideur dans les paysages saccagés par les éoliennes et par les panneaux publicitaires... Je comprends le chagrin de ce philosophe si cultivé et si perdu dans ce nouveau monde où la littérature n'a plus son aura d'origine et sa force symbolique. Pour lui, la littérature propose une traversée de la vie sous le signe du tragique, de l'incertitude, du doute mais aussi de l'humour, de l'ironie, de la distance, "une maîtresse des nuances". Le philosophe inconsolable, parfois maladroit dans sa défense du monde ancien, mérite l'écoute et le respect et surtout pas l'intolérance et la haine qu'il subit depuis des années. Soucieux d'un héritage des Lumières, amoureux de la culture littéraire classique, courageux dans ses critiques envers un monde vide de sens, Alain Finkielkraut approfondit sa pensée dans cet essai clairvoyant et intelligent. Un des meilleurs essais de la rentrée.