lundi 13 juin 2022

"Etre à sa place"

 Claire Marin, philosophe et professeur, avait écrit en 2019, un ouvrage qui a rencontré un grand succès d'estime, "Ruptures", disponible en Livre de Poche. Ses recherches portent sur les épreuves de la vie et elle publie aujourd'hui, "Etre à sa place" aux éditions de l'Observatoire. Elle propose une réflexion globale sur la notion de "place" dans des domaines variés : affectif, politique, social, géographique, moral. Ce substantif, "place", donne le vertige dans les questions multiples qu'il pose : "ça commence parfois par une inquiétude ou un malaise. On se sent en décalage, on craint d'agir de manière déplacée. On a le sentiment de ne pas être à sa place". Les 35 chapitres courts de l'essai abordent plusieurs angles d'attaque et malgré un sommaire ordonné, il est parfois difficile de s'y retrouver. Dès les premières pages, sa pensée s'élabore en constants allers-retours, provoquant un certain flou dans son projet d'étude. Elle développe sa conception d'un mode de vie ultracontemporain avec un "ni-ni", ni enracinement grégaire, ni nomadisme pur : "Il faut admettre, qu'il y ait du trouble dans la place, qu'il soit social, politique ou affectif. Nous sommes dans le déplacement plus que dans l'assise d'une place définitive. Certains pensent cette absence de place, cet entre-deux comme un équilibre instable, une vulnérabilité. Mais n'est-ce-pas la force des désaccordés que de n'être jamais exactement à leur place, de naviguer entre deux langues, les cultures, les modes d'être ? N'est-ce-pas cette fluctuation, cette plasticité à être autre qui notre réelle liberté ?". Faut-il encore pratiquer un pas de côté, bien se connaître, mieux "habiter son corps", pour trouver sa place dans la société ? Il est très ardu de résumer un tel ouvrage tellement la philosophe emprunte des chemins détournés par toutes les questions égrenées dans le texte. Ce qui rend la lecture intéressante réside dans le fait qu'elle cite de nombreux écrivains qui nourrissent sa pensée : Georges Perec et son "Espèces d'espaces", Annie Ernaux, Gaston Bachelard, Henri Michaux, Michel Foucault, Sarah Chiche et bien d'autres. L'auteure éclaire ainsi avec plus de clarté ses propres pensées parfois un peu trop répétitives. Cet essai a le mérite d'aborder une question centrale sur un sujet d'identité dans une société en perpétuel changement.  Et il faut bien, comme l'écrit l'auteur, chercher sa place en pratiquant parfois des "détours, des bifurcations" : "Notre place est celle qui porte en elle toutes les secousses et les sursauts de ces mouvements intérieurs, de ces élans et de ces fixations, éphémères". Un essai riche de réflexions et de questions. Une belle écriture au demeurant qui permet une lecture agréable.