vendredi 3 janvier 2014

"Mudwoman"

Le dernier roman de Joyce Carol Oates a été choisi dans la liste des 20 meilleurs livres de l'année dans la revue Lire. Avant de pénétrer dans ces 562 pages, je préfère prévenir les lecteurs(trices) : la lecture de ce livre peut déclencher un rejet total ou un engouement fatal... Ce texte fulgurant et hallucinatoire ressemble aux romans précédents de cette écrivaine américaine qui nous a habitués à une profusion de mots, de personnages, d'événements et de comportements à la limite de la folie. J'ai retrouvé dans "Mudwoman" cette "hystérisation" du personnage principal, Meredith Ruth Neukirchen, alias M. R., une femme prestigieuse sur le plan intellectuel, présidente d'université, titulaire d'un doctorat de philo, chercheuse et surtout, vouant sa vie à son immense responsabilité professionnelle. Les premières pages du roman évoquent l'abandon d'une petite fille dans une mare de boue. La mère semble folle et cette enfant, âgée de 3 ans, est sauvée par hasard par un jeune marginal. On devine que Meredith, cette femme accomplie et indépendante, a été placée dans une famille d'accueil et qu'elle sera adoptée par un couple de quakers, dont la mère est bibliothécaire et le père, fonctionnaire municipal. Cette adoption a fait d'elle cette femme universitaire brillante. Mais, au fil des pages, Meredith se retrouve face à ce passé glauque et tragique à l'occasion d'un déplacement professionnel. La carrière toute tracée de la Présidente va se dérègler et virer au cauchemar. Revenir sur les traces de son abandon provoque un dysfonctionnement dans son comportement, ses relations sociales, sa vie privée. Meredith n'est plus cette petite fille de la fange, mais elle lutte contre ce souvenir traumatisant et ténébreux d'une enfance torturée par une mère démente. Joyce Carol Oates possède un talent génial pour pénétrer dans le mental et le physique de cette femme perdue, malheureuse et qui perd peu à peu ses repères et ses valeurs. La description de cette descente aux enfers provoque une tension dans l'écriture et un rythme époustouflant dans la lecture, parfois éprouvante. On ne peut qu'admirer cette prouesse littéraire que constitue le portrait magistral d'une femme aux origines sociales plus que difficiles. Joyce Carol Oates nous décrit aussi le milieu universitaire avec une acuité et un sens critique teinté d'humour et d'ironie. "Mudwoman", un des meilleurs Oates, à lire sans faiblir, malgré le nombre de pages...