lundi 12 décembre 2016

Jeudi des Livres, 3

Quand Danièle a proposé le thème de l'enfance, j'ai tout de suite pensé à Georges Perec et à son "W ou le souvenir d'enfance". Cet ouvrage, paru en 1975 chez Denoël, se compose de deux récits : une autobiographie et une utopie. L'autobiographie fragmentaire concerne l'enfance de Georges Perec, enfant de la guerre, enfant juif recueilli par sa famille paternelle à Villard de Lans, dans le Vercors. L'écrivain, alors âgé de trente neuf ans, raconte cette vie d'enfant qu'il essaie de revivre en sondant sa mémoire hésitante. Ses parents, d'origine juive polonaise, ont disparu : le père de Georges est mort à la guerre en 1940,  sa mère a été arrêtée et déportée à Auschwitz en 1943. Elle n'est jamais revenue du camp. L'écrivain mène une enquête sur cette enfance chaotique, solitaire et unique. Il fouille son moi profond pour retrouver les traces de ses parents, disparus à tout jamais. Sa quête désespérante de son enfance devient le socle fondateur pour comprendre ce malheur intégral. Il justifie sa démarche d'écrivain avec ces mots : "J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie." L'hommage émouvant de Perec à ses parents se devine sans cesse d'une phrase à l'autre. Pour apprécier ce roman autobiographique, il faut quelques clés pour comprendre le deuxième texte, une description d'un île utopiste, basée sur l'idéal sportif qui, au fur et à mesure, se transforme en cité totalitaire qui rappelle le nazisme. L'alternance des deux textes équilibre l'attention du lecteur avec, d'un côté, une émotion profonde en écoutant la voix de l'adulte sur son enfance perdue et, de l'autre, une réflexion sur un modèle de société idéale, dangereusement idéale. Georges Perec éclaire son projet d'écriture en opposant les deux textes qui forment la structure du livre : "Car il commence par raconter une histoire, et d'un seul coup, se lance dans un autre : dans cette rupture, cette cassure (...) se trouve le lieu initial d'où est sorti ce livre , ces points de suspension auxquels se sont accrochés les fils rompus de l'enfance et la trame de l'écriture." Ce livre fait partie des grands classiques du XXe siècle et Georges Perec, hélas, disparu à 46 ans d'un cancer des poumons, devrait être publié dans la Pléiade où il a toute sa place aux côtés de Kundera, Duras, et bien d'autres contemporains...