vendredi 26 juin 2015

Promenade Dora-Bruder à Paris

Un article dans Le Monde du 2 juin a retenu mon attention. Anne Hidalgo, le maire de Paris, et Patrick Modiano, notre récent Prix Nobel, ont inauguré le 1er juin une promenade Dora-Bruder dans le 18e arrondissement. Cette initiative originale et inédite rend hommage aux victimes de la folie nazie. Cette promenade toute simple ressemble à Dora Bruder, nous dit le journaliste. Quand Patrick Modiano écrit ce récit en 1997 après avoir mené une enquête, il fait revivre cette jeune fille qui aurait pu faire partie de sa propre famille. Il avait une cousine qui portait le même prénom, Dora. Ce personnage réel l'a hanté depuis 1988. En feuilletant un journal daté de 1941, il tombe par hasard sur une annonce mystérieuse : "Paris, on recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale, yeux gris marron, manteau sport gris, (...) Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder". L'écrivain se saisit de cette annonce et se sent happé par la disparition de cette jeune fille, coupée de ses parents, sans doute juive, pendant l'Occupation. Serge Klasfeld va l'aider à retrouver ses traces : elle a quitté Drancy pour Auschwitz en 1942. Patrick Modiano va évoquer la jeune fille dans "Voyage de noces" en 1990. Puis, il va mener lui-même l'enquête pour approfondir des éléments biographiques de la jeune fille. Il publiera donc son récit, "Dora Bruder", cinq ans après. Henri Raczymow écrit au sujet de la reconnaissance de Dora Bruder : "Son nom sera inscrit comme une délégation de tous les autres demeurés dans l'ombre. La littérature est précisément là pour sauver les noms. C'est le sens du travail de Proust comme celui de Modiano". Cette jeune victime des nazis aurait pu être oubliée comme tous ses millions d'anonymes disparus sans laisser de traces. Un écrivain s'est emparé de cette histoire tragique pour lui donner une deuxième naissance et une mémorial historique grâce à la promenade, si modeste soit-elle, de Paris. Cet article a ravivé en moi l'envie de relire ce récit avec un regard renouvelé. Ce récit de Modiano devrait être inscrit dans les programmes du français dans tous les lycées du pays... 

jeudi 25 juin 2015

Disparition de James Salter

Cet écrivain américain a vécu un destin particulier car dans sa jeunesse, il pilotait des avions de chasse... C'est quand même assez rarissime pour le noter... Il est né en 1925 dans le New Jersey et vient de mourir en pratiquant sa gymnastique quotidienne. Il débordait d'activité et portait très bien ses nombreuses et valeureuses années. Sa carrière militaire débute dans la célèbre école de West Point qui forme l'élite. Il se bat en Corée, aux Philippines et au Japon. Son premier roman qui vient de sortir en France, "Pour la gloire" est sorti en 1956 aux Etats-Unis. Ce roman raconte l'histoire d'un capitaine d'aviation en proie au doute après avoir abattu plusieurs avions ennemis. Un an après, James Salter renonce à sa carrière et se consacre à la littérature. Il écrit alors : "Il arrive un moment où vous savez que tout n'est qu'un rêve. Que seules les choses qu'a su préserver l'écriture ont des chances d'être vraies". Mais il ne rencontre pas le succès dans son pays. Il écrit deux romans dans les années 60 qui auraient mérité une plus grande adhésion. Ces deux livres, "Un sport et un passe-temps" et "Un bonheur parfait" sont publiés en France chez l'Olivier en 1996 et 97 et attirent l'admiration de nombreux lecteurs(trices). James Salter évoque l'amour, la guerre, les relations tumultueuses entre les hommes et les femmes, la trahison. En 1979, il publie "L'homme des hautes solitudes", (quel beau titre !). Son dernier roman, "Et rien d'autre", que j'avais beaucoup apprécié l'année dernière, retrace l'histoire d'un homme "ordinaire", travaillant dans le milieu de l'édition, à New York. Ses liaisons avec les femmes ressemblent à des désastres consécutifs et malgré la difficulté de vivre ces amours décevantes, il se ne lamente pas et conserve avec lucidité la délicieuse "politesse" du désespoir. Dans la notice nécrologique du journal Le Monde, Florence Noiville nous informe qu'il venait de signer la suite de ses mémoires que l'on ne lira pas, malheureusement.  Elle précise en conclusion que cet écrivain discret et élégant, était "un sacré bonhomme". Il faut profiter de l'été pour découvrir ses romans publiés en format de poche.

mercredi 24 juin 2015

Ateliers d'écriture et de lectures

Ce mardi 23 juin, les lectrices et les "écrivantes" se sont retrouvées à l'AQCV pour fêter en toute amitié la dernière rencontre de la saison 2014-2015. Au menu du jour et au milieu de discussions amicales, nous avons dégusté avec appétit des salades, des quiches, des flans de courgettes et de poivrons, des fromages, du bon vin, un gâteau aux fruits rouges du jardin, des tartes, des biscuits et du café ! Et en plus de ces nourritures terrestres, nous avons abordé dans l'après-midi les écrivains préférés des lectrices présentes. J'avais envie de connaître quel était au fond, leur écrivain préféré, celui ou celle qu'elles emporteraient sans aucun doute sur une île déserte. Je vais donc dévoiler le palmarès. Geneviève a déclaré sa préférence pour Albert Camus pour son style, ses idées, sa vie. Janine et Evelyne ont choisi aussi notre cher Camus national, un homme exemplaire pour elles car, issu d'une famille modeste, il représente l'excellence républicaine d'une école laïque qui offre un destin prometteur pour ceux qui naissent sans héritage culturel. Janine a cité "Le premier homme", où l'écrivain raconte son enfance, sa jeunesse dans un milieu très modeste (sa mère ne savait ni lire, ni écrire). Nicole a évoqué l'écrivain japonais Murakami, dont elle a presque tout lu. Dany a partagé ce choix car cet écrivain attire une fascination certaine auprès de ses lecteurs(trices). Marie-Christine a cité Maylis de Kérangal avec "Réparer les vivants", un roman fort et d'une écriture particulièrement travaillée. Isabelle a parlé de Simone de Beauvoir, qu'elle a découvert dans les "Mémoires d'une fille rangée". Danièle éprouve un intérêt évident pour le très grand Gabriel Garcia Marquez dont elle a lu récemment l'autobiographie, "Vivre pour la raconter". L'univers de cet écrivain flamboyant, baroque et puissant plaît beaucoup aussi à Geneviève. Christiane nous a lu un texte de Colette qu'elle aime énormément.  Régine a hésité à nous dévoiler son écrivain préféré car c'est aussi se dévoiler soi-même quand on aime se retrouver dans une œuvre de tel ou tel écrivain. Elle nous a quand même offert sa préférence pour Stefan Zweig pour la profondeur de ses analyses sur le "genre humain". Elle a cité aussi Barthes, Kundera, Pontalis. Mylène ressent une grande admiration pour deux écrivains : Nadine Gordimer pour sa stature politique et Le Clézio pour le style. D'autres noms ont été cités : Jeanne Benameur, Silvia Avallone, Hector Bianciotti, Annie Ernaux, Jane Austen, les sœurs Brontë. Avant de nous quitter sur ces révélations bien sympathiques, nous avons fixé la date de notre prochaine rencontre en octobre. D'ici là, il faut profiter de l'été et des journées libérées de contraintes habituelles pour lire, lire, lire et aussi se balader, rencontrer des amis et profiter de sa famille, savourer de bons petits plats, bref, profiter du soleil, de la chaleur, de l'eau (lac, mer, piscine), de l'air ambiant à la paresse et à la lenteur... Pour ma part, je poursuis évidemment l'écriture de mon blog et ne m'octroie aucune interruption car écrire et lire font partie de ma respiration...  

vendredi 19 juin 2015

"Pour l'amour du grec", 2

J'ai lu "Pour l'amour du grec" quand j'ai démarré mon apprentissage de la langue. Cet ouvrage, publié chez Bayard en 2000, est composé de textes choisis par des intellectuels notoires comme Elisabeth Badinter, Philippe Jaccottet, Jacques Le Goff, Jean d'Ormesson, Michel Tournier, Serge Lebovici, etc. La préface, signée Jacqueline de Romilly, présente l'immense l'intérêt de l'initiative. Cette anthologie de textes grecs traduits en français se lit avec un plaisir gourmand dans la mesure où tous ces écrivains, scientifiques, artistes et autres passeurs de culture rendent hommage à Homère, Aristophane, Sophocle, Euripide, etc. Ces témoignages datent de 15 ans, et déjà à cette époque, les Hellénistes s'inquiétaient du déclin de l'apprentissage du grec dans nos écoles. Pour apprendre la langue en autodidacte, il existe quelques ouvrages. Avec mon professeur, j'ai commencé par "Vive le grec" de Joëlle Bertrand aux éditions Ellipses, un ouvrage ludique, pédagogique et indispensable pour les grands débutants. En parallèle, il faut acquérir l'indispensable "50 règles essentielles du grec ancien" de Bérengère Basset chez Studyrama qui permet de reprendre toutes les notions grammaticales. Plus j'avançais dans ma connaissance, plus j'avais envie de découvrir d'autres manuels. J'ai donc acquis plusieurs ouvrages complémentaires : "40 leçons pour découvrir le grec ancien" en poche Pocket, l'Assimil du grec ancien, le vocabulaire de base. Et j'ai fureté chez les bouquinistes où j'ai trouvé des ouvrages scolaires sur le grec, en particulier pour les classes de 4è. Mon engouement pour cette langue va crescendo même si, de temps en temps, ma mémoire vacille surtout pour les verbes irréguliers, les tournures stylistiques, la syntaxe. Mais quelles surprises avec les exercices étymologiques : les racines grecques de notre vocabulaire actuel nous révèlent d'étonnantes découvertes ! Je me  suis donc mise à collecter des ouvrages pédagogiques, et je lis régulièrement des livres d'art, des livres d'histoire, des documentaires sur la Grèce. Jean-Pierre Vernant raconte dans la postface du livre "Pour l'amour du grec", son émerveillement devant l'Acropole : "Je regardais le soleil se coucher sur l'Acropole, j'en ai reçu un tel coup de beauté, que c'est moi qui, figé sur place, médusé, en suis demeuré sans souffle et sans parole". J'ai vécu la même expérience quand je me tenais devant le Parthénon... En apprenant cette langue antique, je m'imagine plus aisément comment Platon parlait à ses disciples, comment Socrate discutait avec ses amis, comment Antigone, cette magnifique jeune fille, s'adressait à Créon. Et cette expérience me fait rajeunir de 2500 ans, c'est pas mal quand même ? Vive le grec ancien !

jeudi 18 juin 2015

"Latin-Grec, inventaire avant liquidation", 1

Quand j'ai vu le titre de la revue Le Point sur la disparition du latin et du grec, je l'ai achetée tout de suite. Quand un hebdo présente une Une pareille, c'est assez rare pour le signaler. J'avoue que je suis un peu éloignée du monde scolaire mais la réforme du collège qui, d'ailleurs, est passée dans la loi ne semble pas attirer l'aval des professeurs et des "pseudo-intellectuels" selon notre ministre de l'Education. Quand elle confond Régis Debray, Simon Nora, et d'autres intellectuels avec des commentateurs de radio et de presse, elle est confondante de mauvaise foi... Bref, quand le système scolaire veut s'ajuster au "dénominateur commun" le plus faible,  les langues anciennes ne peuvent que disparaître. Quel gâchis de considérer ces biens culturels immatériels comme des matières marginales dans le cursus scolaire ! Les pragmatiques prônent l'apprentissage des langues vivantes, les travaux en groupe, le soutien individualisé, etc. Les classiques "archaïques" refusent le changement, se désespèrent du mépris institutionnel, regrettent l'élimination future de leurs savoirs ancestraux.  Certains pensent que ce combat  pour sauvegarder les langues anciennes fait partie des causes perdues. Mais quand même ! Nos racines culturelles viennent du grec et du latin. Notre langue française est composée de mots grecs et latins. Notre civilisation occidentale repose sur la philosophie grecque, le droit romain, la littérature homérique, les vestiges architecturaux, la démocratie, la splendeur de l'art antique, le sport olympique. Qui n'a pas envie d'être bon et beau, l'idéal grec, le kalos et agathos ? J'ai appris le latin à l'université pour obtenir ma licence de lettres. Et quand j'ai pris ma retraite, j'ai rencontré celle qui est devenue depuis deux ans, ma professeur de grec ancien. Une fois par semaine, elle m'accueille chez elle pour m'offrir l'apprentissage de cette langue, si belle et si complexe. J'aime décrypter les mots avec cet alphabet si mystérieux, maîtriser les déclinaisons, apprendre le vocabulaire, conjuguer les verbes à tous les temps dont le redoutable aoriste, traduire des petites fables d'Esope, aborder avec timidité des textes plus pointus. J'avance à petits pas grâce à la patience angélique de ma professeur de grec à la retraite. Quand j'étais jeune, je voulais apprendre le grec ancien mais, hélas,  je n'ai pas été inscrite dans les classes concernées. Cinquante ans après, je considère cette initiation comme un  deuxième chance pour apprendre cette langue antique. Deux voyages en Grèce et en Crète, la lecture des ouvrages de Jacqueline de Romilly m'avaient déjà donné envie de me lancer dans cette aventure linguistique... Dans un deuxième billet, je présenterai les livres d'apprentissage...   

mercredi 17 juin 2015

Revue de presse

Le Magazine littéraire propose dans son numéro de juin un spécial "Série noire" de la maison Gallimard. Cette collection mythique pour les amateurs de romans policiers fête ses 70 ans ! Dans la rubrique "L'esprit du temps", l'éclectisme règne : une analyse de Daech, un article sur Bonnard, Jacques Abeille, Naomi Klein, etc. Le grand entretien concerne le sulfureux James Ellroy, l'écrivain américain, devenu une légende pour les amateurs de polar. La nouvelle maquette de la revue semble plus aérée, mieux organisée et fait plus "jeune", mais que je regrette les anciens numéros où la littérature était la seule référence et les écrivains, les seuls "maîtres à penser". Dans la liste des numéros d'antan, il faut observer ceux consacrés aux plus grands écrivains d'hier et d'aujourd'hui : les Beauvoir, Sartre, Yourcenar, Michaux, Giono, etc. La revue ne propose plus ces grands dossiers très pointus, très sérieux sur la création littéraire. La critique semble avoir aussi perdu de son éclat. J'ai sombré dans la nostalgie d'une belle époque et je n'arrive pas à trouver cette excellence aujourd'hui... Je ne connais peut-être pas encore les grandes plumes contemporaines qui deviendront les classiques de demain. Lire commémore ses 40 ans d'existence et comme je lis cette revue depuis cette date-là, j'ai mesuré que le temps passait trop vite ! Dans ce sympathique numéro, beaucoup d'écrivains témoignent de leur fidélité et 40 d'entre eux ont été choisis pour démontrer la diversité de la littérature française. Dans cette liste, j'ai remarqué ceux que j'aime tout particulièrement : Pascal Quignard, Annie Ernaux, Patrick Modiano, Pierre Michon, Milan Kundera. Un entretien avec Michel Serres réconforte les lecteurs(trices) en déclarant que "l'irruption du numérique n'a pas tué la civilisation du livre". Il faut lire son dernier ouvrage qui semble passionnant : "Le Gaucher boiteux, puissance de la pensée". Je suis une abonnée régulière de la revue car elle m'apporte les informations sur les nouveautés et proposent des dossiers clairs et accessibles à tous. J'espère qu'elle vivra encore 4O années de plus... Et donc, j'en lirai encore quelques dizaines d'exemplaires...

mardi 16 juin 2015

"L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir"

Rosa Montero vit à Madrid et travaille pour le journal "El Pais". Très célèbre dans le monde hispanique, elle a déjà publié de nombreux romans, tous traduits chez Métailié. Dans ce récit hybride, à la fois autobiographique (elle parle d'elle) et une biographie (elle évoque Marie Curie, 1867-1934). Rosa Montero entraîne le lecteur(trice) dans un tourbillon de souvenirs personnels, d'anecdotes, d'idées politiques, de portraits d'amis. Dans ce désordre apparent, Marie Curie domine le paysage mental de l'écrivain. Elle donne un portrait déroutant de cette héroïne de la Science, qui a sacrifié sa vie pour la découverte du radium. La place qu'elle occupe à cette époque-là où peu de femmes étaient diplômées, est exceptionnelle. Rosa Montero, en féministe convaincue, relate la carrière scientifique de Marie Curie dans ses difficultés extrêmes pour s'imposer dans ce monde hautement et exclusivement masculin. Ce destin hors du commun inspire manifestement notre écrivaine. Toutes les deux, la narratrice et la scientifique partagent un point commun : elles ont perdu leur mari brutalement. Marie devient veuve en 1906 quand son mari meurt, écrasé par une voiture à cheval. Le compagnon de Rosa Montero avec qui elle a partagé une vingtaine d'années en commun meurt d'un cancer en 2009. Elle écrit : "En parlant du deuil de Marie Curie, j'ai pu parler de mon deuil et parler du deuil de nous tous". Plus loin, elle se confie sur la notion de perte : "Mais, pour apprendre à vivre avec plénitude et sérénité, il faut arriver à un accord avec la mort, celle qui t'attend et celle des gens que tu aimes. Il faut arriver à la mettre à un endroit de sa poitrine, à un endroit qui ne brûle pas."  L'écriture devient une véritable thérapie pour survivre à l'absent(e). Ce récit très vivant, malgré le thème de la disparition des êtres chers, démontre que la littérature, l'écriture et l'art peuvent aider à atténuer le chagrin, la tristesse de la perte comme une consolation sublimée par les mots. Il faut découvrir ce beau livre, à la fois, récit de vie, biographie, journal intime, pamphlet féministe.

lundi 15 juin 2015

"Et la fureur ne s'est pas encore tue"

Je n'avais jamais lu Aharon Appelfeld, et j'ai découvert cet écrivain à l'occasion d'un article sur la littérature en Israël dans le Magazine littéraire. Son ouvrage le plus connu, "Histoire d'une vie" a obtenu le prix Médicis en 2004. "Et la fureur ne s'est pas encore tue" a été publié en 2008 aux Editions de l'Olivier. Agé de 50 ans, l'heure des bilans, le narrateur, Bruno Brumhart raconte sa vie. Un accident l'a privé d'une main et cet handicap physique le différencie des autres enfants. Il subit les agressions et les moqueries à l'école. Dès son enfance, il apprend donc le rejet des autres, la violence sociale et l'intolérance traumatisante. Ses parents sont des juifs communistes et militent dans la clandestinité. Il raconte dans ses souvenirs de collégien les paroles blessantes de l'antisémitisme qui régnait à cette époque avec une virulence inouïe. Il entend à l'école le cri prémonitoire :  "Mort aux Juifs, mort aux manchots" et cette guerre permanente à son égard symbolise la menace qui va peser sur les siens quelques mois plus tard. L'escalade de la terreur démarre avec l'interdiction de l'école pour les enfants Juifs. Puis, le jeune garçon et sa mère doivent vivre dans le ghetto. Il participe à l'organisation des vivres et redistribue les denrées recueillies aux plus faibles. Après un an et demi de vie dans ce ghetto, tout bascule dans l'horreur des camps. Il fait partie des travailleurs qui montent les baraquements et l'on pressent la mise en place de l'extermination des Juifs. Quand les Russes libèrent les camps, Bruno s'enfuit avec des camarades et vit en forêt pour survivre dans cet enfer. Il ne retrouvera jamais ses parents, disparus sans laisser de traces. Cette première partie du livre concerne donc sa jeunesse et à la fin de la guerre. Dans la deuxième partie du récit,  Bruno relate son mariage raté avec Regina et il la quittera aussitôt. Il se lance ensuite dans la création d'agences à travers le monde pour venir en aide aux rescapés des camps. Cette mission le conduit à Naples où il transforme un château pour accueillir les survivants. Il évoque plusieurs personnages émouvants qui ne se remettront jamais de ce passé horrible. Ce roman étonnant m'a donné envie de découvrir les autres titres de cet écrivain hanté par l'Holocauste. Quand je découvre une nouvelle planète littéraire, je me sens comme un astrophysicien dénombrant une nouvelle étoile... 

vendredi 12 juin 2015

Escapade à Besançon, 2

Besançon semble inspirer le génie : Victor Hugo et les Frères Lumière sont nés dans cette ville. La littérature et le cinéma ont jailli du même berceau... J'ai visité la maison de Victor Hugo, située près de la Porte Noire. Le poète a vu le jour le 26 février 1802 et sans rappeler la biographie de notre gloire nationale, j'évoquerai sa formidable boulimie d'écriture car il a utilisé toutes les formes littéraires : des poèmes, des romans, du théâtre, des essais. Son père était chef de bataillon en garnison dans la ville et dans une vitrine, est exposé l'acte de naissance du petit Victor, fils de Sophie Trébuchet et de Léopold Hugo. Dans ce musée, la scénographie de la vie de l'écrivain se faufile sur les murs, sur les marches de l'escalier avec les titres de son œuvre. Des panneaux très stylés racontent son itinéraire littéraire, politique et social. Il y a très peu d'objets "hugoliens" et cette maison a une portée plus symbolique que muséale. Des phrases choc parsèment les murs de l'espace : "La liberté commence où l'ignorance finit", "Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent", "Le mot est un être vivant". Il faut aussi évoquer sa grande saga sur la misère humaine avec le personnage émouvant et mémorable de la petite "Cosette", symbole de l'innocence innée, de l'enfance bafouée et de la pauvreté incarnée. Tous les "politiques" devraient visiter cette maison pour leur rappeler l'immense message de Victor Hugo en 1849 : "Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère". Si Monsieur Hugo revenait en France dans certains quartiers des grandes villes où des SDF survivent tant bien que mal, il serait un peu étonné de voir ces scènes au XXIè siècle... Victor Hugo voulait le suffrage universel, l'enseignement pour tous, les Etats-Unis d'Europe, la liberté de la presse, des droits pour les femmes et les enfants, etc. Cet espace assez modeste par sa taille diffuse un sentiment de générosité et de justice en ces temps de crise sociale et politique. Victor Hugo écrase par sa dimension les frères Lumière, Charles Nodier, Charles Fourier, P.J. Proudhon, tous nés à Besançon ! Dès que je me rends dans une ville, je recherche les traces d'écrivains et ici, j'étais ravie de retrouver ces créateurs qui ont changé la marche du monde. L'air de Besançon doit peut-être libérer des neurones exceptionnelles que certains habitants captent de siècle en siècle pour donner naissance à des petits ou de grands génies...  Je découvre assez tard le charme de la Franche-Comté et de sa capitale mais, comme dit le proverbe, "mieux vaut tard que jamais"...

jeudi 11 juin 2015

Escapade à Besançon, 1

J'ai découvert cette ville en avril dernier pour des raisons familiales et j'y suis retournée cette semaine. J'avais toujours éprouvé un manque d'intérêt pour les villes situées au dessus de la ligne Lyon-Bordeaux à part Paris (je sais, c'est idiot de ma part) ressentant un complexe de supériorité sur la case "soleil", car venant de l'extrême Sud-Ouest (je veux parler de Biarritz-Anglet-Bayonne), je goûtais peu l'Est de la France, étant secrètement terrorisée par la menace du froid extrême, de la neige, de la pluie et de bien d'autres contrariétés atmosphériques. Pour aller à Besançon, j'ai choisi de traverser un bout de la Suisse (Genève et Lausanne) et les paysages défilent dans un vert permanent... Après le passage de la frontière en pleine forêt jurassienne,  j'ai atteint Besançon dans sa boucle formée par le Doubs et surplombée par sa Citadelle. Quelle ville harmonieuse avec ses quais Vauban, ses hôtels particuliers, ses nombreux trésors d'architecture (les façades Renaissance, ses escaliers à ciel ouvert, ses pierres bleues), ses places vastes, ses fontaines, ses parcs aux arbres magnifiques, la gentillesse innée de ses habitants, etc. ! Cette capitale de la Franche-Comté possède des atouts économiques, culturels et patrimoniaux incontestables et on ne lasse pas d'arpenter le centre ville qui n'est pas envahi par les voitures polluantes. Un tramway bleu emporte les citadins en toute sérénité et sur chaque rame, une personnalité historique représente le génie "bisontin". Il est aussi question du temps à Besançon, un temps mesuré, compté car l'industrie horlogère s'est implantée dans cette ville. La marque Lip renaît de ses cendres aujourd'hui et il existe un musée du Temps, installé dans un palais de la Renaissance. Comme je suis passionnée par l'Antiquité, j'ai découvert des vestiges romains : la célèbre Porte Noire et le square Cartan. La Porte Noire (175 après JC sous le règne de Marc Aurèle) présente des scènes guerrières et des décors mythologiques. Besançon se nommait Vesontio à l'époque romaine. Près de ce monument antique, se trouve la très belle cathédrale gothique Saint-Jean. Mes premières bonnes impressions depuis le mois d'avril se sont confirmées en juin... Demain, je relaterai les personnalités emblématiques de cette fort belle cité...

lundi 8 juin 2015

"Sur l'idée d'une communauté de solitaires"

Cet ouvrage de Pascal Quignard, paru chez Arléa en mars 2015, est composé d'un récit, "Les Ruines de Port-Royal" et de chapitres complémentaires aux "Ruines". Cet écrivain si singulier, si atypique dans le monde littéraire peut passionner ou rebuter le lecteur(trice). Pour ma part, son œuvre entière me fascine même si son écriture subtile, son érudition passent pour de la "cuistrerie" pour certains critiques. Je le lis depuis au moins deux décennies et dès qu'un livre paraît en librairie, je "cours" pour l'acquérir. Je crois que ma bibliothèque a déjà un mètre linéaire de "Quignard". Ce petit livre de 77 pages contient une conférence, donnée deux fois, sur les Ruines de Port-Royal. L'écrivain  a récité ce texte accompagné de musiciennes au clavecin et à l'orgue. Littérature et musique baroque se conjuguent à merveille. On ne peut pas résumer un ouvrage de Pascal Quignard. Il évoque des musiciens (Purcell, Rameau, Froberger, Couperin),  le peintre Georges de La Tour. Mais, parfois, il délaisse les grandes figures du Baroque pour parler de lui, de l'écriture, de la solitude. Je citerai cette phrase : "J'ai cherché partout dans ce monde, le repos, le requiem, un abandon, une halte,  et je ne l'ai trouvée que dans un coin avec un livre". La communauté des solitaires de Port Royal était composée d'hommes de la société civile en rupture sociale et familiale. Ils voulaient vivre comme des moines sans adopter les vœux. Pascal Quignard leur ressemble quand il relate sa maladie foudroyante en 1997. Il a aussi tout quitté (son poste d'éditeur chez Gallimard) pour se consacrer entièrement à son œuvre littéraire, "Le Dernier Royaume", une suite de 14 volumes, prévus par l'auteur (le neuvième tome, "Mourir de penser", est sorti l'année dernière). Dans le dernier chapitre, l'écrivain revendique l'état de solitude, "Enfin, dans cet espace, on respire. On ferme la bouche. On écrit. On est seul. On est soi. On respire." et cette citation pour conclure mon billet : "Tous ceux qui lisent sont seuls dans le monde avec leur unique exemplaire. Ils forment la compagnie mystérieuse des lecteurs". Cela pourrait devenir ma devise...

vendredi 5 juin 2015

"Les livres prennent soin de nous"

Dès que j'ai vu ce petit livre chez mon libraire,  je n'ai pas hésité une minute pour l'acquérir comme une nécessité. Régine Detambel a déjà écrit beaucoup d'ouvrages : une vingtaine de romans, une dizaine d'essais (sur Colette, sur la vieillesse, sur la peau) et des formes brèves (sur l'enfance, etc.). Cette écrivaine mérite amplement notre admiration. Dans ce dernier essai, le sous-titre donne le tempo : "Pour une bibliothérapie créative". En effet, la lecture peut soigner les maux de l'âme, les chagrins, le mal être, le désespoir, le spleen. Tous les amoureux des livres en ont eu l'intuition et l'expérience.  Le mot "thérapie" porte une dose de médecine douce et à chaque lecteur correspond un livre salvateur, un livre bonheur, un livre refuge... Pour comprendre la jalousie, il faut découvrir Proust. Pour comprendre la bêtise, il faut  découvrir le pharmacien Homais. Pour comprendre l'enfer des camps, il faut lire Jorge Semprun, Primo Levi. Il existe des milliers d'ouvrages, qui ressemblent à des vaccins contre la rage de vivre, contre la colère, le dépit, l'insatisfaction, la tristesse. Dans ce livre passionnant, Régine Detambel propose plusieurs définitions de la bibliothérapie : un accès à la sensibilité, une identité du sujet, une approche de l'altérité, une connaissance du monde. Cette fonction de la lecture ré-enchante le rapport du lecteur(trice) au réel et ne peut que faire du "bien". L'essayiste récuse les livres de "développement personnel" qui fleurissent dans les rayons des librairies et elle recommande dans sa dimension thérapeutique, tout simplement, la littérature. Elle mentionne dans cet essai des dizaines de références d'écrivains, des citations, des spécialistes sérieux en bibliothérapie. Elle met en garde contre les charlatans du "bien être", les mages du bonheur standardisé. Le sommaire de l'ouvrage est déjà un poème vivifiant : "toucher au corps, une vie nouvelle, poétique du pathos, lire, une sculpture de soi, la page comme un pansement, Bibliothèques de l'intime, etc." Ce livre est une mine d'or pour ceux qui chercheraient encore  l'utilité de la lecture. Je pourrais citer de nombreuses phrases de Régine Detambel mais il vaut mieux les savourer en toute quiétude et cet ouvrage deviendra un livre de chevet mémorable,  je n'en doute pas une minute... 

jeudi 4 juin 2015

Atelier d'écriture

Mylène nous a proposé un exercice sur Pierre Bonnard. En choisissant un de ses tableaux, il fallait décrire le décor, les couleurs, les objets et ajouter un personnage pour raconter une histoire inspirée par la toile. Voici mon texte :
"Projet,
L'été, dans la cuisine, au petit matin, la chaleur encore soutenable envahit l'espace. Sur la table, un panier de fruits rouges, une carafe de jus d'orange, du fromage. Le silence pénètre les objets. Tout est rouge : le fond du placard, la nappe, les fruits. Tout est blanc : les meubles, la fenêtre, la cheminée. Quelques traces de ciel bleu dans le décor, et du jaune, partout, comme un soleil étalé dans la pièce. Pierre s'est levé tôt ce matin. Il a une envie de solitude pour choisir le thème du tableau qu'il va exécuter aujourd'hui. Il flaire l'air parfumé et remarque les couleurs chaudes de la vie matinale. Il commence à peindre dans sa tête, des verticales (les meubles, les murs), des horizontales (la nappe, la desserte, la table), puis des cercles (les assiettes, les verres, les plats). Pourquoi peindre ce décor banal et quotidien ? D'autres confrères préfèrent les paysages, les femmes, les enfants, les animaux. Pierre veut rendre hommage aux objets de sa vie à la campagne. Quoi de plus modeste qu'un placard, qu'une table, qu'une assiette, qu'un guéridon ? Mais la vie palpite dans ces compagnons immobiles et contemplatifs. Avant de retourner dans son atelier, il va déguster ce petit-déjeuner en s'enivrant de couleurs, de formes et de matières. Il manquera dans cette peinture les sons, mais quand on verra cette toile, on entendra les cigales, le vent dans les arbres et le silence du peintre." 

mardi 2 juin 2015

Atelier d'écriture

Ce matin, se tenait le dernier atelier d'écriture de la saison 2014-2015. Mylène et Marie Christine avaient préparé une série de questions en forme de bilan qui est, évidemment, positif. Dans l'ensemble, le rythme de deux ateliers par mois convient à tout le monde. On préfère deux exercices par séance, un court et un long. La pause café est nécessaire pour plus de convivialité et permet des discussions amicales. Les séances démarrent toujours par des textes d'écrivains et de poètes, de photographies ou de reproductions pour nous inspirer. Les thèmes abordés dans les ateliers peuvent passer d'un portrait d'un arbre à des souvenirs d'enfance, d'un jeu oulipien avec des contraintes à un dialogue imaginaire. Au total, une vingtaine de thèmes circule sur nos feuilles blanches. Nos deux animatrices veulent déclencher le désir d'écrire sur les sujets proposés. Que dire des réserves émises par certaines ? Mylène regrette parfois le nombre élevé des "écrivantes" (parfois 12 à 13 personnes) mais, il faut s'en accommoder car il n'existe pas de solution alternative. J'ai aussi évoqué quelques sujets qui, pour moi, me paraissent trop traditionnels (Noël par exemple...) Et puis, certaines propositions peuvent aussi "bloquer" l'inspiration". De toutes façons, il est hors de question d'interrompre cette animation au sein de l'AQCV. Il est bon d'écrire, de se retrouver en groupe pour écrire, d'écouter les textes produits dans la matinée pour Mylène et dans l'après-midi pour Marie-Christine. Et je tiens à les remercier pour leur bénévolat actif et généreux. Pour ma part, j'ai suggéré une journée supplémentaire par trimestre pour travailler sur un projet plus long. Par exemple, une nouvelle courte, un récit intime, écrit chez soi, pourrait ensuite être retravaillé, lu à haute voix et remodelé en fonction des avis de l'animatrice et des "camarades" en écriture. Un projet pour la rentrée prochaine à mettre en place. Il faut conserver cet art d'écrire en atelier pour partager nos textes, pour apprécier les trouvailles des unes et des autres, pour sourire et parfois rire quand l'humour éclate dans les lignes de certaines compositions. Nous allons toutes nous retrouver le mardi 23 juin avec les lectrices de l'atelier que j'anime. Lire et écrire, deux verbes essentiels qui représentent pour moi un art de vivre, du mieux vivre...

lundi 1 juin 2015

"Une histoire d'amour et des ténèbres"

J'ai déjà évoqué dans ce blog, Amos Oz avec le roman "Seule la mer". Ayant ressenti un vrai coup de cœur pour cet écrivain israélien, j'ai lu son grand roman autobiographique,  "Une histoire d'amour et de ténèbres" paru dans la collection Folio. Ce texte, écrit en 2002, a obtenu le prix France Culture 2004. Avant de se plonger dans cet immense océan de mots, d'images, d'histoires (850 pages), il faut se renseigner sur l'histoire d'Israël,  sur la construction de ce pays si essentiel dans le contexte politique d'aujourd'hui.  Ainsi, la lecture sera moins difficile à entreprendre. Dès la première page, le narrateur raconte son enfance et décrit avec une précision de chirurgien "verbal", l'appartement minuscule de ses parents, sa chambre et dans ce logis humide et inconfortable, les livres prennent déjà une place de choix. Ses parents sont des intellectuels : "Il y avait des livres partout : papa lisait seize ou dix-sept langues et en parlait onze (avec un accent russe). Maman en parlait quatre ou cinq et en lisait sept ou huit." Son père a obtenu un poste de bibliothécaire à la bibliothèque nationale de Jérusalem. Sa mère était professeur de littérature. Le petit garçon, notre futur écrivain, a déjà soif de livres et de culture. J'aime cette phrase d'Amos Oz sur les livres : "On aurait dit que les gens allaient et venaient, naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, mais un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait  sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver." Dans ce "roman-monde", le narrateur conte la saga romanesque de sa famille et de son pays dans un désordre voulu, avec des digressions, des allers et des retours dans un passé mythique et réel. Ce livre documenté sur le plan historique est un témoignage sur la Palestine des années 40. Dans un commentaire déposé sur le site Amazon, un lecteur définit ce livre comme "une généalogie intime qui a l'ampleur des plus grandes fresques". Amos Oz évoque le suicide de sa mère quand il était adolescent. Le portrait de cette mère en proie à ses démons intérieurs revient comme un leitmotiv émouvant et tragique. Un grand livre, un écrivain majeur à découvrir et à lire sans tarder.