mardi 6 avril 2021

"Un bref instant de splendeur"

 Océan Vuong, jeune écrivain américain d'origine vietnamien, né en 1988, a trouvé un très beau titre à son premier roman autobiographique, "Un bref instant de splendeur", publié chez Gallimard dans la collection "Du monde entier". Ce livre est devenu un succès phénoménal aux Etats-Unis, couronné meilleur roman de l'année par la presse et adapté au cinéma. Le narrateur se nomme Little Dog, natif de Saigon et arrivé à l'âge de 2 ans dans le Connecticut grâce à une loi qui permet d'émigrer. La filiation semble hasardeuse pour le jeune homme : sa grand-mère, Lan, une jeune paysanne vietnamienne a rencontré un soldat américain pendant la guerre. L'écrivain révèle l'incertitude de ce lien : "un énième micheton américain, sans visage, ni nom, ni rien". Lan a fui son village où sa famille l'a mariée de force et elle a ensuite subi un viol par un soldat : "De là est née une fille et de cette fille, un fils". En fait, le grand père et le père se sont absentés de la vie d'Océan. La guerre du Vietnam constitue un leitmotiv dans le texte jouant le rôle d'un traumatisme générationnel. L'auteur raconte sa vie chaotique entre une grand-mère schizophrène délirante et une mère brutale et colérique, travaillant dans un bar à ongles. Cette vie de misère sociale accule l'écrivain à dénoncer le racisme ambiant aux Etats-Unis. Il évoque son corps souffrant, sa crainte d'une violence permanente envers les asiatiques, car il a la peau trop claire pour les vietnamiens et trop foncée pour les Blancs. Jeune homme, ses désirs le poussent vers Trévor, un copain qui travaille dans un champ de coton. Cette relation amoureuse illumine sa vie restreinte malgré la mort de cet ami d'une overdose. Il découvre aussi la "splendeur" de la littérature, en particulier Rimbaud : "Soudain, il me semblait possible que quelqu'un comme moi - jeune, pauvre, queer, bizarre - puisse s'imaginer en écrivain". Cette lettre d'une poésie indéniable s'adresse à sa grand-mère et à sa mère, deux femmes analphabètes qui ne la liront jamais. Ocean Vuong utilise plusieurs registres dans son texte fragmentaire : dénonciation du racisme, problème identitaire, violence sociale, quête amoureuse et bien d'autres sujets délicats. Le narrateur prend sa plume virtuose pour décrire une réalité complexe et chaotique. Mais, il faut aussi retenir dans ce roman autofictionnel une rage salutaire à la Rimbaud et un recours à l'écriture rédemptrice : "C'est ça écrire, après cette absurdité, c'est descendre si bas que le monde s'offre à toi sous un nouvel angle plein de miséricorde". Un nouvel écrivain américain est né, il s'appelle Océan Vuong.