lundi 24 mars 2014

Rubrique cinéma

J'aime la discrétion existentielle  et la finesse psychologique dans le cinéma et de nombreux films français possèdent ces deux qualités. L'un d'entre eux vient de sortir d'une façon non tonitruante (pas de rubrique télé ou presse), il s'agit de "La pièce manquante" du réalisateur Nicolas Birkenstock avec Philippe Torreton, Lola Duenas et Armande Boulanger. André, le mari, et Paula, sa femme, vivent dans une maison de campagne avec leur fille aînée et leur fils adoptif. Lui est sculpteur et travaille dans son atelier. Paula aime son mari et ses enfants. Tout semble normal, mais Paula quitte André et ses enfants sans explication, en catimini. André retrouve au dos d'un dessin, un mot de Paula : elle lui écrit de ne pas la rechercher et d'accepter son départ. La famille va s'organiser dans la vie quotidienne et André assume en père responsable le vide affectif provoqué par Paula. Il refuse de parler à son plus proche entourage y compris à ses beaux-parents de la "désertion" de sa femme. Il recrute un détective en cachette qui retrouve la trace de Paula : elle est partie rejoindre son grand amour de jeunesse à Buenos Aires avec lequel elle a communiqué pendant vingt ans. La fille aînée trouve la correspondance de Paula avec cet homme dans une commode et elle comprend alors l'absence de sa mère. Le jeune garçon, mutique et désespéré, ne supporte pas cette vie bancale et André essaie de combler cette absence avec un courage infini. Dans le cinéma contemporain, on voit souvent les femmes dans la position de victimes (elles sont souvent trompées ou quittées).  Paula a provoqué un séisme psychologique en rompant aussi brutalement. La scène où André prépare un grigri (une pomme coupée en deux avec un billet avec les deux prénoms), pour faire revenir sa femme, montre  bien sa désespérance. Je ne vais pas dévoiler l'issue du drame : Va-t-il aller la chercher à Buenos Aires ? Ou tourner la page ? Ce film est vraiment intéressant et émouvant, surtout du côté du père en homme amoureux, aimant ses enfants, voulant les protéger, et gardant toujours l'espoir d'un retour possible de sa femme. Un beau rôle pour Philippe Torreton. 

vendredi 21 mars 2014

"Loin"

J'ai déjà évoqué J.-B. Pontalis dans mon blog car j'avais vraiment beaucoup aimé ses dernières œuvres, écrites dans les années 2000 : "Le dormeur éveillé", "Marée haute, marée basse", "Avant". J'ai donc décidé de lire "tout Pontalis" ! Je suis une lectrice-dévoreuse et quand j'aime un écrivain, je suis dans une démarche "englobante" et ma curiosité insatiable dicte mon comportement. Peut-être aussi que cette frénésie du 'tout lire" me vient de mon ancien et beau métier de bibliothécaire quand on s'efforçait d'offrir aux lecteurs l'ensemble d'une œuvre littéraire. Comme J.-B. Pontalis n'appartient pas à la catégorie des "Pléiadisés" (comme ce serait original d'intégrer cet écrivain-psychanalyste...), j'ai acheté la dizaine de poches de la collection Folio et j'en savoure un par mois. En mars, j'ai lu "Loin" paru en 1980. Ce roman n'a absolument pas vieilli et j'ai retrouvé avec plaisir sa prose élégante, ses réflexions sur la vie et sur les relations, la place de l'amour dans les couples, les sensations de l'éloignement. Le "loin" du titre prend toute sa dimension dans le roman car ce mot symbolise les sentiments du personnage principal, âgé de 27 ans, à l'égard des deux femmes aimées, de ses parents et de son pays. Loin des siens, il part à Mymia (ville imaginaire d'une ancienne colonie) pour assumer un poste de professeur. Il partage sa vie entre une Angèle amoureuse-fidèle et une Alix amoureuse-fugueuse. Pour échapper à l'emprise de "ses femmes", il repart chez sa mère, dans sa maison de famille en Normandie. Les relations familiales sont analysées avec une acuité et une ironie savoureuses. Je cite ce petit extrait concernant sa maison de Carville que sa mère veut vendre : "La mémoire est un lieu. Sans Carville, chaque trace effacerait la précédente, chaque jour de ma vie se ferait puis se déferait comme un nuage. Cette maison était mon lieu de mémoire. Je l'aimais pour ne pas m'effacer. Ô maison immobile et lointaine, toi et moi resterons indivis". J-B. Pontalis ressemblait-il à ce jeune homme rêveur, songeur, indécis et incompris ? Ses livres que je vais découvrir au fil des semaines me donneront la réponse... 

jeudi 20 mars 2014

Amsterdam

Avant de partir à Amsterdam la semaine prochaine, j'ai consacré pas mal d'heures à consulter les sites internet des musées, de la ville et je dois aussi ajouter la récolte d'infos très précises sur Wikipédia. Evidemment, j'ai acheté deux guides qui se complètent à merveille : le "Cartoville" des Editions Gallimard  et le "Amsterdam" dans les guides "Voir" de Hachette. Le premier dans un format poche se déplie avec ses plans par quartiers, le nom de rues, l'emplacement des monuments, des églises, des musées et des curiosités à ne pas manquer sans oublier les cafés historiques, les bons restaurants et les bons plans pour le shopping (inutile pour ma part !). Mon deuxième guide, plus lourd, plus sérieux avec ses 310 pages, offre une mine d'or dans tous les domaines : histoire, art, architecture, vie quotidienne, etc. : un guide indispensable que j'emporte dans mon sac toute la journée. Après avoir établi mon plan d'action grâce à ses guides, plus ceux que j'ai empruntés à la médiathèque pour compléter mon programme, j'ai trouvé deux ouvrages d'écrivains français sur leur séjour dans cette Venise du Nord. Il s'agit de Viviane Forrester qui a écrit un texte court dans la collection "Un guide intime" des Editions Autrement, paru en...1986, mais qui n'a pas pris une ride selon moi, bien au contraire. Je cite sa première phrase :"L'eau qui baigne Amsterdam et qui est Amsterdam, la pierre qui borde l'eau d'Amsterdam, la pierre et l'eau qui forment comme un corps apaisé, apaisant, attirent et retiennent en cette ville si particulière et qui, pourtant, ne s'impose jamais." L'œil d'un écrivain me semble indispensable pour voir la ville avec un regard différent, j'oserai dire, "poétique". Le deuxième récit est écrit par Elisabeth Barillé, "Amsterdam à ma guise" aux Editions du Rocher, paru en 2002. Cette écrivaine a vécu dans cette ville et nous décrit l'atmosphère des canaux, la présence de Descartes et d' Etty Hillesum, (je lis son journal en ce moment). Une ville sans littérature n'existe pas pour moi. Je vais visiter la maison d'Anne Frank (1 million de visiteurs par an) et je vais relire son journal que j'avais évidemment découvert avec une émotion à fleur de peau quand j'avais 13 ans. Pèlerinage artistique (Rembrandt, Van Gogh), pèlerinage littéraire (Anne Frank, Etty Ellisum), pèlerinage architectural (les maisons à pignons et les canaux), pèlerinage historique (le calvinisme, la tolérance religieuse, la prospérité marchande), voilà mon projet d'escapade sur la terre hollandaise. Les livres me paraissent une source indispensable : ils m'aident à rêver la ville dans son passé comme dans son présent et le voyage se commence en amont, des semaines avant de partir, puis il se vit intensément, les yeux en alerte, les jambes en action et l'esprit en émoi. Et quand le voyage est terminé, commencent les souvenirs, les photos, les textes à écrire, et se dire, "j'ai vécu quelques jours là-bas" et les images, les odeurs et la vie d'Amsterdam seront pour toujours gravées dans ma mémoire...

mercredi 19 mars 2014

Atelier de lecture, 2

Hier, j'ai oublié de signaler le coup de cœur de Mylène pour Belinda Cannone,. J'ai donc rectifié l'erreur dans le billet daté de mardi 18 mars. J'aborde aujourd'hui les commentaires sur les romans tirés au sort sur le thème des villes européennes dans la littérature. Janine avait choisi "La fête à Venise", une ville qu'elle apprécie tout particulièrement car elle est une "italianiste" convaincue, mais elle n'est pas du tout rentrée dans ce livre de Sollers que l'on aime d'emblée ou que l'on rejette illico presto... Janine n'a donc pas fêté les noces avec Sollers, dommage... Danièle a beaucoup apprécié "L'hiver à Madrid" de C.J. Sansom, un écrivain anglais, spécialiste de romans historiques. L'histoire se déroule en 1940, dans un Madrid exsangue après l'horreur de la Guerre civile. Harry, des services secrets anglais, tente de retrouver Bernie son meilleur ami, fervent communiste porté disparu. Espionnage, amour, amitié, trahison, ce livre a conquis Danièle. Geneviève a aussi aimé le roman de Vassilis Alexakis, "La langue maternelle" sur Athènes et le mystère de la lettre epsilon (e). Le héros est rentré dans son pays après vingt ans d'exil, pour retrouver ses racines grecques et revisite ainsi sa culture d'origine. Régine avait tiré au sort deux livres : "Le pianiste de Trieste" d'Aliette Armel qu'elle a trouvé trop long, alambiqué et surtout n'évoquant pas du tout la belle cité de Trieste et "La porte des enfers" de Laurent Gaudé, publié en 2008. Ce roman baroque a comblé ses attentes de lectrice passionnée : l'histoire autour de la Mafia, la galerie de personnages hauts en couleurs, la descente aux enfers et la vengeance finale introduite dès la première page du roman. Un livre extraordinaire, selon Régine... A mettre sur vos carnets de lecture. Dany a ensuite lu "Le dîner" d'Hermann Koch, un écrivain néerlandais très apprécié dans son pays. L'action se déroule à Amsterdam dans un restaurant branché où deux frères se retrouvent avec leurs épouses respectives. On parle de tout et de rien et, surtout, on évite de parler de leurs préoccupations du moment : les enfants.  Véronique n'est pas rentrée dans le roman d'Hugo Hamilton, "Le Marin de Dublin" et Janelou a été très déçue par Anne Wiazemski et son "Mon enfant de Berlin". J'ai proposé en fin de séance un projet bibliographique sur les villes et les romans, d'Europe et d'ailleurs, pour voyager et appréhender la réalité d'une autre façon que dans les guides souvent trop pratiques. Avant de partir, rien ne vaut la compagnie des écrivains dans leur lieu de prédilection. Dans cet atelier, nous avons quand même évoqué Venise, Madrid, Athènes, Naples, Amsterdam, Dublin et Berlin... Il faut bien préparer nos escapades printanières !

mardi 18 mars 2014

Atelier de lecture, 1

En ce bel après-midi ensoleillé, nous nous sommes retrouvées une bonne dizaine de lectrices motivées pour partager les coups de cœur que je vais essayer de résumer me basant sur mes notes rapidement prises au fil des récits. Demain, j'aborderai les livres tirés au sort. Régine a démarré la séance avec Sylvie Germain et ses "Petites scènes capitales", une nouveauté de la rentrée littéraire de septembre 2013. Autour des 49 chapitres, se dessine le destin de Lilli, une petite fille abandonnée par sa mère qui se suicide. Son père se remarie et fonde une nouvelle fratrie de trois sœurs et un frère. Lilli vit en témoin distancié les relations familiales houleuses et dramatiques et cherche l'amour tout au long de sa vie. Sylvie Germain est une très grande voix de la littérature d'aujourd'hui, une voix singulière servie par une écriture somptueuse...  Une lecture indispensable. Régine a aussi conseillé, dans un tout autre registre, un roman policier, "Le dernier lapon" d'Olivier Truc, édité au Seuil dans l'excellente collection "Points Policier". Olivier Truc est correspondant à Stockholm du Monde et du Point. L'action se déroule en 1963 dans la nuit polaire de la Laponie centrale. Un tambour chaman doit être exposé dans un centre culturel mais il est volé et un éleveur de rennes est assassiné. Un inspecteur lapon et son équipière se lancent dans une enquête déroutante. Un policier très dépaysant... Dany a évoqué son grand coup de cœur du mois que je partage avec elle (voir mon blog) : "Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal, un magnifique roman sur un sujet austère, la transplantation cardiaque et l'histoire de tous les protagonistes de cette histoire de "réparation" des corps. Véronique a cité un récit  autobiographique d'A. Martin, "Parcours initiatique d'un double greffé" aux Editions Persée. Elle connaissait la famille de cet auteur et son intérêt pour ce récit en était décuplé. Sylvie-Anne a parlé d'un étonnant recueil d'articles de Vassili Peskov, "Des nouvelles d'Agafia, ermite dans la taïga", aux éditions Actes Sud. Agafia est la dernière survivante d'une famille retirée depuis 1928 dans la taïga pour une incroyable "robinsonnade" d'un demi siècle, puis découverte par une équipe de géologues. Elle est le dernier témoin d'un schisme orthodoxe depuis trois cents ans. Le journaliste raconte ses nombreux contacts avec Agafia de 1992 à 2008. Sylvie-Anne a aussi beaucoup apprécié une nouvelle de Stefan Zweig, "Un soupçon légitime". Janelou a aimé un écrivain très réputé d'Afrique du Sud, Don Meyer, et son roman policier, "Treize heures"  ou l'histoire d'une enquête qui dure treize heures, sur l'assassinat d'une jeune américaine. Un livre prenant sur le brassage et les tensions ethniques dans une Afrique du Sud post-apartheid. Efficace et assez optimiste sur l'avenir de ce pays complexe. Danièle a parlé de Philippe Claudel, un écrivain et réalisateur de films. Son ouvrage "Le bruit des trousseaux", paru en 2002,  l'a beaucoup touchée car il aborde la vie en prison, la vie très dure et difficile des détenus, hommes et femmes. Mylène nous a communiqué son enthousiasme pour Belinda Cannone et son récit sur son père, "Le don du passeur" dont j'ai parlé dans ce blog, un bel hommage à ce père "non-tranquille" et passeur d'affects, un héritage accepté et analysé avec une finesse littéraire toujours aussi caractéristique de l'œuvre de cette écrivaine originale et tellement proche de ses lecteurs(trices).  Geneviève a lu avec plaisir "Racontars d'Arctique" de l'écrivain danois, Jorn Riel, des histoires loufoques de chasseurs et de pêcheurs, dans un milieu naturel hostile et leur mode de vie dans leurs cabanes de survie. Un conte polaire irrésistible d'humour. Demain, la suite...

lundi 17 mars 2014

"Béton armé"

J'ai lu récemment le récit de voyage de Philippe Rahmy, "Béton armé" après un conseil très avisé, recueilli au sein de l'atelier de lecture. Cet écrivain est membre fondateur du site de création et de critiques littéraires Remue.net. Il a aussi obtenu le prix des Charmettes/Jean-Jacques Rousseau pour son livre, "Mouvement par la fin, un portrait de la douleur", édité au Cheyne en 2005. Philippe Rahmy, natif de Genève, souffre de la maladie des os de verre. Dans son récit de voyage sur la ville de Shangaï, il évoque avec beaucoup de lucidité cette maladie handicapante qui lui a donné une identité différente, une sensibilité hors du commun et une énergie sans faille. Lorsque il est invité en résidence par l'Association des écrivains de Shangaï, Philippe Rahmy n'hésite pas à se lancer dans ce voyage malgré son état de santé. Dès qu'il arrive dans cette mégapole de 20 millions d'habitants (!!!), il note ses impressions : "Des millions de visages continueront à défiler dans les phares des voitures. Des pas rapides sur le trottoir, étouffés, comme le murmure d'un peuple marchant sur la pointe des pieds. Et des yeux noirs, perdus, derrière lesquels on verra briller la force de chaque jour." Les descriptions de cette ville révèlent sa beauté, mais aussi sa monstruosité. Il s'interroge au fil du récit sur les Chinois de Shangaï, leur caractère, leur tempérament et leur mode de vie. L'écrivain intègre à son journal de voyage, ses souvenirs d'enfance, sa famille, et il rend un hommage à la lecture, aux livres, à la littérature. Je ne résiste pas à vous offrir cet extrait : "Ces textes ne m'ont pas seulement ouvert l'esprit. Ils sont aussi devenus mon corps. Comment la littérature, toute de nuances et de faux-fuyants, qui ne nous aide pas à comprendre la vie, mais à en faire notre demeure, qui nous désoriente avec bonheur, multipliant les chemins des écoliers et les occasions de faire l'école buissonnière sur la ligne droite qui mène du berceau à la tombe, aurait-elle le pouvoir de commander la matière ? (...) Un après-midi, je m'en souviens très bien, nous venions de terminer Le Grand Meaulnes, je me suis redressé. J'ai senti mes jambes prêtes à me porter. Je me suis levé. J'étais Augustin Meaulnes, grand et mystérieux au seuil de la vie". Philippe Rahmi a écrit un beau récit de voyage, dépaysant et poétique, des souvenirs autobiographiques attachants et un hymne à la vie malgré la présence de la maladie.

vendredi 14 mars 2014

"Sauf les fleurs"

Voici un premier roman de qualité, écrit par un jeune écrivain, Nicolas Clément, et édité chez Buchet-Chastel en 2013. Ces 75 pages se lisent d'une traite, sans pause et on en ressort assommée par cette histoire sombre et tragique mais aussi épatée par l'audace littéraire de ce nouveau venu dans les lettres françaises. J'espère qu'il poursuivra sa "carrière" en littérature tellement son premier "galop" dans une série d'obstacles (trouver un éditeur, rencontrer son public et continuer ce concours) me semble très réussi. L'histoire est simple : Marthe raconte sa vie quotidienne dans une ferme avec la présence de Léonce, son petit frère et ses parents. Mais, cette ferme ne ressemble pas au paradis terrestre : son père est un homme violent et il bat sa femme. Cet homme rustre et primaire va aller encore plus loin dans sa conduite inqualifiable : il va blesser sa femme jusqu'à la mort. Après l'enterrement de sa mère, Marthe quitte son pays avec son jeune compagnon pour Baltimore et Léonce est confié à une famille d'accueil. Marthe va trouver la force de survivre grâce à sa découverte du... grec ancien. Elle écrit : "Je ferai des études pour être professeur de grenier et de livres anciens". Plus loin, elle ajoute : "Je trouve dans le grec ce que je cherchais sans pouvoir l'obtenir : un temps qui m'appartient, une terre natale enfouie sous mes sarments de petite fille, une passion qui bat sans me priver, plus sûre que le sang capricieux qui m'arrose, plus calme que la brûlure des familles." Je ne dévoilerai pas le final de ce petit roman en nombre de pages mais d'une grande intensité émotionnelle. J'ai apprécié la structure en petits paragraphes avec une utilisation du temps très efficace (Marthe, âgée de 12 à 18 ans), le style percutant, souvent imagé, et semé de formules elliptiques "coup de poing", l'histoire de cette famille où la tragédie va surgir à la fin du roman, et surtout le portrait de Marthe, une petite fille battante, résolue et d'une force qui ressemble à celle de sa grande sœur, Antigone (encore une femme grecque). Un premier roman remarquable !

jeudi 13 mars 2014

"1000 émotions"

Ce petit livre tout rouge se lit comme un jeu de mots : "1000 émotions qui n'ont pas de nom" de Mario Giordano, un auteur allemand (et non italien). Cette longue liste démarre par ces mots : "l'ivresse de voir la mer pour la première fois" et les phrases s'enchaînent les unes aux autres avec un désordre poétique évident, mais cette impression de fourre-tout, de mots en vrac, s'attenue grâce à la structure de la numérotation. Le lecteur(trice) peut lui aussi feuilleter le recueil "émotionnel" au hasard des pages. On peut aussi lire 20 émotions par jour, ou on peut commencer par la millième... Les émotions revendiquées par l'auteur concernent la vie quotidienne, les relations sociales, l'amitié, la famille, l'auteur lui-même. Mario Giordano énumère les petites contrariétés mais évoque aussi les grands moments de joie. Il intègre les petites déceptions et n'oublie pas les grandes satisfactions. Dans ce joli bazar des émotions, je préfère vous en citer quelques unes : "La stupéfaction de voir les autres réussir avec si peu de talent", "Le délice d'un rayon de soleil sur les pieds", "La fierté d'être monté sur le Mur de Berlin en 1989", "La sérénité quand on n'a plus rien à prouver", "L'espoir de ne pas finir ses jours seul", "La stupéfaction d'être épargné par la douleur", "L'impatience dans une file d'attente", "La beauté des chants sacrés". Je pourrais prolonger l'énumération mais il vaut mieux se procurer ce livre-jeu qui ressemble au récit cocasse et ludique de Georges Perec, le beau "Je me souviens", exercice oulipien qui se veut léger par la forme imposée mais profond par le sens. J'aime bien ces ouvrages qui ne sont ni des romans, ni des essais, ni des beaux livres : ce sont des électrons libres de l'édition et les livres, hors appartenance à une catégorie précise, me sont d'emblée très sympathiques... Et si chacun de nous écrivait une émotion par jour ?

mardi 11 mars 2014

"Le don du passeur"

J'ai déjà évoqué l'essayiste Belinda Cannone dans mon blog car j'avais beaucoup apprécié "L'écriture du désir", "Le sentiment d'imposture" et "La tentation de Pénélope". En 2013, elle a écrit "Le don du passeur", un récit très délicat sur la vie de son père, d'origine sicilienne. "Ce drôle de bonhomme, ce bonhomme qui m'a aussi légué la joie, le désir d'intensité et la passion de vivre". Le récit autobiographique de Belinda Cannone se veut une étude approfondie de la vie de son père. Belinda Cannone a prévenu sa mère et sa famille qu'elle allait écrire un livre sur ce père disparu et surtout évoquer cette figure paternelle dans son authenticité et dans son amour de la liberté. Il avait rempli des carnets où il notait ses pensées, ses sentiments que Belinda nomme "affects". Passeur, cet homme a transmis à ses enfants le don de s'émerveiller devant la nature, les enfants, la vie. Il leur disait "Regarde, regarde ! Ecoute ! Sens ! Mais aussi, Imagine ! Son père était l'original de la famille, il croyait à l'éducation, au progrès et cet héritage précieux, Belinda l'analyse et le "décortique" pour montrer l'influence capitale du comportement des parents sur la vie de leurs enfants. Le portrait paternel se dessine par anecdotes successives avec un rappel permanent de la propre vie de l'auteur. Elle nous confie donc en même temps l'histoire de sa relation fille-père et se pose la question que tous les enfants doivent se poser : comment connaître, comprendre, appréhender nos "géniteurs" ? Elle va se demander si son père avait une vie "ratée" et sur quels critères baser cette intuition ? Elle écrit : "Je savais depuis toujours que la mort de mon père me causerait, en plus de la douleur de sa perte, une souffrance particulière, provoquée par l'association de son innocence et du ratage général de sa vie". Elle le compare souvent à "l'Idiot" de Dostoïevski tant son originalité, sa générosité et aussi son irresponsabilité pouvaient provoquer des tensions dans la famille. Plus loin, elle avoue avec une franchise étonnante : "Car il fut mon père et mon éducateur, mais aussi un vieil enfant inadapté qui me broyait le cœur". J'ai rarement lu des témoignages de cette qualité, et cette tentative réussie de portrait-mosaïque est une exploration de la complexité psychologique d'un homme fragile, un père attachant, un personnage de roman comme on peut tous et toutes le devenir... 

lundi 10 mars 2014

Rubrique cinéma

Les critiques n'ont pas été tendres avec ce film du réalisateur américain, John Wells, tiré d'une pièce de théâtre de Tracy Letts. "Un été à Osage County" appartient à la catégorie des longs métrages des règlements de compte où une famille se déchire, s'invective, se cache des secrets honteux et finit par éclater. Les premières images frappent d'emblée le spectateur(trice) par sa violence dans l'intimité d'un couple en crise : le mari, écrivain en fin de carrière, ne supporte plus la déchéance de sa femme, atteinte d'un cancer et qui, en absorbant une quantité de médicaments, s'est transformée en furie. Il est tellement fatigué qu'il fuit le domicile pour se suicider dans la rivière proche. La mère prévient ses trois filles et commence, à ce moment-là, le cœur du drame. Après les obsèques du mari,  le repas familial se déroule en pugilat psychologique, avec une dose d'humour noir, once de légèreté dans cette atmosphère étouffante et oppressante. La mère, interprétée par la légendaire Meryl Streep, compose une femme malade, vieillie, tourmentée. Se sentant la mort venir, elle rejette toutes les hypocrisies familiales en lançant des vérités redoutablement blessantes à ces trois filles : l'une, plutôt idiote, vit en couple avec un homme flambeur, la deuxième est amoureuse de son cousin et la dernière, jouée par Julia Roberts, va se séparer de son mari.  Dans ce déballage impitoyable, aucun personnage n'attire l'empathie du spectateur : ils ont tous un comportement "borderline". De la tante qui a trompé sa propre sœur avec son beau-frère, de la nièce qui commence à fumer des joints, du cousin immature à son père trop mou, des filles qui se reprochent leur manque d'amour et de solidarité, avec le summum de la cruauté mentale de la mère, le réalisateur montre une famille "idéale" en décomposition, phénomène assez rare dans le cinéma américain. La seule qui sort de ce magma, s'avère être l'aînée, la préférée de la mère. Elle va prendre une décision radicale : rompre le lien avec cette mère manipulatrice et cruelle. On ne s'ennuie pas dans ce type de film, que certains vont trouver trop outrancier, assez invraisemblable et irréaliste. Mais, au fond, ce film montre aussi les dysfonctionnements dans les familles : secrets cachés, malentendus inexpliqués, rancœurs accumulés, trahisons et lâchetés non démêlées. J'avais l'impression de me retrouver dans la mythologie grecque avec des parricides, des matricides, des comportements violents, excessifs et passionnels. Tragédie gréco-américaine, comédie noire, ce film à la tonalité "bergamienne" se voit avec un certaine curiosité et un interrogation dubitative tout au long des deux heures, et malgré cet échantillon d'une humanité en détresse, je conserve toute mon admiration pour l'émouvante et magnifique Meryl Streep...

samedi 8 mars 2014

Antoinette Fouque

Une date symbolique, le 8 mars, Journée des femmes, marque cette belle journée de printemps. La presse et les médias ont quand même signalé nos luttes constantes pour l'égalité dans notre monde, dominé depuis des centaines d'années par un système social plus favorable aux hommes. Les chiffres dénoncent cette inégalité dans le travail, dans la vie quotidienne (elles continuent à assumer 80 % du travail ménager) et ne parlons pas de la situation internationale, surtout en Afrique avec l'excision, la violence conjugale, la misère, l'empêchement de l'éducation, de l'école... Je ne vais pas évoquer leur vie difficile bien que d'immenses progrès (il était temps) continuent de transformer leur condition. Je veux surtout évoquer la disparition d'une femme qui a beaucoup compté pour moi : il s'agit d'Antoinette Fouque.  Elle avait co-fondé le MLF, sigle sulfureux et révolutionnaire, qui fait encore peur et qui a marqué l'histoire politique et sociale du XXème siècle. J'ai participé pour ma part de 1976 à 1982 à la mouvance féministe (du planning familial aux féministes radicales en intégrant le groupe Psy et Po, à Paris, et j'ai eu la chance de rencontrer Antoinette). Son charisme, ses idées totalement nouvelles sur la notion du féminin, son "post-féminisme" n'ont pas été d'emblée compris surtout par les féministes "beauvoiriennes" historiques... Le dépôt du sigle MLF a été ressenti comme une usurpation, un vol symbolique de toutes les luttes féminines. Ce geste a longtemps blessé les militantes qui ne voulaient pas s'organiser en parti, qui refusaient un pouvoir structuré. Antoinette a interrompu l'activisme politique des groupes en 1982, mais elle a diffusé dans la société française une influence décisive symbolique en s'appuyant sur la maison des Editions des Femmes, publiant des livres militants et aussi très littéraires (dont l'œuvre d'Hélène Cixous), des albums pour la jeunesse, indispensables pour comprendre l'inégalité homme-femme, des expositions sur les créatrices novatrices, la bibliothèque des voix. Ces années 75-85 ont été fondatrices pour la condition des femmes en France. Antoinette aurait mérité une couverture médiatique plus importante, car même disparue, son influence culturelle et politique sera vivante et vivifiante. Dans un article de très grande qualité dans le Monde du 25 février,  Elisabeth Roudinesco évoque un dialogue entre la grande historienne Michelle Perrot et Antoinette,  qui aurait donné jour à un livre, et elle écrit : "Belle réconciliation au-delà des dissensions. Il serait temps qu'un historien serein restitue à ce mouvement des femmes, plein de bruits et de fureurs, la place qui lui revient." La reconnaissance de la place des femmes dans la société passe évidemment par les livres, l'écriture, l'art, la théorie, la pensée, et... la psychanalyse. Antoinette Fouque l'avait compris  en consacrant sa vie aux femmes, en France et partout dans le monde où la domination masculine est encore très loin de disparaître.

vendredi 7 mars 2014

Revue de presse

En mars, quatre revues reposent sur ma table de chevet. Le Magazine littéraire a changé sa maquette et je regrette déjà l'ancienne formule... Nostalgie oblige, mais je reconnais que les rubriques restent inchangées et surtout que la lisibilité des textes (hélas en trop petits caractères) sur un fond plus blanc semble plus aisée. Je trouvais l'ancienne maquette plus élégante, plus "sérieuse" et je trouve que cela devient un peu lassant de toujours changer. Il faut bien se renouveler de temps en temps, mais je crois que l'ancienne maquette n'a vécu que cinq ans... Ce mois-ci, le "nouveau" Magazine a sorti le dossier central sur le cynisme ou comment une philosophie antique est devenue le fléau de notre société. On peut lire aussi un entretien avec Jonathan Coe, un article sur Michaux,  une enquête sur les romanciers argentins et les critiques habituelles sur les nouveautés.  La revue Lire a mis à l'honneur les écrivains et la guerre de 14-18 avec un sous-titre "combattre, comprendre, témoigner". Comme la littérature argentine est l'invitée d'honneur du Salon du Livre de fin mars, Lire offre aussi une enquête intéressante. Transfuge propose un dossier alléchant sur les femmes d'aujourd'hui avec des textes de Christine Angot, Alice Munro,  Maylis de Kerangal, Régis Jauffret, etc. Les rubriques cinéma sont toujours aussi originales. La dernière revue du mois, Page,  m'éclaire vraiment sur les choix de mes lectures à venir. J'ai lu les articles sur Edouard Louis, Maylis de Kérangal (décidément très sollicitée dans la presse littéraire), Hanif Kureishi sans oublier, les bons romans policiers, les essais, etc. Voilà pour le mois de mars, un printemps prometteur pour découvrir de très bons livres...

jeudi 6 mars 2014

"Opération Sweet Tooth"

Ian McEwan, écrivain anglais, vient de publier "Opération Sweet Tooth", édité chez Gallimard en janvier 2014. Ce roman était attendu depuis 4 ans, et mon attente n'a pas été déçue. J'ai retrouvé avec un grand plaisir, l'ironie insolente, l'humour à fleur de ligne et l'invention romanesque sans égal de McEwan. Il raconte l'histoire de la belle Serena Frome, diplômée de Cambridge, dans les années 70. Elle s'intéresse mollement aux mathématiques qu'elle a pourtant choisies pour ses études et préfère de loin la littérature. Elle se lie à un professeur d'histoire qui l'initie à la politique et qui lance sa carrière au sein de la mystérieuse MI5, le service de renseignements chargé de la sécurité intérieure et du contre-espionnage. Dans ces années-là, la guerre froide sévissait en Europe : la lutte idéologique anti-communiste faisait partie de l'air ambiant. La hiérarchie au sein du MI5 empêchait les femmes d'être des officiers. Pourtant, Serena grimpe les échelons et se voit confier une mission "originale" : infiltrer un écrivain anglais débutant pour qu'il produise une œuvre en toute liberté mais une œuvre à l'accent libéral. Voilà notre espionne téméraire dans la vie de cet homme, espoir dans les lettres anglaises : Thomas Haley. Elle lui présente l'agence comme une plate-forme d'aide à la création et s'engage à lui verser une mensualité pour qu'il quitte l'enseignement. Commence une histoire d'amour pourtant basée sur le mensonge et la trahison. Serena rend compte à ses chefs de "l'avancée des travaux" et réussit à leurrer parfaitement ce benêt d'écrivain, naïf et persuadé de son talent littéraire. Le roman est aussi parsemé de textes de Thomas Haley, et son premier roman rencontre un certain succès auprès de la critique. La relation des deux protagonistes se transforme en une vraie histoire d'amour mais qui espionne qui ? Thomas se nourrit de Serena pour l'écriture et Serena vit sa mission avec beaucoup de passion. Mais, un grain de sable imprévu va dérégler la machine amoureuse et une surprise attend le lecteur(trice) dans les dernières pages... Roman d'amour, thriller d'espionnage, roman de mœurs, roman sociologique, Ian McEwan est vraiment un grand écrivain !

mercredi 5 mars 2014

Atelier d'écriture

Mylène nous a proposé ce mardi une séance d'écriture malgré la période des vacances. Elle a choisi le thème de l' île en nous distribuant un plan de l'habitation si célèbre de Robinson Crusoé et nous a lu un texte d'Hubert Haddad, extrait de son roman "Le peintre d'éventail". Chaque participante pouvait inventer une île, et après lecture des textes, on pouvait se promener dans l'océan pacifique, indien, atlantique... Comme je n'ai pas beaucoup d'imagination, j'ai rêvé d'un lieu à deux heures d'avion dans notre continent européen : je l'ai baptisée "Théa". Voici ma modeste contribution :
"La Grèce est en faillite. Récemment, j'ai lu une annonce dans le journal local et je vais enfin réaliser mon rêve : je vais tout vendre et j'achèterai un tout petit îlot dans les Cyclades à un prix dérisoire. Enfin, je vais robinsonner à la grecque... L'agence m'a prévenue : sur ce rocher aride et battu par les vents, il faut respecter l'environnement et je peux quand même utiliser les ressources d'une nappe phréatique pour mes futures plantations. Qui n'a pas rêvé de tout laisser tomber et de partir ? Mais, rares sont les courageux qui passent à l'acte, courageux ou inconscients ? Je l'imagine, mon île, couverte d'oliviers, et sur un promontoire dominant la mer, une maisonnette cubique blanche et bleue, entourée d'une terrasse. Je rêve d'un dialogue avec les dieux et surtout les déesses (Délos est proche de mon îlot) et pour rester les pieds sur cette terre sacrée, je cultiverai mes oliviers pour produire un nectar exceptionnel que j'expédierai à mes amis restés sur le continent. Que demander de plus ? Une île blanche, une mer bleue, une lumière jaune, un ciel argenté, des oliviers vert doré, une terre ocre, et les tranches multicolores de mes livres dans la bibliothèque... Silence et solitude, lecture et écriture, la mer à l'horizon et la musique baroque du vent dans les branches des oliviers, c'est décidé, je me "recycle" dans mon rêve-îlot, en attendant un départ prochain..."
 

mardi 4 mars 2014

"Pluie rouge"

J'ai évoqué en février un écrivain néerlandais, Gerbrand Bakker, et je poursuis mon exploration littéraire du côté des Pays Bas avec Cees Nooteboom, romancier, poète, essayiste et surtout grand voyageur, arpenteur du monde et de ses merveilles. Je viens de lire son recueil de récits, "Pluie rouge", édité chez Actes Sud en 2008. "Je suis une tribu nomade de deux personnes. Voilà, le moment est revenu, la transhumance annuelle du troupeau à travers la France, le passage des Pyrénées en direction de l'Aragon, destination : Barcelone et l'île." En effet, notre écrivain passe la moitié de l'année à Majorque, et ce séjour annuel dure depuis quarante ans... Il raconte diverses anecdotes sur l'île, un pays très attachant, loin des images du tourisme de masse. Il décrit avec un grand sens de l'observation, teintée d'une ironie mordante, la présence bienfaisante des voisins, la beauté de la nature, la cuisine locale, les animaux familiers, le jardin à soigner. Il écrit à propos de ce jardin qui lui manque quand il vit à Amsterdam : "J'ai mis des années à comprendre mon jardin, et à pouvoir supporter la rancune qu'il me montrait du fait de mon absence." Cees Nooteboom intègre aussi des récits très courts sur ses voyages au Japon, au Maroc, en Italie, en Allemagne et en Provence. Ce baroudeur, follement curieux du monde, confie avec une grande clarté la genèse de ses romans. Ce recueil vraiment très agréable à lire m'a donné envie de découvrir son œuvre entière  publiée chez Actes Sud. Je le considère comme un veilleur de sensations liées aux voyages et comme un éveilleur, doté d'une immense empathie ressentie pour les "gens", les lieux, les paysages, le quotidien, les chats, la vie dans toutes ses dimensions, l'ici et l'ailleurs enfin réconciliés... Il nous communique une envie de bouger, d'observer, de raconter, de lire, de découvrir : une leçon de choses à l'ancienne et une leçon de vie à suivre.