lundi 26 novembre 2018

"Tous les hommes désirent naturellement savoir"

Nina Bouraoui a publié à la rentrée son dernier opus, "Tous les hommes désirent naturellement savoir". Je trouve dommage qu'elle n'ait obtenu aucune récompense littéraire mais les jurys ont préféré les auteurs hommes, un vrai record cette année. Evidemment, le talent prime d'abord et la parité féminin-masculin n'existe pas dans le monde de la littérature. Pourtant, la voix sensible, féminine, empathique de Nina Bouraoui commence à se faire entendre. Cette écrivaine évoque son homosexualité assumée dans ce livre au titre tiré chez l'antique philosophe Aristote. Les cours chapitres s'enchaînent avec une harmonie musicale et s'intitulent le "devenir", "se souvenir", "être", "savoir". Elle évoque son enfance algérienne, ses parents dont la mère bretonne ose défier sa famille et a le courage de se marier avec un étudiant algérien dans les années 60. Petite fille, elle se sentait singulière ne correspondant pas aux canons de la féminité qui régnait à cette époque. Elle assiste un jour au retour de sa mère, bouleversée par son agression dans la rue dans un pays non reconciliée. En 1981, Nina quitte l'Algérie pour rejoindre la France. La répression religieuse s'installe pendant dix ans et ses parents anticipent leur départ. Accueillies par ses grands-parents à Rennes, Nina et sa sœur terminent leur scolarité et avec son bac en poche, elle part faire ses études à Paris et fréquente une boite de nuit où elle espère rencontrer l'amour de sa vie, une femme. Mais, elle observe aussi dans ce milieu interlope les ravages de l'alcool, les envies de suicide, la cruauté des amours malheureuses, le malaise de cette identité difficile à porter. Surtout, l'auteur vit une double différence avec ses origines algériennes et son orientation sexuelle. Dans les années 90, on était encore très loin du mariage pour tous. Elle raconte avec émotion sa rencontre avec Julia qui pourtant se joue d'elle. Elle découvre un univers féminin complexe où le mensonge peut régner comme partout. Dans ce récit autobiographique d'une poésie sensuelle, l'écrivaine avoue son amour pour les mots, la littérature et ce combat quotidien l'aide à surmonter les obstacles de sa différence sexuelle. Quel dommage que cet ouvrage lumineux et courageux n'ait pas obtenu le prix Médicis ! Trop féminin, trop sensible, pas assez violent et pourtant, elle évoque les violences de l'Algérie, du racisme, de l'homophobie qui ont eu de l'influence dans sa vie de femme. Il faut découvrir son œuvre singulière et ce livre publié chez Lattès confirme son parcours de combattante pour révéler avec clarté et audace que la différence peut se vivre aussi comme une richesse existentielle.