lundi 12 juin 2017

"S'émerveiller"

Belinda Cannone a publié sept romans et plusieurs essais dont "L'écriture du désir", "Le sentiment d'imposture", "La bêtise s'améliore" et "La tentation de Pénélope". Les titres de ces ouvrages ont attiré mon attention (on ne se rend pas compte de l'importance capitale d'un titre...). Dans ce dernier opus, l'écrivaine a choisi d'évoquer un sentiment passé de mode, parfois raillé, parfois moqué et appartenant à la catégorie des sentiments  de béatitude heureuse, une insulte pour les malchanceux, les grincheux, les fâcheux, les aigris et ma liste pourrait s'allonger sans cesse. Le verbe "s'émerveiller" peut se conjuguer à tous les temps et révèle un état d'esprit, une ouverture au monde, à l'instant présent, à une "délocalisation" de soi-même. Rien de spectaculaire dans la description de ces fulgurances exceptionnelles : il suffit de regarder autour de soi. Belinda Cannone écrit : "Souvent, c'est un état intérieur favorable qui nous permet de percevoir une dimension secrète et poétique du monde. Soudain, on vit pleinement, ici et maintenant, dans le pur présent". Elle raconte simplement ses émerveillements :  le chêne séculaire devant sa maison de campagne, un essaim d'étourneaux, le grain d'une peau, un haïku, un lied de Schubert (comme je la comprends...).  J'ai retrouvé dans un chapitre la référence du "sentiment océanique" de Romain Rolland dans une lettre qu'il adresse à Freud qu'elle qualifie de "summum" de l'émerveillement. Malgré le risque "d'enténèbrement" qui frappe notre époque (attentats, société fracturée, chômage de masse), il est pourtant salutaire de se sentir en vie, de ressentir ces éblouissements passagers et provisoires, souvent provoqués par des rencontres anodines ou rares. Cet ouvrage ouvre des horizons pour ceux qui aiment la lenteur, une certaine solitude, l'attention au monde qui nous entoure. L'essai propose en fin de chapitre une photo d'amateur que Belinda Cannone commente poétiquement. L'émerveillement doit se cultiver, s'apprivoiser et l'écrivaine propose un mode d'emploi pour "éprouver partout, devant toutes sortes de spectacles, un mystérieux ajustement entre l'univers et nous". Ce livre fait du Bien, dit le Beau et donne envie de voir notre quotidien, souvent trop prosaïque, d'un œil nouveau. Elle confie son secret de vie : "se défamiliariser", décaler son regard, s'étonner, bref, ouvrir son esprit et être surpris. Ce livre fourmille d'anecdotes, de références littéraires, de confidences intimes : un bonheur de lecture...