lundi 28 décembre 2020

Mes 1O romans étrangers préférés de l'année

Mes coups de cœur  pour les 10 romans étrangers se situent dans la zone anglophone et un peu latine. Pourquoi privilégier la littérature anglaise, américaine, italienne, espagnole et allemande au détriment d'autres continents littéraires ? Peut-être que la réponse se trouve chez les éditeurs en particulier chez Gallimard qui cultive l'art de la qualité littéraire et de la traduction. Mes goûts littéraires sont portés par la langue qui façonne un univers commun. J'ai aussi besoin de partager un ensemble de valeurs esthétiques transmises depuis des siècles, d'Homère à Milan Kundera. Il ne faudrait pas les nommer "étrangers" ces romans qui parlent de nous, que l'on soit à New York ou à Rome, à Berlin ou à Londres, un espace géographique commun assez vaste, tout de même. Mais on pourrait me reprocher mon manque de curiosité pour des continents plus lointains comme l'Asie ou l'Afrique. En 2021, je me promets de franchir quelques milliers de kilomètres de plus pour découvrir des univers romanesques certainement riches de singularités. Voila mon palmarès : 

- "Nos espérances" d'Anna Hope : un roman formidable sur l'amitié féminine, les destins accomplis ou contrariés des héroïnes. Cette écrivaine anglaise est la digne représentante de ses aînées comme Doris Lessing, Margaret Drabble, Anita Brookner, etc. 

- "La vie mensongère" d'Elena Ferrante : la magie de l'Italie, l'univers féminin, le mensonge ou l'art de survivre. Irrésistible, Elena Ferrante.

- "Faits, autobiographie d'un romancier" de Philip Roth : un récit majeur dans l'œuvre de Philip Roth avec sa lucidité, sa sincérité et son audace. Une confession et des clés pour comprendre cet immense écrivain américain.

- "Le Royaume des Ombres" d'Arno Geiger : le monde germanique qui s'effondre, un jeune soldat Viennois fuyant la guerre, une fresque historique. 

- "Le Cœur de l'Angleterre" de Jonathan Coe : une méditation douce-amère sur les relations humaines, un portrait de l'Angleterre des années 2010 avec ses crispations identitaires. Un écrivain incontournable de la littérature anglophone. 

- "Les Secrets de ma mère" de Jessie Burton : une jeune fille à la recherche d'une mère disparue, un huis clos avec son ancienne compagne, écrivaine oubliée. Comment vivre sans l'amour d'une mère ? 

- "Berta Isla" de Javier Marias : un formidable portrait de femme et une analyse d'un couple singulier où l'un pratique un secret inavouable car il est espion. Un roman détonant et ambigu.

- "Furies" de Lauren Groff : un couple infernal, un amour infernal, un roman infernal et des secrets de famille enfouis. 

- "La Persuasion des femmes" de Meg Wolitzer : un roman féministe, des militantes attachantes avec des rivalités redoutables et des complicités inévitables, l'esprit des luttes pour le droit des femmes. 

- "Les Fantômes du vieux pays" de Jonathan Hill : un roman américain époustouflant où le personnage principal, Samuel, se retrouve avec une mère rebelle après quelques années où elle l'avait abandonné à l'âge de onze ans. Une fresque mémorable sur la modernité, l'emprise de la technologie, un décryptage lucide et teinté d'humour. 

10 romans étrangers d'une densité romanesque intense. Une lecture du monde contemporain occidental, une analyse du couple, de l'amour, des femmes, de l'Italie aux Etats-Unis.  Une excellente année littéraire !

vendredi 25 décembre 2020

Mes 10 romans français préférés de l'année

 J'ai revu mes listes mensuelles de lectures avec une moyenne de huit à dix livres par mois... Si je multiplie par 12, j'arrive à presque une centaine par an. Lecture de romans mais aussi lecture d'essais et de beaux livres d'art. Un an est déjà passé et comme je respecte la tradition, j'aime faire un bilan en démarrant par la littérature française. Aucune hiérarchie dans la liste donc voilà ces dix romans : 

- "Avant que j'oublie" d'Anne Pauly pour le sujet du deuil traité avec une vitalité certaine, un inventaire à la Prévert et une nouvelle écrivaine qui promet. 

- "Fille" de Camille Laurens, un roman autofictionnel sur l'identité féminine, un hommage à la condition féminine.

- "Histoire du Fils" de Marie-Hélène Lafon, prix Fémina, pour l'écriture, pour la famille, pour la saveur d'un terroir. 

- "L'enfant de Ingolstadt" de Pascal Quignard, un conte composé par un écrivain d'exception, un classique contemporain. 

- "Nature humaine" de Serge Joncour, une saga française passionnante des années 70 à 2000 dans la campagne française.

- "Le Grand Vertige" de Vincent Ducrozet, un livre vertigineux sur l'état de la planète, écologique, inquiétant et un style convaincant.

- "La Nuit Atlantique" d'Anne-Marie Garat, un grand roman océanique en Gironde avec un personnage féminin à la recherche d'un nouveau souffle. 

- "Histoires de la nuit" de Laurent Mauvignier, un thriller littéraire, une histoire de la violence latente et un huis-clos palpitant. 

- "Papa" de Régis Jauffret, un récit très fort sur un père mutilé par la vie à cause de sa surdité et une réhabilitation de la part de son fils écrivain. 

- "Saturne" de Sarah Chiche, un roman psychanalytique sur les traumatismes familiaux, sur l'absence du père et sur les non-dits mortifères. 

Voilà pour ma liste de mes dix meilleurs romans français de l'année 2020. La littérature française me semble en excellente forme et je suis sûre que l'année prochaine me réservera de belles rencontres. Sans vouloir le faire, j'ai respecté la parité : cinq hommes et cinq femmes, tous des écrivains de grand talent à suivre. 

mercredi 23 décembre 2020

Eloge de la culture

Depuis dix ans, je suis à la retraite. J'ai lancé ce blog en 2010 et me voilà déjà dix ans plus tard. J'écris quinze billets par mois et je me donne rendez-vous en fin d'après-midi pour raconter mes lectures, parfois mes voyages, la plupart du temps, ma vie culturelle. Ce blog m'accompagne pour vivre au mieux ce temps de la retraite  bien méritée après quarante ans de travail. Evidemment, j'ai eu beaucoup de chance dans ma carrière professionnelle : libraire et bibliothécaire. Quand on aime passionnément la littérature, les livres, la culture, je ne pouvais pas mieux choisir. Je dispose d'un privilège particulier : mon goût profond pour la culture. Avec cette crise sanitaire qui n'en finit pas, le monde de la culture me semble bien sacrifié avec la fermeture des cinémas, des salles de spectacle, des musées. La culture hors la maison me manque. Heureusement, en septembre, j'avais cumulé des instants de toute beauté à Paris avec des visites d'exposition, de librairies, de musées sans oublier le paysage de la Seine, des quais, des toits en zinc, de cette ville extraordinaire. Je vis dans un bain de culture permanente. Je me baigne tous les jours dans une mer de papier composée de livres, da littérature, de philosophie, d''art. Apprendre, s'informer, s'éduquer, découvrir, palpiter, vibrer, pleurer et sourire. La culture, un art de vivre que je pratique dans mes escapades à travers les capitales européennes. La culture, un art de vivre à travers la musique baroque et l'opéra. Comment vivre sans Bach, Haendel, Vivaldi, et tant d'autres compositeurs (surtout italiens) ? La culture en partage avec l'animation d'un atelier Lectures où mes amies lectrices m'apportent toujours un grand réconfort car tant qu'il y aura des hommes et des femmes qui lisent, tout n'est pas perdu. La culture exigeante en écoutant ma professeur de philosophie dans l'atelier "Idées en partage". L'année 2020 avec ces mois de confinement nous a fait comprendre l'importance capitale de de ce mot : culture ! Le virus nous a privés de la famille, des amis, de la liberté de circuler, de sortir, de voyager. Une année-calamités avec ce masque obligatoire, cette distance sociale, cette méfiance générale, une vie prudente où nous commençons à ressembler à des taupes dans leurs galeries. Transformons nous en mouette pour enfin s'envoler, en panthère pour courir sur la terre, en  gazelle pour se donner des ailes ! 2021, une année de rattrapages, une année de réparations, une année de retrouvailles... Vivement le Premier Janvier !

lundi 21 décembre 2020

"D'un siècle à l'autre"

 Régis Debray, né en 1940, a déjà fêté ses 80 ans cette année et a voulu dans son dernier livre, "D'un siècle à l'autre", établir un bilan de sa vie intellectuelle et de son engagement politique. Issu de la bourgeoisie parisienne, il poursuit ses études jusqu'à l'agrégation de philosophie et réussit le prestigieux concours de Normale Sup. Mais, cet intellectuel brillant bascule dans le romantisme révolutionnaire marxiste en Amérique du Sud dans les années 60. A partir de cette expérience de libération des peuples à base de guérillas, compagnon de Che Guevara et de Fidel Castro, Régis Debray devient un "expert" en action politique. Il est même condamné à trente ans de prison et sera libéré après quatre ans de détention en Bolivie. A cette époque, un intellectuel tout court penchait presque toujours dans le camp de l'anticapitalisme.  Dans le texte qu'il compose, Régis Debray intègre souvent une distance en commentant ses choix. Il cite Julien Gracq : "Tant de mains aujourd'hui pour bouleverser ce monde et si peu de regards pour le contempler". Il regrette "d'avoir longtemps trop donné dans la main et pas assez au regard". Il brosse aussi le portrait de quelques philosophes qu'il a rencontrés comme Althusser, Maurice Godelier, Alain Badiou, etc. Il compose à sa façon une critique lucide et acérée sur le rôle des intellectuels dans la cité et son humour décape les grands mythes contemporains liés à l'engagement parfois tendancieux de ses collègues. Son goût pour l'ironie ne s'étiole en aucun cas quand il constate que notre époque préfère les acteurs, les people, les sportifs aux "écrivains, archéologues, bibliothécaires, professeurs et conservateurs du patrimoine". Ils sont même consultés à l'Elysée. Il relate son incursion au sein du pouvoir quand il a accepté la charge de conseiller de Mitterrand avec un bilan mitigé. Il évoque plus longuement sa grande passion de la médiologie dont il est le pionnier qui se résume dans quelques verbes : unir, transmettre, croire avec les questions : "comment ça marche et comment ça fait marcher". Les formules percutantes qu'il emploie donnent au récit une dynamique réjouissante : "De la lettre au tweet, du campagnard au périurbain, de l'industrie aux services, du transistor au smartphone, de l'esprit de conquête au principe de précaution, de la France républicaine à la France républicaine, (...), comment faire du commun avec de la diversité ? Mystère du politique. Comment transmettre l'essentiel de siècle en siècle ? Mystère des civilisations". Il n'est pas toujours aisé de pratiquer une lecture fluide tellement son texte comporte des références historiques, sociologiques, philosophiques. Son écriture baroque et incisive se met au service d'une pensée hybride. Au fond, comment définir Régis Debray, une fois le livre fermé ? Comme il l'écrit lui-même : "Un réactionnaire de progrès, un franchouillard cosmopolite, un catho républicain, un ronchon bienveillant, un anarchiste conservateur". Sa génération comme la mienne "a eu le privilège d'avoir vu mourir un monde et en naître un nouveau (...) Nous sommes passés des ultimes soubresauts d'un court siècle rouges aux premiers vagissements du siècle vert". Un essai riche, majeur pour connaître la vie politique et intellectuelle d'un philosophe atypique et tellement français !

jeudi 17 décembre 2020

"Autoportrait en chevreuil"

 J'avais écouté Victor Poucher sur France Culture et j'ai donc lu son deuxième roman, "Autoportrait en chevreuil", publié chez Finitude. Dans son premier roman, "Pourquoi les oiseaux meurent", le narrateur remontait la Seine à bord d'une péniche pour enquêter sur la chute de centaines de volatiles. Trois ans plus tard, le personnage central, Elias, choisit un chevreuil comme un totem. Ce garçon passe une enfance particulière auprès d'un père qui possède un talent singulier  : il pratique le magnétisme. Dans le village breton où ils vivent, les voisins considèrent ce père comme un homme "dérangé", obsédé par les ondes, les sciences occultes, les influences de l'Invisible. Il a hérité du don de coupeur de feu et de médium. Il impose à son fils des tests de "philosophie ondulaire", des bains dans l'eau glacée, d'affronter le noir dans la cave, etc. Cet homme un peu chaman, un peu charlatan et certainement délirant perturbe le jeune Elias. Il perd sa mère trop tôt et se retrouve avec une belle-mère spectrale qui met au monde un garçon, Ann, qui deviendra le préféré du père. Comment le jeune Elias peut-il survivre dans ce foyer bancal, marginal et peu chaleureux ? La libération pour Elias viendra d'Avril, une jeune femme fantasque, bien vivante. Elle va l'aider à surmonter ce passé familial atypique. La jeune femme pressent qu'Elias, souvent silencieux, voire mutique, a subi une enfance farouchement anormale. Elle apprivoise le garçon tel un chevreuil craintif, en lui apportant une légèreté d'être dont il a été privé d'autant plus que son petit frère est mort dans un incendie accidentel. Le roman s'articule sur trois parties inégales. Dans la première partie, Elias raconte son histoire, dans la deuxième, Avril, dans un journal intime, relate sa rencontre avec Elias et dans la troisième, le père révèle dans une lettre adressée à son fils ses pouvoirs troublants. Victor Pouchet avec une certaine délicatesse dénonce l'emprise d'un père toxique qu'il doit absolument fuir pour renaître à la vie et retourner dans : "un monde où l'on partage le plaisir des choses douces". Le jeune écrivain réussit un portrait attachant d'un petit garçon perdu qui, devenu adulte, saisit sa chance, son "kairos" diraient les Grecs anciens. Il faudra suivre Victor Pouchet dans ses futures publications, car j'ai reconnu dans ce texte une petite musique insufflée par le style et par l'ambiance du roman. A découvrir. 

mardi 15 décembre 2020

"Thésée, sa vie nouvelle"

 Camille de Toledo est l'auteur d'un livre, un objet littéraire hybride, l'OVNI de la rentrée de septembre, au titre symbolique : "Thésée, sa vie nouvelle". Cet ouvrage, publié chez Verdier, a failli obtenir le Prix Goncourt mais sa tonalité désespérante a certainement provoqué des hésitations pour le promouvoir en tête de liste. Comme la période semble déjà assez pesante avec la crise sanitaire, choisir un tel récit n'aurait pas remonté le moral des troupes "lectorantes". Je craignais de sombrer dans un abattement sans fin en le lisant mais j'ai résisté à la vague tragique de cette prose tremblante d'effroi. Le narrateur ressent une douleur permanente dans son corps : vertiges, chutes, dépression. Il part à Berlin avec ses enfants pour fuir la France. Il porte en lui un chagrin insupportable car son frère s'est suicidé en se pendant. Il n'a pas pu le sauver treize ans avant et ce lourd passé le hante. Il a aussi perdu sa mère un an après la mort de son frère et son père aussi a disparu. Cette succession de deuils finit par le paralyser car il est devenu le dernier survivant d'une famille dévastée. Le jeune Thésée s'attèle à une reconstitution du passé familial grâce à des archives pour trouver des explications au geste de son frère Jérôme. Ses recherches aboutissent à la découverte d'un aïeul, Talmaï, d'origine juive, un arrière-grand-père, le premier de la lignée qui a été naturalisé français. Il s'est suicidé à la veille de la guerre de 39. Son frère, Nissim, a été tué en 1918, juste avant la victoire. Le narrateur évoque ces destins tragiques, "le choc des ancêtres", dont les 'fantômes persistent à vivre en lui". Il sent dans sa chair "l'effondrement de ses os, de ses reins, de ses dents, qu'il est ça : un frère attaché au frère, relié à une histoire de la peine et de la perte". Ses aïeux, des juifs marranes, ont-ils transmis aux générations suivantes la nécessité du secret ? Camille de Toledo dans un entretien, parle de "psychogénéalogie" pour décrypter les secrets traumatisants, enfouis dans la mémoire familiale. Talmaï a eu trois fils, dont l'un a subi la déportation à Buchenwald, un autre est devenu un grand patron de gauche, Nathaniel, le grand-père du narrateur. Sa fille Esther se marie avec Gastby, et le couple donnera naissance à Jérôme et à Thésée. Thésée accuse ses parents de négligence et d'indifférence, se préoccupant plus de leur réussite que de leurs fils. Le narrateur est devenu un "homme-mère" très attentif à ses trois enfants. Il rompt ainsi la chaîne dramatique de sa filiation. Ce livre ressemble à un chant funèbre, un peu trop funèbre tellement ce texte porte une lamentation lancinante. Camille de Toledo précisait dans son récit, "Vies potentielles", "J'attends des livres qu'ils aient l'intensité d'une prière. Une prière sans Dieu où il ne reste que l'homme". Ce récit m'a laissée dans une grande interrogation : est-ce un texte émouvant, puissant, essentiel sur l'identité, sur la transmission ou est-ce un texte excessif sur la plainte récurrente d'une assimilation violente à la culture occidentale ? Ce livre troublant, un patchwork de fragments, de photographies, d'archives familiales, peut dérouter et chacun(e) se fera sa propre idée en le découvrant. Camille de Toledo s'est inspiré de la mythologie grecque pour raconter son histoire familiale en creusant un labyrinthe généalogique sans trouver peut-être la sortie. 

lundi 14 décembre 2020

La revue Lire-Magazine littéraire

 Depuis la fusion délibérée et malheureusement inévitable (faute d'un lectorat massif) des deux principales revues littéraires, Lire et Le Magazine littéraire, je constate un mélange un peu disparate des deux identités originelles. Autant Lire correspondait à un public plus élargi, autant le Magazine littéraire ciblait les lecteurs plus exigeants. La mouture finale pencherait davantage pour un lectorat éclectique, curieux avec un peu moins de place pour les écrivains classiques et contemporains. J'étais étonnée que la revue consacre un dossier de dix pages à Enid Blyton, l'auteur anglaise des "Oui-Oui", des "Club des Cinq", "Le Clan des Sept", etc. Il est sûr et certain qu'elle a marqué des générations d'enfants qui ont découvert la magie de lire avec ses ouvrages. Mais, dix pages sur elle, c'est un peu trop quand même. Comme le veut la tradition, la revue a choisi les cent livres de l'année et j'ai été très satisfaite d'apprendre que le livre de l'année, celui qui, à leurs yeux, a dominé la production romanesque se nomme "Fille" de Camille Laurens. Je l'avais lu dès sa sortie et j'avais beaucoup apprécié ce roman sur cette question lancinante : "qu'est-ce qu'une fille ?". L'écrivaine s'exprime dans un entretien avec Claire Chazal : "C'est un roman d'apprentissage mais également d'initiation à l'envers puisque, finalement, Laurence est éduquée par sa fille". La dernière phrase apporte une belle conclusion au roman : "C'est merveilleux, une fille : !". Un choix évident et épatant pour cette écrivaine française, membre du jury Goncourt. Dans les meilleurs romans français sélectionnés, j'ai retrouvé Miguel Bonnefoy, Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier, Marie-Hélène Lafon, Serge Joncour, Mathias Enard, Camille de Toledo, etc. Pour les essais, j'ai retenu l'excellent "Le Consentement" de Vanessa Springora, le philosophe Baptiste Morizot, Laure Adler et "Sa voyageuse de la nuit", Barbara Cassin et son autobiographie intellectuelle. Cynthia Fleury et son "Ci-gît l'amer". La revue a donc retenu cette centaine de titres à lire, à découvrir. Une bonne année pour les amateurs de littérature et des idées de cadeau pour ces festivités un peu moroses de cette fin d'année. Dans cette période consumériste, où des millions d'objets inutiles se vendent dans les grandes surfaces, un objet me semble essentiel, consommable sans modération, unique, solide, éternel, sans date d'obsolescence programmée : le livre ! On en trouve à tous les prix du plus modeste en livre de poche au plus onéreux en belle édition. L'année prochaine en fin d'année, des romans et des essais seront choisis par la rédaction et évoqueront sans doute cette drôle d'époque virale. Profitons de la deuxième rentrée littéraire : la rentrée de janvier déjà bien prometteuse avec plus de 490 romans ! 

vendredi 11 décembre 2020

Sous cloche

 Il faut accepter dorénavant une vie sous cloche tant que ce virus mondialisé circule sans frontières. Comme tous les amateurs de cinéma, j'avais l'intention d'aller à l'Astrée où j'allais me retrouver dans une salle noire, assise confortablement et me noyant les yeux dans un écran surdimensionné. Tant pis pour la féerie cinématographique. J'attendrai le mois de janvier. J'avais l'intention de revoir le Musée des Beaux-Arts de Chambéry pour le goût du silence et pour la collection italienne, j'attendrai le mois de janvier. Je pense aux théâtres parisiens, aux salles de concert, aux musées si magnifiques, tant pis, on verra plus tard. La culture a perdu son aura auprès des responsables politiques et évidemment, les commerces deviennent nos nouveaux centres culturels et cultuels... Heureusement, chacun se fabrique son îlot symbolique où il fait bon de vivre avec des livres, de la musique et des images télévisuelles de qualité. Il faut intégrer la novlangue orwellienne : pas essentiel, superflu, inutile, aux oubliettes, la culture. Mais, je suis tellement rassurée : les librairies et les bibliothèques échappent au carnage de la Covid-19. Quel bonheur de retourner dans ces lieux pour le moral ! Cette vie sous cloche dure, dure jusqu'à éprouver une certaine lassitude. Le couvre-feu à 20h  ? Jusqu'en 2025... Peut-être... Le couperet est tombé. Ces mots reviennent à la mode : obéissance, citoyenneté, acceptation, résignation. L'ordre sanitaire règne mais le désordre aussi dans les rues, avec les manifestations. On peut quand même ronchonner, râler, protester. Notre Premier Ministre joue le rôle de sergent major : "Allez, chers citoyens, respectez ces contraintes qui vous sauvent la vie. Je vous en supplie de ne pas tomber malade, les hôpitaux ne peuvent pas vous soigner". Pour supporter cette ambiance anxiogène, quelle attitude adopter ? S'armer de patience, mais aussi, se réjouir de ne plus remplir une attestation liberticide, fuir les petits et les grands commerces (sauf les librairies), partir pendant les vacances de Noël en changeant de région tout en respectant la règle des Six, créer des recettes de cuisine en l'absence de restaurants, s'offrir des livres sous le sapin, se promener dès 6h du matin pour profiter de la liberté accordée. Avec de l'imagination, la période que nous vivons aujourd'hui ne sera qu'un très mauvais souvenir. Vivement l'année prochaine et nous allons fêter la fin de l'année avec soulagement. Il paraît que les responsables politiques font ce qu'ils peuvent et personne ne voudrait être à leur place. Pour le moment, le contrat social semble fonctionner.  Une vie sous cloche, encore un mois et en 2021, retour à une vie sans cloche ! Sauvegardons le principal, l'essentiel : rester vivant !

mercredi 9 décembre 2020

"Les Faits, autobiographie d'un romancier"

 J'ai relu récemment "Les Faits, autobiographie d'un romancier" de Philip Roth dans une nouvelle traduction de Josée Kamoun. Cet écrivain américain aurait mérité amplement le Prix Nobel de littérature mais, le jury suédois l'a ignoré jusqu'à la fin. Quel gâchis ! Ce prix a perdu son aura d'origine. Dans cet ouvrage paru en 1988, l'écrivain, disparu en 2018, revient sur son enfance à Newark dans les années 30 et 40, sa vie d'étudiant où il devient un américain modèle, son premier mariage chaotique, ses relations orageuses avec la communauté juive à la parution de "Goodbye Columbus" et ses années de maturité littéraire dans les années 60. Il ne montre aucune complaisance à son égard, se met à nu, explore son passé sans montrer un égo surdimensionné. Ce texte capital permet de comprendre et d'apprécier son œuvre, composée de 24 romans, de nouvelles et d'essais. Il écrit : "Passer les faits au crible a pu être une forme de thérapie pour moi". A cette époque, Philip Roth a perdu sa mère et son père va très mal : "Je me demande si je n'ai pas tiré une consolation immense à me remettre dans ma propre peau au moment de ma vie où le chagrin que peut causer la mort des parents n'était pas à l'ordre du jour". Dans sa préface, il justifie sa démarche autobiographique tout en essayant de changer les noms des protagonistes du récit. Sa sincérité se double d'une malice certaine, ne pouvant pas résister à quelques souvenirs réinterprétés, voire inventés. Quand il évoque ses parents et leur culture juive, il décrit une époque où il était difficile d'être considéré comme américain. Il brosse ainsi le portrait de son père : "Avec son sens du devoir chevillé au corps, son industrie jamais en sommeil, son opiniâtreté intrinsèque, ses ressentiments amers, ses illusions, son innocence, ses allégeances et ses peurs,  mon père devait constituer le moule de l'Américain, du Juif, du citoyen, de l'homme et même de l'écrivain que j'allais devenir". Il décrypte aussi ses relations féminines surtout le naufrage de son premier mariage où sa femme l'a retenu en lui mentant sur sa grossesse imaginaire. Il tente une explication sur sa soumission à cette épouse mythomane et paranoïaque : la haine de soi. Philip Roth révèle les "faits" de son existence qui ont formaté son imaginaire d'écrivain. Ce travail remarquable d'introspection, de "visibilité biographique" porte la marque d'un écrivain hors norme. Ses pages lumineuses sur ses parents, sur son frère et sur sa vocation littéraire appartiennent à la légende dorénavant fabuleuse d'un des plus grands écrivains américains du XXe siècle. 

mardi 8 décembre 2020

Atelier Lectures, 2

Je poursuis l'évocation des coups de cœur en citant celui de Chantal : "Femmes puissantes" de Léa Salamé. Ce document regroupe des entretiens intimistes autour de la puissance des femmes. Comment l'exercent-elles ? Quel est le rapport entre féminité et pouvoir ? A travers douze portraits, la journaliste nous invite à rencontrer Elizabeth Badinter, Laure Adler, Amélie Mauresmo, Leïla Slimani, Delphine Horvilleur, etc. Chantal a beaucoup apprécié leurs parcours différents, la ténacité et l'énergie qu'elles déploient toutes, leur culpabilité de ne pas toujours harmoniser leur vie personnelle avec leur vie professionnelle. Un livre tonique et d'un féminisme tout en douceur. Annette m'a envoyé quelques coups de cœur avec des commentaires sur les prix littéraires : "Je commence Mauvignier... Sans doute trop long pour le Goncourt (c'est vrai), comme Toledo, trop dur (c'est vrai), je suis contente pour Le Tellier. Je l'avais lu comme un conte philosophique. A chaque lecteur, ses images. Un homme bien sympathique au demeurant. (C'est encore vrai)". Annette recommande aussi "Un océan, deux mers, trois continents" de Wilfred N'Sondé, paru chez Actes Sud en février 2020. Ce roman historique raconte l'histoire d'un jeune Congolais élevé par des missionnaires au début du XVIIe. Il est désigné par le roi Bakongo comme ambassadeur auprès du pape. Il s'embarque pour l'Europe sur un voilier et son périple se transforme en cauchemar. Son arrivée au Vatican se révèle éclairante : il découvre un monde violent, complotiste et avide de richesses. Un très bon roman historique à découvrir.  Sylvie a proposé un commentaire très instructif sur "L'Anomalie" d'Hervé Le Tellier, Prix Goncourt 2020. Je cite un extrait de son message littéraire : "Il s'agit d'une allégorie sur notre monde actuel en train d'accoucher un drôle de futur. Les outils de notre Oulipien (Ouvroir de Littérature Potentielle) sont la satire, le jeu, l'Enigme". Le conseil final de Sylvie "Lisez" ce super objet hybride, un roman policier, un thriller métaphysique, un prix littéraire de très grande qualité. J'ai incité mes amies lectrices à communiquer leurs coups de cœur et je rendrai compte dans ce blog de leurs lectures. Il nous faut maintenir un lien jusqu'à la reprise de l'atelier en janvier. Partager ces émotions procurées par les livres, par la littérature reste un objectif que je me suis donnée depuis presque une décennie. J'ai lu dans un article de presse que les lecteurs et les lectrices sont plus heureux dans la vie que les non-lecteurs. Je ne serai pas aussi catégorique mais, j'avoue que lire calme l'angoisse, stimule l'esprit et nourrit l'imaginaire. Pas mal, quand même...  

lundi 7 décembre 2020

Atelier Lectures, 1

 Malheureusement, l'atelier Lectures n'a pas eu lieu en novembre pour cause de confinement. Nous devions aborder quelques romans américains publiés en l'an 2000 et aujourd'hui. Je pensais que l'on débattrait de ces lectures en décembre et l'annonce est tombée : la maison de quartier ne peut recevoir l'atelier Lectures. Donc, encore une impossibilité de se retrouver malgré les masques, les gestes barrière, la distance entre participants. Quelques activités sont maintenues comme les ateliers cuisine, l'aide aux devoirs, l'accueil des familles. La culture (ateliers philo et lectures) disparaissent du panorama. Evidemment, ces rencontres ne semblent pas essentielles aux yeux des responsables... C'est bien dommage. Je le regrette beaucoup tout en comprenant l'extrême prudence de l'institution concernant le virus. En attendant, je propose souvent à mes participantes de m'envoyer des coups de cœur. J'ai obtenu quelques réponses que je mentionne dans ce blog pour conserver un souvenir de cette période où le deuxième confinement nous prive de nos rencontres autour du livre et de la littérature. Rien ne vaut la présence physique, le partage des regards, l'écoute des voix, la couleur des vêtements, la gestuelle corporelle, les sourires et les rires, la chaleur humaine. Je n'ai pas eu envie d'établir une rencontre par distanciel, à travers un écran d'ordinateur. J'attendrai janvier en rêvant de revoir toutes les lectrices en vrai, "en chair et en os". Le virus provoque une vie virtuelle et une vie désincarnée sans microbes, sans virus, sans attachement, sans contact... Vivement qu'un vaccin nous redonne notre vie d'avant ! Rien ne vaut la lecture pour oublier cette période difficile, voire dramatique dont les conséquences seront certainement déprimantes. Je démarre l'évocation des coups de cœur avec Régine. Elle a choisi "Château de femmes" de Jessica Shattuck. Trois destins de femmes dans l'après-guerre en Allemagne. L'une est la veuve d'un résistant allemand qui accueille dans un château en Bavière deux autres veuves de résistants contre Hitler et leurs enfants. Leur chagrin commun va-t-il les souder, les aider à se reconstruire malgré la honte et la culpabilité ? Un très bon roman à découvrir. Danièle a relu avec plaisir "Raboliot" de Maurice Genevoix, publié en 1925. Notre Président l'a remis en "selle" depuis sa panthéonisation. Ce bûcheron de Sologne aime braconner et sort la nuit pour poser ses pièges. Mais, un gendarme le traque. Danièle a écrit : "J'aime sentir l'humus de la forêt, côtoyer les étangs, voir se succéder les différents quartiers de la lune et suivre avec Raboliot, le fil des saisons". Pourquoi ne pas lire ou relire ces romans classiques où le terroir acquiert toutes ses lettres de noblesse. La suite, demain. 

vendredi 4 décembre 2020

"La Voyageuse de nuit", 2

 Laure Adler s'insurge sur la notion dévalorisante de la vieillesse : "La jeunesse a pris valeur de modèle pour l'existence entière, reléguant ainsi les âges de la vieillesse non à l'idée de l'accomplissement mais à celle de surplus, de rebut, voire de non-sens". Elle rappelle que l'âge n'est pas un handicap pour la création en citant des écrivains et des artistes qui ont écrit et composé leur chef d'œuvre à 80 ans et plus comme Picasso, Matisse, Victor Hugo, Rembrandt, etc. L'essayiste évoque l'art de vieillir le mieux possible quand on a la chance de ne pas tomber malade. Elle revient souvent sur Simone de Beauvoir qui écrit dans son livre sur "la Vieillesse" : "Tout vieux a été jeune mais tout jeune  n'a pas eu, comme chaque vieux, le privilège de mettre à distance les vacarmes du temps qui obstruent l'intensité du présent". Pour la forme physique, Laure Adler ne cache qu'elle est un peu "au ralenti", qu'elle oublie ses clés, des noms mais, elle ne ressent pas de nostalgie pour le passé. Elle se demande plutôt quand elle voit le printemps poindre : "Combien m'en reste-t-il à vivre ?". Plus loin, elle s'interroge : "La vieillesse serait-elle l'abandon des oripeaux sociaux, le patient et lent recentrement autour de ce qui nous importe vraiment, une sorte de dépouillement de tous les apparats pour arriver enfin à l'essentiel ? " . Elle-même se sentait "désaccordée" dans sa jeunesse et apprécie l'âge de la maturité pour plus de sérénité. Laure Adler n'oublie pas la dimension sociologique de la vieillesse en visitant une EHPAD, donne des chiffres précis, cite des spécialistes. Son carnet intime contient donc aussi des informations solides pour éclairer la situation des aînés dans notre société, le déni de la maladie, l'occultation de la mort. Les dernières pages de l'essai reprennent le chemin de l'intimité et Laure Adler souhaite vieillir le mieux possible : "Garder le goût du monde, trouver chaque jour le sel de la vie, tenter d'être à la hauteur de Simone de Beauvoir qui observe : "Moi je suis devenue une autre, alors que je demeure moi-même". Cet essai revigorant et énergisant se lit avec beaucoup de plaisir surtout quand on se sent concerné et cerné par un âge certain...   


jeudi 3 décembre 2020

"La Voyageuse de nuit", 1

 Laure Adler proclame avec une certaine fierté et une audace certaine qu'elle assume parfaitement ses 70 ans ! Son essai, "La voyageuse de nuit", publié chez Grasset, confirme son optimisme du bien vieillir. Ce carnet de voyage aborde de nombreux sujets liés à l'âge qu'elle illustre avec des références littéraires et historiques.  Elle évoque dès le début de son livre la figure tutélaire de Simone de Beauvoir qui fut la première écrivaine à traiter ce sujet réputé déprimant, difficile et irritant. Son récit entremêle des anecdotes personnelles avec des statistiques sociologiques, des citations sur le phénomène de la vieillesse, des rencontres avec des écrivains comme Marguerite Duras, Dominique Rolin, Annie Ernaux, Nathalie Sarraute, Mona Ozouf, etc. Elle écrit en constatant son visage dans un miroir : "Ce sentiment qu'on est encore dans le réel, mais de manière moins acérée, plus brouillonne, avoir à y penser alors qu'avant tout cela nous était donné comme une évidence, serait-ce cela vieillir ? Vieillir serait-il divorcer d'avec le monde ? (...) Comment maintenir ouverte et battante cette porte qui mène vers la vieillesse ? Ne pas la refuser. Ne pas s'y habituer". Laure Adler analyse ce sentiment de "prendre de l'âge" qu'il est souvent difficile d'accepter et surtout d'appartenir à la catégorie des "vieux". Alors que par le passé, les hommes et les femmes âgés attiraient le respect et l'admiration, notre société contemporaine considère cette classe d'âge comme des citoyens inutiles, coûteux et encombrants. Laure Adler ne supporte pas cette vision de la vieillesse. Ses conseils frappent juste : "Etre sans arrêt en éveil, sans le vif de l'existence, ne pas se décevoir, tenir bon malgré les embûches et ne jamais se plaindre. (...) Cela suppose un humour certain, une santé de fer, du courage, une prise de distance. La vieillesse ni comme un destin tragique, ni comme un ensommeillement généralisé, mais comme un art de vivre". Cet art de vivre, Laure Adler le cultive à merveille et son optimisme devient communicatif. Cumuler des années ne ressemble plus à un long crépuscule. Bien au contraire : "On gagne plus que ce qu'on perd : on gagne le détachement, une certaine sérénité, un je-m'en-foutisme jubilatoire, une joie des petits instants - le goût du thé, une éclaircie de bleu un jour de de novembre, une chanson à la radio - on sait qu'on est là quand même dans le flux de la vie".  (La suite, demain)

mercredi 2 décembre 2020

"Les Furies"

 Lauren Groff, écrivaine américain, née en 1978, a écrit un roman, "Les Furies", que j'ai choisi dans ma liste "littérature américaine contemporaine" dans le cadre de l'atelier Lectures de novembre. Publiée en 2017 chez l'Olivier, cette histoire haletante et palpitante laisse le lecteur(trice) hagard et quelque peu effrayé. Pourtant, le début du texte pourrait s'apparenter à un conte de fées entre une Cendrillon et le Prince charmant, Mathilde et Lotto, tous les deux sublimement jeunes et beaux. Ils se rencontrent dans une soirée d'étudiants et quinze jours après, ils se marient malgré l'opposition de la mère de Lotto. Mathilde n'a pas de famille, manque d'argent et Lotto se voit les aides financières interrompues. Il est comédien mais n'arrive pas à percer. Un soir, il compose une pièce de théâtre et rencontre le succès. Il devient un dramaturge reconnu et Mathilde l'accompagne dans l'ombre. Ce couple idéal, soudé par une entente sexuelle parfaite, complices et complémentaires, forme un axe immuable pour affronter les déconvenues de la vie sociale. Autant Lotto semble transparent, toujours lumineux, attirant le regard admiratif de ses amis et lecteurs, autant Mathilde cache bien son jeu. Le roman explore les méandres d'une vie en couple avec un déséquilibre flagrant. Lotto n'est au fond qu'un pantin pour sa femme et elle tire les fils à sa guise. Ce garçon naïf, autocentré et trop aimé, ne voit pas en fait la vraie nature de sa femme. Dans la deuxième partie du livre, Mathilde prend la parole et dévoile enfin ses ténèbres intérieures. Sa lucidité dévastatrice lui fait dire : "Le mariage est un tissu de mensonges. Gentils, pour la plupart. D'omissions. Si tu devais exprimer ce que tu penses au quotidien de ton conjoint, tu réduirais tout en miettes". Mathilde raconte son geste fatal lors de son enfance en France : elle a poussé son petit frère dans un escalier. Et il n'a pas survécu à cet accident. Alors, la petite fille est expédiée aux Etats-Unis chez un oncle suspect. Sa jeunesse solitaire la mènera à New York où elle se prostituera pour financer ses études par un galeriste d'art. Ce passé sordide et glauque la poursuit sans cesse et seul Lotto l'apaise et la rend heureuse. Lotto a été aimé, admiré, sollicité, célébré, narcissisé. Mathilde a été rejetée, détestée, honnie, esseulée. L'amour de Lotto répare les failles de sa femme. L'amour de Mathilde va jusqu'au sacrifice, jusqu'à l'effacement de soi. Une histoire fusionnelle, une histoire explosive qui ne pouvait pas durer. Je ne révèlerai pas la fin du roman. Les révélations de Mathilde pulvérisent cette histoire d'amour contemporaine. Ce roman baroque, sulfureux, original par sa construction, donne un peu le vertige. Lauren Groff décrypte les ambiguïtés de l'amour, la folie du couple, le règne du mensonge.  Un roman fort, dérangeant et pourtant passionnant à lire. 

mardi 1 décembre 2020

Retour au lac

 Dès samedi, je me suis réveillée en me disant : enfin, le lac ! Le Président a quand même desserré les liens qui entravaient notre liberté originelle. Parfois, je pense à nos années d'avant et à notre façon de vivre : partir où on veut, traverser les frontières, prendre un avion, visiter des villes et des régions, arpenter des bouts de pays étrangers. Vivre tout simplement la marche du monde. Trois mois de confinement au total, cela commence à peser sur notre moral. Le slogan sanitaire prime encore aujourd'hui et encore pour quelques semaines : restez chez vous ! Il n'y a pas d'autres alternatives. Comme j'avais enfin le droit de sortir pendant trois heures et à vingt kilomètres, j'ai saisi ce moment pour retourner au lac du Bourget à une dizaine de kilomètres de chez moi. Direction, Aix-les-Bains. J'ai garé ma voiture sur le petit port. Presque personne vers 13h... Me serais-je trompée de jour ? Je m'imaginais une ruée vers ce lieu si majestueux surtout après un mois de privation. Munie de mon masque, j'ai aperçu mes premières mouettes virevoltant autour des voiliers. Une d'elles m'a même souhaité la bienvenue en me frôlant. Je me suis avancée vers l'esplanade et là encore, personne à part quelques jeunes gens. J'ai compris aussi la raison de la non-fréquentation du site : aucun restaurant ouvert, manèges fermés, jeux pour les enfants disparus du paysage aixois. Pourtant, un soleil illuminait le lac en le couvrant d'écailles argentées et miroitantes. J'ai poursuivi ma balade tranquille en m'émerveillant à chacun de mes pas de ce panorama grandiose : le lac ressemblait à une petite mer intérieure. Arrivée au port, même ambiance silencieuse avec tous les restaurants clos. J'ai atteint le Jardin vagabond en constatant le déshabillage des arbres sans leurs feuilles. Dans la cabane aux livres, j'ai farfouillé dans les étagères et j'ai déniché un Jacques Lacarrière, "Chemin faisant", un Gide en poche, "L'Immoraliste" et un livre ancien illustré de belles gravures, "Les voyages de Gulliver". Une bonne récolte pour la journée... En début d'après-midi, les amoureux du lac se baladaient avec une sérénité retrouvée. Ma promenade avait duré presque deux heures. J'ai fait une halte aux Mottets pour dire bonjour à mon aigrette qui se cachait dans la roselière. Il ne me restait plus qu'un quart d'heure pour rejoindre Chambéry... J'avais oublié le laps temporel accordé par le gouvernement. J'ai repris le volant et je suis arrivée à temps... Pas de gendarme sur la route mais une règle morale en soi : ne pas dépasser la dose d'air accordée par notre Etat protecteur, un peu trop protecteur ?