mardi 31 décembre 2019

Notre vieux monde

En cette fin d'année 2019, nous vivons au rythme de la guerre civique ou civile : qui aura le dernier mot dans cette histoire des retraites ? J'ai l'impression que le chef des cheminots et ouvriers s'appelle Philippix Martinix, baptisé par ses copains, l'Astérix du XXIe siècle. Ce Gaulois réfractaire se bat pour conserver ses droits acquis de longue date. Le monde nouveau ne le concerne pas. César, son ennemi personnel, chantre de la mondialisation heureuse et décontractée, veut poursuivre son chemin vers une société libérale et individualiste. Le "tous pour tous" contre "le chacun pour soi", le local contre le global. Deux visions du monde s'affrontent depuis l'élection du monarque éclairé et choisi démocratiquement. Une lutte de classes, une lutte d'âges, une lutte sans fin. Que puis-je conseiller comme lectures à ces deux stars des médias ? Je commencerai pas Monsieur le Président, un lecteur pourtant averti. Je lui offrirai tout Dickens, "Les Misérables" de Victor Hugo, un Karl Marx, Jules Vallès, Emile Zola. Il faut qu'il comprenne qu'il existe en France et ailleurs des gens modestes qui malgré leur travail, éprouvent quelques difficultés à finir leur fin du mois… Lui, évidemment, n'a pas ce souci en tête comme son cher ami du Nord, chargé du dossier des retraites. Mais si la réforme était vraiment juste et équitable pour les agriculteurs, les femmes, les étudiants, on devrait voir ces catégories défiler dans la rue avec des pancartes dithyrambiques : vive les points pour ma retraite ! A bas les vilains cégétistes ! Mais, silence… Pour Philippix, comment le convaincre qu'il n'existe plus de classes sociales ? Une mission impossible. Je ne vois aucun écrivain dont l'œuvre pourrait changer sa vision du monde. Notre pays souffre d'un manque d'idées. Je lis en ce moment un ouvrage de Bruno Latour au titre évocateur, "Où atterrir ? Comment s'orienter en politique". Le philosophe constate le vide intellectuel des partis politiques :  de droite et de gauche et du centre et des extrêmes. Les élites, les classes dirigeantes, les gagnants de la mondialisation se moquent des inégalités et du réchauffement climatique. Les autres sont de plus en plus dans les camps des réactionnaires, des perdants, des archaïques, des nostalgiques du XXe… Cette fin d'année sonne le glas des solutions traditionnelles. Astérix et César ne se réconcilieront jamais. La Gaule et l'Empire romain ont disparu… Pourquoi pas nous aussi ? N'oublions pas que les civilisations meurent… En ces temps où les mots collapsologie et effondrement se lisent de plus en plus dans la presse, il paraît que nous allons tous disparaître vers 2030... En attendant, prenons du bon temps, lisons un maximum de très bons livres, prenons le train quand ils rouleront de nouveau, promenons-nous dans les bois pour écouter les oiseaux encore vivants, regardons encore le soleil qui ne nous brûle pas encore les yeux, dégustons encore de bons petits plats faits maison, essayons de sauvegarder notre si beau vieux monde ! 

lundi 30 décembre 2019

"Giono furioso"

Emmanuelle Lambert a obtenu le prix Femina essai pour son "Giono furioso". A l'occasion d'une grande exposition sur Giono au MuCEM de Marseille, l'écrivaine a voulu célébrer le cinquantenaire de sa disparition. Sa biographe, commissaire de l'exposition,  remet les idées en place sur cet écrivain dont la réputation se compose d'un grand nombre de clichés : un Pagnol provençal, un régionaliste naïf, un pacifiste pétainiste, etc. En évoquant ses romans, elle écrit : "Chacun est une odyssée, une aventure, une cavalcade. Ces livres agités ne finiront pas sages, endormis sur une étagère. Littéralement, ils déboulent". Sa démarche consiste à "rendre intelligible le sujet Giono, mettre un ordre dans le désordre de l'écriture, les contradictions des déclarations, les images successives, les témoignages". La biographe parle de la préparation de l'exposition et s'adresse directement à l'écrivain en un tête à tête intimiste et interrogatif. Le label iconique "écrivain de la Provence" se transmet comme une image d'Epinal mais Jean Giono dépasse les limites de son territoire de naissance. Emmanuelle Lambert n'hésite pas à mêler sa vie à celle de Giono. Cette biographie classique se change parfois en autobiographie sensible car elle connait la Provence, pays de son enfance. Elle visite la maison de Giono à Manosque où le responsable de l'association lui permet de parcourir les archives de l'écrivain dans son intimité. Il est né dans une famille modeste (père cordonnier et mère blanchisseuse) et il quitte l'école à seize ans pour aider sa famille en trouvant un emploi dans une banque. Heureusement, nous dit la biographe, "il y a les livres. Il les accumule et les dévore en autodidacte". Déjà, l'influence des Grecs se fait sentir. Emmanuelle Lambert glisse dans ses pages un bel éloge à la littérature : "La langue ruisselle toujours de leur plongée dans les classiques". Il découvre Homère, Virgile, Faulkner, Cervantès avec admiration. A dix-huit ans, il part à la guerre de 14. Une certitude se dessine dans les premières pages : les tranchées de la Guerre de 14-18 l'ont façonné et l'ont meurtri dans sa pleine jeunesse. Son pacifisme deviendra pour lui un credo, une farouche conviction qui entacheront sa réputation d'écrivain lors de la Guerre en 39. Sa biographe n'occulte en aucun cas les accusations injustes de collaborationnisme avec l'ennemi. La biographe analyse en priorité ses romans en décrivant chacun dans sa portée littéraire : "Tous, ils ont un bout de vous, une part de chair, une opinion, une idée". La planète Giono n'est pas un monde harmonieux, heureux, optimiste. Bien au contraire : "On y lit constamment une lutte à mort, (…) entre l'homme et les animaux, entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'argent, et l'homme et l'homme".  Elle s'adresse à lui comme s'il était près d'elle et cette proximité intimiste donne au texte un ton vif, alerte, direct. Cette biographie dense, très documentée, se lit en fait comme un roman. Pour ma part, j'ai découvert Giono dans ma jeunesse et j'ai aimé tous ses romans. J'ai longtemps préféré sa période stendhalienne avec "le Hussard sur le toit" mais il est temps de le relire des décennies plus tard. Ma mère qui aimait beaucoup Giono m'a légué ses Pléiades et j'ai relu les premières pages du "Chant du monde"... Un style charnel, un travail fascinant sur le langage, une histoire humaine des temps anciens, un classique contemporain à redécouvrir. 

vendredi 27 décembre 2019

Rubrique cinéma

Le nouveau film de Valérie Donzelli, "Notre Dame", s'inscrit dans la tradition de la comédie. Autant j'aime les films italiens dans ce registre, autant les comédies françaises tombent souvent à plat. Dans un Paris constamment arrosé, Maud Crayon, architecte précaire dans un cabinet où règne un patron tyrannique, compose une maquette destinée à une place de la banlieue parisienne. Sa vie privée ressemble à sa vie professionnelle : un chaos complet, provoqué par son comportement indécis. Elle est séparée de son mari avec lequel elle entretient pourtant une relation et élève ses deux enfants toute seule. Son ex est d'ailleurs un hurluberlu infantile qui se refugie chez Maud dès que sa compagne le rejette. Un soir, la maquette en question s'envole par la fenêtre (loufoquerie extrême), et atterrit sur le bureau de la maire de Paris. Son projet enthousiasme l'équipe municipale et elle est choisie pour équiper le parvis de Notre-Dame. Elle dispose d'un budget conséquent (280 millions d'euros) pour réaliser cet aménagement poétique mais les détracteurs remarquent la ressemblance des sorties de métro avec un phallus. Elle rencontre lors de l'opération de promotion son amour de jeunesse avec lequel elle renoue une relation romantique. Maud Crayon, enceinte de son troisième enfant, finira par rompre avec son mari immature. Le projet ne se réalisera pas, tant la contestation se fait jour. Le film dénonce la tension au travail, la précarité, les incivilités avec les claques données par des passants anonymes, l'hypocrisie du monde politique (très bonne caricature d'Anne Hidalgo). Cet aspect sociologique me semble le meilleur du film mais il y a trop d'exagération dans les scènes, trop d'outrance dans les caractères, trop de protagonistes excentriques… Une légèreté ennuyeuse au final.  Ou j'ai perdu mon humour, ou je n'ai rien compris au burlesque. Le seul plaisir que j'ai trouvé en voyant défiler ces images humoristiques, c'est de revoir le Paris que j'ai visité en novembre. Mais, j'avoue que je ne goûte guère la comédie-champagne, dont les bulles s'évaporent en vain. La réalisatrice a certainement voulu parler de notre rapport à la ville et de sa transformation décidée par des politiques crétins, des femmes qui "font tout", de la culture urbaine, etc. Les critiques ont recommandé ce film… L'ont-ils vu ? Je me le demande encore. 

lundi 23 décembre 2019

"Le soin est un humanisme"

La nouvelle collection, "Tracts", de Gallimard propose des essais courts (45 pages) et percutants, susceptibles de nourrir les débats de société et d'apporter des éclaircissements pour comprendre notre monde contemporain si complexe. Quelques titres à retenir : "Jojo, le gilet jaune" de Danièle Sallenave, "L'égalité" de Pierre Bergounioux, "L'Europe fantôme" de Régis Debray. Cynthia Fleury vient de publier dans cette collection pertinente, "Le soin est un humanisme". J'avais lu de cette philosophe et psychanalyste, "Les Irremplaçables" que j'avais beaucoup aimé. Pour connaître cette philosophe, son portrait est disponible sur le site de France Culture dans l'émission "des Chemins de la philosophie". Je l'ai entendue évoquer sa bibliothèque personnelle dans son appartement de Paris, envahi par des milliers de livres. Née en 1974, cette philosophe semble posséder plusieurs vies. Elle a enseigné la philosophie politique à l'université, a été chercheuse au Museum national d'histoire naturelle, professeure à l'Ecole des Mines, et dirige également la chaire de philosophie à l'Hôpital de l'Hôtel-Dieu. Cynthia Fleury tient aussi une chronique dans l'Humanité. Sa carrière polyvalente, ses interventions médiatiques, sa présence dans les colloques, troublent un peu son image de philosophe dans le sens traditionnel du terme et elle n'attire pas que des admirateurs(trices). Cette intellectuelle brillante et chevronnée ajoute évidemment à sa carrière fulgurante des essais dont le dernier, "La fin du courage" a été adapté au théâtre cet automne. Dans son texte, "Le soin est un humanisme", elle développe une définition du soin, un geste en dehors de la marchandisation. Pour la philosophe, la bienveillance doit primer et l'Homme se définit comme un être de relation et de responsabilité. Dans son travail, le soignant ne doit pas gérer la maladie comme un acte monétarisé. Son rôle essentiel se résume dans l'attention aux autres et au monde. La philosophe évoque la vulnérabilité de chacun d'entre nous, qu'elle ne considère pas comme un obstacle ou un handicap. Bien au contraire, la fragilité peut devenir une force intérieure qui mène vers autrui. Elle emploie l'adjectif "d'irremplaçable" car nous le sommes tous. Cet Autre serait le malade qui a besoin de soin, un soin possible, réfléchi, renforcé. Un soignant ne guérit pas que le corps, l'âme ou l'esprit du malade réclament les mêmes soins . En bonne psychanalyste, Cynthia Fleury confirme sa croyance au langage surtout poétique pour vivre en "capacitaire", un des concepts qu'elle déploie dans sa pensée. Pour conclure, je retiens cette belle phrase à méditer : "Tel est le chemin éternel de l'humanisme : comment l'homme a cherché à se construire, à grandir, entrelacé avec ses comparses, pour grandir le tout, et non seulement lui-même, pour donner droit de cité à l'éthique, et ni plus ni moins aux hommes. Quand la civilisation n'est pas soin, elle n'est rien". 

vendredi 20 décembre 2019

"La tentation"

Luc Lang a obtenu le Prix Médicis en novembre pour son dernier roman, "La tentation". Et ce choix pour ce livre dense et fort correspond bien à l'ambition de ce prix pour une littérature exigeante. Le vieux monde de François, chirurgien et directeur d'une clinique lyonnaise, s'effondre peu à peu devant ses yeux. Pourtant, cet homme, grand amoureux de la chasse, de la traque, se sent tout puissant quand il marche dans la forêt pour abattre un cerf. Un jour, François épie cet animal royal, hésite pour le tuer et finit par le blesser. Il le hisse dans son pick-up, le soigne et le sauve. Il le ramène dans sa résidence secondaire, un relais familial de chasse en montagne. Ce chasseur commence-t-il à faiblir en épargnant ce cerf magnifique ? Sa toute puissance s'amenuise surtout quand il se retrouve face à ses problèmes familiaux. Sa femme italienne, belle mais énigmatique, traverse des crises de mysticisme et se réfugie régulièrement dans des monastères. Son fils Mathieu a arrêté ses études de médecine pour se lancer avidement dans le milieu bancaire. Il est devenu un golden boy à New York. Le père considère son fils comme un étranger, il se demande comment il a échoué en observant la métamorphose incompréhensible de ce fils carnassier. Sa fille est tombée éperdument amoureuse d'un trader équivoque que son frère lui a présenté. Le chirurgien retrouve ce fils dans sa maison de montagne mais il ne le reconnaît plus : "Il regarde son fils à la dérobée. Eprouve une espèce de stupéfaction muette devant l'être qu'il voit trop peu. Il est médecin, il sait la croissance du corps humain, mais il est cette fois le témoin originaire d'une violente métamorphose dont il réalise mal le processus". Ce père semble avoir perdu le lien avec ce garçon qui a choisi une vie très différente. Il ne comprend guère sa fille Mathilde, entichée d'un financier escroc. Sa fille a peut-être des excuses selon son père car il a assisté à sa quasi noyade devant les yeux d'une mère indifférente et perturbée. Il a sauvé l'enfant in extremis. Un jour, sa fille surgit, hagarde et perdue, avec son petit ami, une balle de gros calibre logée dans sa jambe. Ils sont traqués par trois hommes lourdement armés. Le roman familial se transforme en thriller avec cette irruption dramatique dans la vie du chirurgien. Je ne vais pas résumer la fin de l'intrigue car le rythme du roman s'électrise et François, de prédateur de cerf, devient l'otage des relations douteuses de ses enfants. Les valeurs s'inversent et le monde de François s'effondre pour un ordre nouveau. Va-t-il réagir ? Ce chasseur émérite possède des ressources insoupçonnées… Luc Lang n'appartient pas à la catégorie des écrivains nombrilistes. Il brosse un portrait d'une famille complexe avec des relations violentes et passionnelles. L'intrigue est portée par une langue d'une précision implacable et d'une finesse de dentelle. La vie des personnages ressemble à une chasse permanente. Qui est chassé ? Qui chasse qui ? Il faut lire ce très beau roman de la rentrée, un des meilleurs de la rentrée. 

mercredi 18 décembre 2019

"Nouvel an"

Je viens de découvrir une écrivaine allemande, Juli Zeh, qui vient de publier son roman "Nouvel an" chez Actes Sud. Henning, Theresa, sa femme, son fils et sa fille de deux et quatre ans partent en vacances dans les Canaries, à Lanzarote. Il en rêvait depuis longtemps de passer deux semaines en fin d'année, loin de Göttingen. Ils louent une maison dans un centre touristique. Le matin du premier de l'an, il part se balader en vélo, seul et rumine sa vie tout en pédalant. Pour Henning, la vie de famille ne se passe pas comme il voudrait. Sa femme et ses enfants l'épuisent et une dépression le guette sans cesse. Le temps est maussade, les touristes l'énervent et les crises d'angoisse qu'il nomme "la Chose", surgissent. Sa promenade en solitaire ressemble plus à une fuite qu'à une escapade plaisante. Il constate son extrême fatigue et une lassitude dépressive. Sa paternité le pèse : "Qui tiendrait toute la journée enfermé avec deux petits ? Avec les enfants, les vacances sont une parenthèse où la vie est encore plus épuisante que d'habitude". Il a fêté Noël au restaurant dans un premier service et sa femme s'est éloignée de leur table pour flirter avec un Français avec lequel elle dansait. Leur couple vacille, tangue, se fragilise. La Chose l'étreint pendant cette balade et se transforme en une autoanalyse : "Entre deux crises, Henning lutte contre la peur de la prochaine. A part ça, il peine à trouver sa place entre le boulot et les enfants. Sa vie est fuite, il ne termine rien, ne trouve le temps de rien". Il se lance à l'ascension d'une montagne et il arrive au sommet complétement épuisé. Il aperçoit une vieille maison et il demande de l'aide. Une femme, Lisa, l'invite à venir se reposer, lui offre à manger et à boire. C'est à ce moment-là que le roman se scinde en deux parties. Henning a l'étrange sensation qu'il est déjà venu dans cette maison, dans ce jardin avec son réservoir d'eau qui l'attire irrésistiblement. Peu à peu, les souvenirs reviennent, ceux d'un séjour qu'il a passé dans ce lieu avec ses parents et sa jeune sœur Luna quand il était vraiment un petit garçon. Il avait refoulé cette expérience traumatisante. Ses parents les avait abandonnés, lui et Luna pendant deux jours… L'angoisse souterraine d'Henning viendrait-elle de cet épisode escamoté dans sa mémoire ? Ces deux enfants livrés à eux-mêmes constitue donc la deuxième partie du roman et éclaire la première. Je ne dirai pas pourquoi les parents se sont absentés car Henning l'apprendra de sa mère qui n'avait jamais parlé de ce séjour aux Canaries. Avec une écriture efficace et concise, Juli Zeh raconte les zones d'ombre refoulées qui empêchent de vivre, les blessures jamais cicatrisées. Ce voyage à Lanzarote était aussi un voyage intime dans les limbes de soi-même. Un roman psychologique haletant et qui donne envie de lire les ouvrages précédents de cette écrivaine allemande de quarante-cinq ans. A découvrir. 

mardi 17 décembre 2019

Rubrique cinéma

Dans son dernier film, "Une vie cachée", Terence Malick film la nature comme s'il filmait le paradis terrestre. Son personnage principal, le fermier Franz Jagerstatter et sa femme Fani vivent dans une région d'Autriche en pleine montagne. Le petit village Sainte Radegonde symbolise la paix sur terre, l'amour partagé, une vie communautaire harmonieuse, une nature édénique. Le couple donne naissance à trois filles et la sœur de Fani vient vivre avec eux. Mais la folie de l'hitlérisme n'épargne pas ce petit village. Des images d'archives ponctuent le film avec la figure d'Hitler et l'effervescence incompréhensible de la foule acclamant le dictateur. On sait bien que les Autrichiens eux-mêmes se sont empressés d'adhérer au national-socialisme. Franz montre déjà son peu d'enthousiasme pour cette idéologie mortifère. Il faut dire que son identité chrétienne caractérise le comportement de cet homme simple et honnête. Il part faire ses classes comme tous les hommes de son âge mais il commence à résister contre cette folie en évitant le serment d'allégeance au Führer. Dans son village, il se fait remarquer et ostraciser. Des passants lui crachent dessus et montrent leur haine viscérale contre tous ceux qui font sécession. Plusieurs interlocuteurs tentent de le dissuader comme l'évêque qui lui conseille de se soumettre aux autorités et de se battre pour la patrie. Il reçoit une lettre qui le convoque à nouveau pour intégrer l'armée et Franz dit non, en toute innocence et en toute simplicité. Sa conscience lui dicte sa conduite. Il est emprisonné à Berlin. Un procès lui donne une dernière chance de vivre, s'il renonce à son refus de signer son allégeance. Il persiste et il choisit la mort. Il sera décapité. La droiture morale de Franz est sans faille malgré l'amour qu'il porte à sa famille. Ce film s'est inspiré de l'histoire vraie d'un fermier modeste qui a sauvé son honneur en disant non. L'Eglise s'est emparée de ce héros catholique pour le canoniser. Une phrase de George Eliot, projetée sur l'écran résume le destin de cet homme exemplaire : "Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu'elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée". La bande sonore est particulièrement belle avec des extraits magnifiques (Bach, Haendel, Arvo Part) et la beauté des images forme une élégie pour l'esprit de résistance contre l'esprit moutonnier,  le courage d'être soi contre la dilution de son soi. Du cinéma sérieux, grave et teinté de spiritualisme. 

lundi 16 décembre 2019

"Opus 77"

Alexis Ragougneau est un jeune écrivain, passionné de musique classique. Comme je vibre comme lui tous les jours en écoutant mes opéras baroques et la musique sacrée (sublime Bach), je suis ravie quand je remarque un roman, évoquant le monde fascinant des "sons ordonnés". Son "Opus 77" concerne un concerto de Chostakovitch. Lors de la messe de funérailles du chef d'orchestre Claessens, sa fille, la narratrice du livre, elle-même pianiste célèbre, interprète la difficile pièce pour violon et orchestre, opus 77. Pendant qu'elle joue, elle raconte l'histoire de sa famille, une tribu musicale d'exception. Ce milieu professionnel encense les talents, mais aussi peut à tous moments basculer dans les rudes critiques les plus injustes. David, le frère d'Ariane, violoniste prodige en son temps, est absent lors de l'enterrement de son père. Ce frère s'est réfugié dans un ancien bunker de l'armée en Suisse et il vit dans cet endroit perdu dans une solitude absolue et intransigeante. Pendant que son frère s'emmure dans le silence, Ariane choisit la parole. Dans son enfance rythmée par la musique, Ariane se remémore sa mère, Yaël, soprano douée mais étouffée par son mari, qui n'hésitait pas à mener une vie parallèle en la trompant avec ses élèves. Entre le passé familial et le présent de la narratrice, la vie familiale se déroule dans un certain chaos : dans le couple, dans les relations parents-enfants. La musique n'adoucit pas les mœurs et ne joue donc pas un rôle apaisant dans ce huis-clos d'exception, bien au contraire. Le talent du père écrase celui de ses enfants, la mère renonce peu à peu à l'art lyrique. Ariane se souvient d'une scène emblématique dans son enfance, quand elle voit, cachée sous le piano, la faillite d'un musicien virtuose qui ne contrôle plus ses doigts et devient ainsi chef d'orchestre. Son échec personnel condamne les siens à partager sa chute. Il règne comme un tyran sur les siens et seul, David, va s'affronter à ce Commandeur. Lecteur de Kafka et de Melville, le jeune homme préfère fuir ce milieu alors qu'il possède un génie musical. Son violon exceptionnel, offert par son père, ne suffit pas à le guérir de son enfance chaotique. Pour punir et se venger de son autoritarisme froid, il renonce à jouer le dernier mouvement du concerto alors qu'il frôlait le succès dans un concours à Bruxelles. Le conflit familial prend une tournure de tragédie grecque. Seule, Ariane, tente l'impossible en essayant de ressouder la fratrie désunie. Alexis Ragougneau a écrit un beau portrait d'artiste et de femme et il déclare dans un entretien : "A travers le personnage d'Ariane Claessens, j'ai travaillé à ma propre définition de la grâce, un mélange paradoxal de force et de fragilité. Ariane en est l'incarnation. Je l'ai voulue la plus humaine possible, c'est-à-dire pleine de contradictions". Un roman à découvrir et à savourer par les amateurs de musique classique. 

vendredi 13 décembre 2019

Atelier lectures, 3

La deuxième partie était consacrée aux romans "ruraux" ayant pour cadre le monde de la nature, de la campagne. Souvent, la littérature semble naître dans les grandes villes, dans l'urbanité et l'image traditionnelle du grand écrivain évoque en plus de nombreux parisiens comme Balzac, Proust, et tant d'autres. J'avais proposé ce genre littéraire après avoir lu Marie-Hélène Lafon et Pierre Bergounioux. Mylène et Odile ont choisi le même ouvrage, "Survivance", de Claudie Hunzinger. Deux libraires, Jenny et Sils, sont contraints de rendre les clés de leur librairie et de leur domicile. Ils trouvent un refuge dans une maison perdue en ruines dans la montagne. Ils doivent s'adapter à leur nouvelle vie comme des Robinson Crusoé. Ils redécouvrent une nouvelle façon de vivre. Odile a beaucoup aimé ce récit alors que Mylène n'a pas adhéré, reprochant à l'écrivaine un manque de profondeur psychologique chez les personnages. Pour ma part, j'avais apprécié ce livre à l'époque en m'imaginant revivre comme eux dans la montagne, ayant vécu aussi la fermeture de ma librairie à Bayonne dans les années 80. J'avais choisi Paris… Agnès et Marie-Christine ont lu aussi le même roman, "Grossir le ciel" de Franck Bouysse. L'une l'a aimé et l'autre l'a peu apprécié. Agnès a découvert un thriller rural avec deux personnages emblématiques, Gus, un paysan solitaire et taiseux et Abel, son voisin. Deux solitudes paysannes, des secrets de famille comme une bombe à retardement dans les Cévennes. Un écrivain à découvrir. Trois autres lectrices ont lu Marie-Hélène Lafon. J'ai découvert cette écrivaine avec "Nos vies", un remarquable récit sur une caissière d'épicerie. Dans ses précédents romans, elle évoque le monde perdu et pauvre de la paysannerie française. Janelou a particulièrement apprécié "L'annonce" et "Les derniers indiens". Dans "L'annonce", l'écrivaine raconte une rencontre entre Paul, quarante-six ans et Annette, trente-sept ans. Ils veulent rompre leur solitude respective. Vivront-ils une belle histoire d'amour ? A découvrir pour le savoir…  "Les derniers indiens" évoquent les Santoire, le frère et la sœur, célibataires et en face de chez eux, des voisins qui forment une tribu familiale. Marie-Hélène Lafon décrit avec sa finesse et son sens de l'observation la fin d'un monde, celui des agriculteurs. Janelou et Véronique ont beaucoup apprécié ces romans alors que Régine pense que l'univers "lafonien" est un peu étouffant et déprimant malgré une écriture très travaillée. Danièle a présenté "Chaleur de sang" d'Irène Nemirovsky, une plongée dans la France rurale des années 30. Silvio, un vieil homme, se souvient du cours tranquille des vies paysannes brusquement secouées par la mort et les passions amoureuses. Une écrivaine qui a eu beaucoup de succès à son époque et oubliée ensuite. Son roman le plus connu, "Suite française" avait obtenu le prix Renaudot en 2004 à titre posthume. Elle meurt à Auschwitz à l'âge de trente-neuf ans. La litterature ne se définit pas en genre rural ou urbain, elle décrit le monde dans toute sa diversité. Les romans lus dans l'atelier le montrent bien. 

mercredi 11 décembre 2019

Atelier lectures, 2

Mylène a retenu trois coups de cœur : le très beau "Ceux qui partent" de Jeanne Benameur dont on a déjà parlé dans l'atelier de novembre, "Le dernier gardien d'Ellis Island" de Gaëlle Josse et "Quatuor" d'Anna Enquist. Gaëlle Josse raconte à travers le journal intime du gardien d'Ellis Island l'histoire de ce centre qui a "trié" des millions d'immigrants venus d'Europe de 1892 à 1954. Ce sujet très sensible recèle beaucoup de drames humains qui rappellent la période actuelle. Mais, Mylène a surtout évoqué le très beau roman d'Anna Enquist, "Quatuor". Quatre amis musiciens se réunissent pour former un quatuor amateur. A cet ensemble artistique, un homme de quatre-vingt ans, ancien violoncelliste, joue le rôle de manager. Des questions essentielles se croisent dans ce livre fort et passionnant : comment vivre dans un monde de plus en plus violent, le rôle de la culture, le vieillissement, les relations entre amis, l'immigration à Amsterdam. La suite de ce roman, "Car la nuit approche" reprend tous ces sujets essentiels. Une grande écrivaine, Anna Enquist, musicienne et psychanalyste. Régine a beaucoup aimé "Les Choses humaines" de Karine Tuil. Ce roman dense et puissant évoque l'histoire d'une famille privilégiée dans le milieu parisien. Le père, arriviste et vaniteux,  est un journaliste célèbre, la mère, une essayiste féministe et leur fils, un jeune homme brillant. Ce couple désuni se retrouve lorsque leur fils est accusé de viol par une jeune fille qui l'accompagnait dans une soirée. Qui dit la vérité ? le garçon ou la fille ? Comment réagissent les parents ? L'écrivaine analyse en profondeur les personnages face à ce drame, le rôle de la justice, des médias, des réseaux sociaux. Une fresque contemporaine passionnante à lire. Ce roman a été doublement primé (Prix Goncourt des Lycéens et Prix Interallié). Il aurait dû obtenir le Prix Goncourt en fait, car il me semble bien plus intéressant que celui de Jean-Paul Dubois. Régine a aussi proposé comme coup de cœur, un premier roman, "Louvre" de Josselin Guillois. Paris, en 1939, le conservateur du musée, va tout faire pour protéger les œuvres d'art en les cachant à la campagne. Trois femmes racontent leur participation à ce sauvetage, à travers leurs journaux intimes. Annette a choisi un ouvrage d'Alita Mizubayasyi, "Ame brisée" et elle écrit dans son mél, "C'est l'âme d'un violon et une très jolie histoire, l'art au dessus de la haine". Voilà pour la partie coup de cœurs, riche en titres divers et variés. De bonnes idées de cadeaux pour les fêtes de Noël. 

mardi 10 décembre 2019

Atelier lectures, 1

Nous étions une petite dizaine de lectrices aujourd'hui à nous retrouver autour des livres et de la littérature. La première partie de la séance a démarré avec les coups de cœur. Danièle nous a présenté un petit ouvrage (55 pages) original, "By heart", d'un acteur, dramaturge et metteur en scène portugais, Tiago Rodrigues. Il monte une pièce de théâtre avec des hommes et des femmes qui doivent réciter un sonnet de Shakespeare afin de ressentir l'expérience singulière de retenir un texte et de le dire. Il fait l'éloge du "récitatif" car la poésie est un acte de résistance et aide à vivre. Sa grand-mère qui devient aveugle lui demande aussi de lui choisir un livre, son dernier livre, pour qu'elle l'apprenne par cœur. Mais quel livre choisir ? Un texte à découvrir et peut-être à lire à voix haute. Odile a enchaîné avec un grand coup de coeur, "Les Déracinés" de Catherine Bardon, paru en Livre de Poche en 2018. Ce très bon premier roman se présente comme une fresque historique des années 30 à Vienne jusqu'aux années 60 en République dominicaine. Wilhem, journaliste, rencontre Almah à Vienne en 1932. Ils sont juifs et la montée de l'antisémitisme assombrit leur idylle. Ils sont obligés de quitter l'Autriche pour l'Amérique. Mais, ils sont rejetés et d'errance en errance, ils atteignent la République dominicaine où Trujillo, le dictateur local, a offert cent mille visas à des Juifs venus du Reich. Le couple va s'installer dans une ferme et fonder une communauté qui annonce les kibboutz. En 1945, ils choisissent de rester dans ce pays qui les a accueillis. Ce roman de grande qualité a déjà rencontré un grand succès auprès des lecteurs(trices). Agnès a présenté "Toutes les histoires d'amour du monde" de Baptiste Beaulieu, auteur et médecin. Le narrateur découvre un secret de famille concernant son grand-père Moïse, homme taciturne et taiseux. Dans une malle, son père a découvert des lettres adressées à une inconnue, Anne-Lise. Qui est cette femme ? Il faut découvrir ce roman sensible qui a conquis le cœur d'Agnès… Marie-Christine a présenté une bande dessinée, "Félicité", ou l'histoire d'une femme congolaise. Cet ouvrage évoque le problème des migrants qui arrivent en France et sont accueillis au sein d'une association chambérienne. La suite, demain. 

lundi 9 décembre 2019

Rubrique cinéma

Hier, je suis allée voir le film, "Martin Eden" du cinéaste italien, Pietro Marcello. Cette fresque, tirée du roman de Jack London, se situe à Naples au début du XXe. Cette adaptation plus que réussie raconte l'histoire de Martin, jeune homme issu de la classe ouvrière. Il prend la défense d'un jeune bourgeois lors d'une altercation. Celui-ci l'invite chez lui pour le remercier et voilà notre Martin au sein d'une grande famille de sa ville où il rencontre Elena, une Madone de toute beauté, cultivée, musicienne et peintre. Elle s'intéresse tout de suite à ce garçon maladroit, gauche et empêtré dans son manque d'éducation. L'éblouissement qu'il ressent devant Elena provoque en lui un changement radical. Il veut connaitre ce monde si éloigné du sien. Il comprend que les livres pourraient devenir ce passeport indispensable pour pénétrer dans la vie d'Elena. Il commence à découvrir l'univers de la littérature grâce aux conseils de la jeune femme. Martin en autodidacte dévore les livres et déclare à Elena qu'il veut devenir écrivain. Les parents d'Elena ne voient pas d'un bon œil cette relation amoureuse. Parallèlement, il poursuit sa vie chaotique de marin, d'ouvrier sans abandonner son objectif prioritaire : écrire pour témoigner. Sa chance de gravir les échelons sociaux se manifeste dans les rencontres qu'il va faire : Elena, sa muse bienfaitrice, Brissenden, son mentor politique et Maria, une veuve généreuse qui l'héberge chez elle. Le monde de Naples autour de lui semble féroce et rude. Des archives constellent le récit montrant des images des gens du peuple ravagés par la faim, l'épuisement physique, la maladie et aussi par le rire. Martin, homme instinctif et volontaire, se bat pour conquérir le cœur de sa belle bourgeoise mais cette relation ne peut exister à cette époque-là. La vie n'est pas un conte de fées comme le dit son ami. Sa frénésie d'apprendre, de savoir se heurte au mur infranchissable des classes sociales. Malgré le rejet d'Elena, influencée par sa famille, Martin se met à l'écriture et après beaucoup de refus, un éditeur accepte de le publier. Sa vie va changer et il deviendra un écrivain célèbre. Elena le retrouve au sommet de sa carrière pour vivre avec lui. La célébrité l'a abimé, il ne croit plus à rien et son désenchantement, le dégoût de soi l'empêchent de vivre. La scène finale montre un personnage désespéré mais je ne dévoilerai pas l'acte final. Martin Eden symbolise le malaise des transfuges de classe. D'ouvrier à écrivain, il a trahi ses origines sociales et une image récurrente (la danse folle entre lui et sa sœur dans leur enfance) scande le film comme une promesse non tenue. Ce très beau film italien est l'un des meilleurs de l'année. Il ne faut pas le rater. Et l'acteur principal, Luca Marinelli, illumine la pellicule du début à la fin. 

vendredi 6 décembre 2019

Escapade basque, 2

Je connais le secret pour se balader dans Biarritz… Il faut partir le matin vers 9h et à ce moment-là, on ne croise que quelques habitants de la ville qui vaquent à leurs occupations. Je me suis retrouvée pratiquement seule avec mon frère au Rocher de la Vierge, sur la Grande Plage, le long de la côte où l'on traverse le Port-Vieux et ses fameuses crampottes, petites maisons de pêcheurs rustiques servant à remiser casiers, bouées et filets de pêche. De l'Hôtel du Palais à la Villa Beltza, le paysage biarrot se compose de nombreux îlots rocheux d'une couleur jaune-ocre qui se sont formés il y a 34 millions d'années… Ces roches contiennent des petits coquillages fossiles baptisés Œil de Lucie. On peut les chercher dans le sable sur les plages de la Chambre d'amour. Mais, ils ne se dénichent pas facilement… Quand j'en trouve un par hasard, je les collectionne. Il paraît qu'ils portent bonheur… Biarritz présente un panorama architectural éclectique : hôtels de style basque, villas Belle Epoque, Art déco, maisons labourdines aux pans de bois apparents peints en rouge brun mais aussi en vert ou bleu. Cette cité balnéaire symbole le kitsch des bains de mer dans les années 20… En décembre, l'océan déborde de vitalité et de force marine. Je me ressource à son contact et observer le large, l'horizon, la vastitude du paysage liquide me plonge dans une contemplation heureuse qui permet de se glisser dans un ailleurs, hors du quotidien routinier. Dans cette hors saison, il fait bon marcher sur le sable, écouter le roulis des vagues, repérer les surfeurs doués, ramasser des bouts de bois blanchis par le sel, chercher un œil de Lucie. J'ai incorporé ces paysages dans mon mental et bien que je les ai vus depuis des décennies, je ne m'en lasserai jamais. J'ai respecté aussi la tradition en fréquentant la librairie Bookstore sur la place Clémenceau. Je suis sortie de la librairie avec deux essais, l'un sur Clément Rosset et l'autre de Jean Paul Fournier… Anglet et ses plages, Biarritz et son Rocher de la Vierge, Bayonne et ses arcades, Bidart et ses falaises, Saint-Jean-de-Luz et ses bateaux de pêche, la Côte basque bien que souvent arrosée par la pluie, attire (hélas) de plus en plus de touristes… Il faut dire que l'on ne peut pas rester indifférente à sa beauté authentique, sa culture basque, la gentillesse de ses habitants, sa cuisine épicée aux piments d'Espelette, ses gourmandises chocolatées et ses pâtes d'amande, ses couleurs, ses montagnes douces et l'Espagne à deux pas. Je reviens dans mon pays comme Ulysse à Ithaque, mais, j'ai aussi envie de retourner dans mon pays d'adoption, ma belle Savoie… Je suis riche de deux pays, enracinée sur deux coins du monde… 

jeudi 5 décembre 2019

Escapade basque, 1

Avant le "grand hiver" qui démarre en décembre et se termine en mars, je reste bien au chaud prés du poêle à bois avec la présence chaleureuse de mes livres… Je ressentais la nostalgie de l'océan, mon océan atlantique du côté de Biarritz. J'ai donc repris le chemin de mon pays natal pour me préparer à affronter le froid savoyard. Je me vis comme un écureuil ramassant ses noisettes pour les croquer pendant ce temps de latence où la nature s'endort en silence. Mes noisettes ont pour nom les vagues de mes plages préférées. A Anglet, j'aime me promener le long des plages comme je le fais toujours dans mes escapades basques. J'apprécie particulièrement cette période de l'année où les touristes se sont tous évaporés comme des moineaux sur les terrasses des bars. Du côté de la Chambre d'amour, j'ai retrouvé les autochtones dans leur combinaison de surf. Ils dansaient sur les vagues au son des roulements et du fracas quand elles frappent le sable. Voir ces cavaliers farouches avec leurs planches multicolores demeure toujours un spectacle vivifiant et dynamique et dans ces gestes d'équilibre précaire, je lis une leçon de courage face à l'adversité que la vie peut parfois provoquer. Surfer ces monstres marins d'une hauteur variable, de trois à six mètres de haut, me procure un sentiment de joie. Je m'avance sur les digues des plages d'Anglet pour admirer ces hommes et ces femmes qui attendent parfois de longues minutes pour s'élancer, se mettre rapidement debout sur leur planche et essayer de rester sur la vague pendant quelques secondes. Quelle patience pour ces jeunes gens à l'affût de la bonne vague déroulante ! J'ai donc amassé des litres de bon air marin, chargé d'écume iodée pour les capter et les ramener à Chambéry… J'aime aussi me balader vers la plage d'Ilbarritz à Bidart avec ses rochers grandioses et son panorama sur les montagnes de la Rhune et des Trois-Couronnes. Un paysage minéral et liquide qui rappelle les côtes sauvages d'Irlande. Le pays respire mieux après la saison estivale même si la ville d'Anglet vit une furie bétonneuse. Les maisons anciennes disparaissent pour laisser place à des immeubles neufs sans intérêt patrimonial. Il ne faudra pas s'étonner des inondations futures dans cette région tellement cette folie des constructions ravage le paysage urbain. Anglet possédait de vastes espaces verts dans les années 70. Aujourd'hui, il ne reste plus que le quartier de Chiberta prés de l'océan. Pourquoi les maires délivrent-ils autant de permis de construire ? Profit, taxes locales, gain de voix, etc. Un désastre dans ma belle région de plus en plus peuplée, de plus en plus polluée, de plus en plus encombrée par le dieu automobile… Ce que le Sud de la France a connu, la Côte basque le subit aujourd'hui. L'argent mène le monde, hélas… 

mercredi 4 décembre 2019

"Car la nuit s'approche"

Anna Enquist, poète et romancière, a suivi une formation de psychothérapeute et aussi de pianiste concertiste. Ses romans portent des traces de son identité professionnelle. Dans le précédent roman, "Quatuor" dont "Car la nuit s'approche" est la suite, le lecteur(trice) retrouve les quatre musiciens de ce quatuor exquis. Mais, ils ont subi une agression violente à bord d'une péniche par un prisonnier évadé. Les quatre amis intimes, fous de musique classique, se sont dispersés après cet événement dramatique. Leurs liens amicaux se sont distendus et rompus. Chacun essaie de trouver un remède à leur traumatisme, provoqué par l'agression. Caroline, médecin ne se remet pas de cette crise et tente de surmonter sa dépression. Elle a perdu l'usage de son pouce, ce qui l'empêche de jouer du violon. Son mari, Jochem, victime collatérale du quatuor amical, ne pense plus qu'à se protéger et ses préoccupations sécuritaires amplifient la mésentente au sein du couple. Hugo a choisi de s'exiler en Chine pour organiser des festivals culturels afin de créer des échanges artistiques entre Orient et Occident. Caroline n'a plus de nouvelles des autres comparses. Le roman se focalise sur ce personnage. Elle part en Chine pour rejoindre Hugo dans son travail et rencontre Max, un médecin américain, pédiatre et humanitaire, qui mène une enquête sur les orphelinats du pays. Celui-ci l'entraîne dans sa mission et Caroline prend conscience de son impuissance face à la situation de ces enfants maltraités. Elle noue une relation amoureuse avec cet homme paradoxal, généreux avec les autres et mesquin avec sa famille. Il fuit son propre fils handicapé. Caroline se rend compte de son erreur et retourne chez elle pour affronter le procès concernant leur agresseur. Sa reconstruction va ainsi pouvoir vraiment démarrer : va-t-elle reprendre son travail de médecin ? Renouer des liens avec ses anciens amis ? Quitter son mari ? Devant les choix qui s'offrent à elle, Caroline dénouera enfin les nœuds de son mal-être… Ce beau et profond roman peut se lire même si on ne connait pas "Quatuor" mais il est préférable de le lire.  Anna Enquist, cette écrivaine néerlandaise, ne déçoit jamais ses lecteurs(trices). Preuve à l'appui, j'ai lu et aimé tous ses romans...