lundi 9 avril 2018

Venise, 6

Dernier billet sur Venise : il faut bien que je quitte ce lieu tellement atypique : hors du temps et hors du monde. Certains voyageurs prennent des destinations invraisemblables pour se retrouver dans des mondes exotiques, idylliques, étranges. Ils font des milliers de kilomètres en avion (et souvent ce sont des écolos très branchés...) pour fuir notre monde occidental trop commun à leurs yeux. Mais, le regard peut tout changer même à des distances raisonnables. Venise offre cette possibilité d'un "exotisme" temporel. Evidemment, il manque à la cité lacustre pour les amateurs de sensations extrêmes, un volcan en éruption, des requins dans la lagune, des palmeraies et des hôtels de luxe avec des piscines débordantes... Cela fait longtemps que je préfère des lieux "habités" par des humains, "patinés" par le temps, "racontés" par l'art, sauvegardés pour l'éternité. Venise réunit toutes ces qualités même si les traces du passé peuvent parfois étouffer le visiteur, tellement on peut ressentir une saturation de références en arpentant les rues et les places. J'ai visité la Sérénissime comme je lis un livre d'images : chaque signe rencontré contenait un message et il fallait traduire à tous moments le langage vénitien à travers ses canaux grands et petits, ses palais rénovés ou en ruines, ses musées publics et privés, ses églises ouvertes ou fermées, ses places si mélancoliques. La ville a cumulé des milliers de fantômes et j'ai croisé peut-être Vivaldi, Byron, Thomas Mann, Proust et tant d'autres qui ont écrit leur éblouissement en découvrant la lagune. Quand j'ai pris l'avion à Lyon pour me rendre à Venise, une certaine "joie" secrète se lisait sur les visages des voyageurs comme un esprit de fête partagé. J'ai même vu une jeune fille toute seule qui tenait dans la main un roman de Julien Gracq, "Le Château d'Argol", un présage pour moi car si les jeunes continuent de lire Gracq, la civilisation littéraire n'a pas encore disparu... Et j'imaginais cette jeune fille en séjour linguistique dans une famille de Vénitiens. Encore un présage que mon escapade se passerait bien à Venise. J'avais aussi retenu une belle adresse que je ne voulais pas manquer : la visite d'une des plus belles librairies du monde selon la revue Lire qui en avait retenu une dizaine. Je me suis rendue dans ce lieu mythique, "Acqua Alta", une librairie de livres anciens et d'occasion dans le quartier San Marco. Une gondole remplie de livres accueille les visiteurs, les murs sont couverts d'ouvrages les plus divers et cette caverne de papier constitue un des endroits les plus surréalistes de la ville. J'aurais bien postulé comme employée dans cette librairie... J'ai quitté Venise mais, Venise n'est pas au bout du monde : j'y retournerai sans aucun doute.