vendredi 3 novembre 2023

"Proust, roman familial", Laure Murat

 Dans cette rentrée littéraire de septembre, un essai sur Marcel Proust de Laure Murat, m'a évidemment attirée tant j'aime l'univers proustien que j'ai étudié à l'université (quand j'étais jeune). J'ai redécouvert "La Recherche du Temps perdu" en relisant la moitié de cette œuvre magistrale et monumentale avec un intérêt mille fois plus vif que dans ma jeunesse. D'ailleurs, il faut lire "La Recherche" après cinquante ans, quand on a cumulé en soi des souvenirs, des expériences, des joies et des tristesses, des amours et des amitiés souvent perdus. Les personnages nous suivent sans cesse comme le narrateur omniscient, sa mère, sa grand-mère, Françoise, le dilettante Swann, Madame de Verdurin, la "patronne", Saint-Loup, le Baron Charlus, Odette, Elstir et tant d'autres inoubliables figures. Je vis avec eux comme dans une vieille famille familière, miraculeusement préservée par la magie de la littérature. Beaucoup d'essais ont été écrits lors du centenaire de sa mort l'année dernière et celui de Laure Murat ne concerne pas seulement l'écrivain. Le "grand monde" de Proust est aussi celui des parents et des grands-parents de la narratrice. Née Princesse Murat, fille de Napoléon Murat et d'Inès d'Albert de Luynes, ses ancêtres illustres peuvent intimider tant cette écrivaine est liée à la noblesse depuis de nombreuses générations. Marcel Proust a fréquenté le salon parisien de ses arrière-grands-parents et certains de ses descendants apparaissent dans "La Recherche". Ce récit décrit le monde aristocratique où elle est née mais elle prend le parti de dénoncer durement l'hypocrisie de sa propre classe sociale ne lui trouvant que des travers irréversibles : le vide intégral de leurs pensées, "un monde de formes vides, un théâtre". Le roman proustien révèle cet univers d'oisiveté, de vacuité et de snobisme, en représentation à travers leurs réceptions, leurs châteaux, leurs hôtels particuliers. Laure Murat raconte de l'intérieur son milieu même si elle dresse un portrait très positif de son père, grand lettré et producteur de cinéma. Sa mère a aussi écrit des ouvrages historiques. Elle se confie sur sa rupture familiale quand elle a fait son "coming-out", refusant de se marier dans sa caste, fonder une famille traditionnelle. Laure Murat s'est exilée aux Etats-Unis où elle enseigne, vit avec une femme, a tourné le dos à ce passé glorieux et étouffant. La lecture de "La Recherche" l'a libérée, l'a émancipée de tout déterminisme de son milieu social. Ce roman d'éducation proustienne se lit avec un intérêt certain, surtout pour les "proustophiles". Je regrette un peu ses prises de position un peu trop "wokistes" à mon goût surtout sur l'écriture inclusive car son texte est émaillé de points "e" qui le rendent un peu dérangeant. Si on le lit à voix haute, cela devient impossible. Dommage...