vendredi 12 octobre 2018

"ça raconte Sarah"

Pauline Delabroy-Allard a composé avec son premier roman symphonique, "ça raconte Sarah" une histoire passionnelle entre deux jeunes femmes. Edité chez Minuit à la rentrée de septembre, ce roman a déjà obtenu la reconnaissance du public et des critiques. Professeur de lycée, la narratrice vit seule avec sa petite fille car son mari a disparu "sans crier gare". Lors d'un réveillon, elle rencontre une violoniste, Sarah : "ça raconte Sarah, sa beauté inédite, son nez abrupt d'oiseau rare, ses yeux d'une couleur inouïe, rocailleuse, verte (…). Ca raconte le printemps où elle est entrée dans ma vie comme on entre en scène, pleine d'allant, conquérante. Victorieuse". Pourtant, dans sa "vie chagrine", elle ne s'attendait pas à éprouver une telle passion, ayant remplacé son mari par un compagnon. A partir de cette vision fulgurante, la narratrice a déjà compris que sa vie allait basculer dans un rythme infernal. Sarah, dans cette soirée, s'était comportée comme une gamine, parlant fort, fumant, riant, dans une exubérance surprenante. Sarah a remarqué la narratrice car elle lui envoie des invitations à des concerts et l'invite au restaurant. Lors d'une sortie au théâtre, Sarah lui avoue qu'elle est amoureuse d'elle. Puis, un amour fou, irraisonné, irrésistible naît entre elles comme se lève une tempête, une tempête des sens, des corps, des âmes. La narratrice écrit ainsi : "L'amour avec une femme :  une tempête". C'est aussi "une révélation, une lumière, une épiphanie". Elles se retrouvent dans des moments parenthèses car elles ne mènent pas la même vie. L'une est sage dans son métier d'enseignante, l'autre a choisi la musique de chambre et les concerts en Europe avec son quatuor. La narratrice est emportée dans un tourbillon de vie, dans une sarabande amoureuse passionnelle. A se brûler de jour en jour entre leurs retrouvailles et leurs éloignements, elles épuisent leur passion mutuelle. Mais, un soir, Sarah se découvre un cancer du sein. Leur histoire d'amour s'interrompt brutalement. La seconde partie relate la fuite de la narratrice à Trieste, à la fin de sa passion, dans une folie dépressive. Son errance solitaire dans cette ville emblématique de la nostalgie symbolise aussi un retour à la vie, "la vie sans elle mais la vie quand même". L'écrivaine, âgé de trente ans, a réussi un exercice littéraire de haute volée. Avec un sujet audacieux (la passion entre deux femmes) et un style original très influencé par Marguerite Duras et Annie Ernaux, Pauline Delabroy-Allard possède déjà un talent certain. J'attends son deuxième roman pour confirmer mon opinion…