jeudi 3 février 2022

"L'horloge sans aiguilles"

 Carson McCullers (1917-1967), écrivaine américaine, disparue trop jeune, est surtout connue pour son premier roman attachant, "Le cœur est un chasseur solitaire". J'ai lu dernièrement "L'horloge sans aiguilles", publié en 1961 et disponible en Livre de Poche. Dans les années 50, J.T. Malone, pharmacien dans une petite ville de Géorgie, apprend qu'il est touché par la leucémie : "La mort est toujours la même, mais chacun meurt à sa façon. Pour J. T. Malone, cela commença d'une manière si banale qu'un temps il confondit la fin de sa vie avec le début d'une nouvelle saison". Le médecin lui donne un an à vivre. Malgré son état, il se prescrit des fortifiants et continue à mener son train de vie. Pendant ce temps, le juge Clane, juge puissant et atteint, lui, d'un profond racisme, regrette le temps du Klux Klux Klan et de la ségrégation institutionnelle. Le juge a perdu son épouse et cohabite avec son petit-fils, Jester, car le fils du juge s'est suicidé. Ce jeune homme est attiré par les garçons et il se lie d'amitié avec Sherman, un jeune Noir aux yeux bleus. Sherman, adopté dans sa petite enfance, recherche désespérément ses parents biologiques. Le juge Clane subit une crise de diabète et recrute le jeune Noir comme secrétaire personnel. Il est aussi très contrarié car il voit se profiler avec inquiétude la promulgation de nouvelles lois mettant fin à la ségrégation raciale. Jester assiste un jour à un lynchage raciste et cet événement provoque une prise de conscience déterminante. Les quatre personnages se débattent avec leur angoisse particulière. Le pharmacien ressent une très grande solitude face à sa mort prochaine sans l'aide de sa femme, ni de ses enfants. Le juge n'accepte pas l'évolution politique de son pays. Jester veut découvrir les raisons du suicide de son père et s'oppose à son grand-père. Sherman, abandonné sous le porche d'une église, vit dans la haine et dans le ressentiment. Carson McCullers écrit une sorte de testament dans son dernier opus. Son Amérique ancrée dans un racisme latent changera grâce aux jeunes adolescents et les deux adultes représentent un passé rétrograde. L'ambiance du roman, imprégnée de chaleur moite et poisseuse, révèle des existences suspendues à des choix décisifs. Ecrit en 1957 (et traduit en français en 1961), ce texte fort et poignant n'a pas pris une ride et devrait être considéré comme un grand classique sur le racisme aux Etats-Unis. L'écrivaine américaine déclarait dans un entretien : "Mon travail d'écrivain a toujours été très pénible. Mais j'ai toujours su qu'il ne suffisait pas de travailler. La pénible progression du travail doit être illuminée par une révélation, une divine étincelle". J'avais lu ce livre dans les années 70 et cette relecture m'a vraiment étonnée pour sa modernité et son humanité. Carson McCullers appartient à la catégorie des écrivains un peu oubliés. Quel dommage...