mercredi 18 décembre 2019

"Nouvel an"

Je viens de découvrir une écrivaine allemande, Juli Zeh, qui vient de publier son roman "Nouvel an" chez Actes Sud. Henning, Theresa, sa femme, son fils et sa fille de deux et quatre ans partent en vacances dans les Canaries, à Lanzarote. Il en rêvait depuis longtemps de passer deux semaines en fin d'année, loin de Göttingen. Ils louent une maison dans un centre touristique. Le matin du premier de l'an, il part se balader en vélo, seul et rumine sa vie tout en pédalant. Pour Henning, la vie de famille ne se passe pas comme il voudrait. Sa femme et ses enfants l'épuisent et une dépression le guette sans cesse. Le temps est maussade, les touristes l'énervent et les crises d'angoisse qu'il nomme "la Chose", surgissent. Sa promenade en solitaire ressemble plus à une fuite qu'à une escapade plaisante. Il constate son extrême fatigue et une lassitude dépressive. Sa paternité le pèse : "Qui tiendrait toute la journée enfermé avec deux petits ? Avec les enfants, les vacances sont une parenthèse où la vie est encore plus épuisante que d'habitude". Il a fêté Noël au restaurant dans un premier service et sa femme s'est éloignée de leur table pour flirter avec un Français avec lequel elle dansait. Leur couple vacille, tangue, se fragilise. La Chose l'étreint pendant cette balade et se transforme en une autoanalyse : "Entre deux crises, Henning lutte contre la peur de la prochaine. A part ça, il peine à trouver sa place entre le boulot et les enfants. Sa vie est fuite, il ne termine rien, ne trouve le temps de rien". Il se lance à l'ascension d'une montagne et il arrive au sommet complétement épuisé. Il aperçoit une vieille maison et il demande de l'aide. Une femme, Lisa, l'invite à venir se reposer, lui offre à manger et à boire. C'est à ce moment-là que le roman se scinde en deux parties. Henning a l'étrange sensation qu'il est déjà venu dans cette maison, dans ce jardin avec son réservoir d'eau qui l'attire irrésistiblement. Peu à peu, les souvenirs reviennent, ceux d'un séjour qu'il a passé dans ce lieu avec ses parents et sa jeune sœur Luna quand il était vraiment un petit garçon. Il avait refoulé cette expérience traumatisante. Ses parents les avait abandonnés, lui et Luna pendant deux jours… L'angoisse souterraine d'Henning viendrait-elle de cet épisode escamoté dans sa mémoire ? Ces deux enfants livrés à eux-mêmes constitue donc la deuxième partie du roman et éclaire la première. Je ne dirai pas pourquoi les parents se sont absentés car Henning l'apprendra de sa mère qui n'avait jamais parlé de ce séjour aux Canaries. Avec une écriture efficace et concise, Juli Zeh raconte les zones d'ombre refoulées qui empêchent de vivre, les blessures jamais cicatrisées. Ce voyage à Lanzarote était aussi un voyage intime dans les limbes de soi-même. Un roman psychologique haletant et qui donne envie de lire les ouvrages précédents de cette écrivaine allemande de quarante-cinq ans. A découvrir.