lundi 25 janvier 2021

"Un tout autre Sartre"

 François Noudelmann, invité sur France Culture dans la Grande Table des Idées, évoquait les vies multiples de Jean-Paul Sartre et ma curiosité pour la vie littéraire a voulu aller plus loin en lisant son ouvrage, "Un tout autre Sartre", publié chez Gallimard. Pourtant, cela fait très longtemps que je n'ai pas lu le philosophe français, préférant de loin, sa compagne de cœur, Simone de Beauvoir. Il faut dire que ces Intellectuels ont profondément marqué les générations nées au milieu du siècle dernier. Leur engagement politique pour les faibles, les opprimés et les pauvres a basculé dans la radicalité alors qu'ils étaient tous les deux des héritiers de la bourgeoisie. Dans l'essai biographique, la figure de Sartre ressemble à un tableau de Picasso où un visage déstructuré, démantelé et insaisissable peut symboliser le vécu hermétique de l'écrivain philosophe. François Noudelmann révèle un Sartre surprenant, inhabituel, secret, plus complexe que prévu : "Aucune biographie, même la plus documentée, ne rend compte de tous ces contretemps et incohérences". Il ajoute : "Plusieurs Sartre cohabitent en un seul, hors de soi et avec soi". Pour décrire ce nouveau Sartre, il s'appuie sur les archives d'Arlette Elkaïm-Sartre, sa fille adoptive. Cette enquête procède d'une exploration documentée qui ne laisse pas de doute. Quelle image avons-nous de lui  ? Un intellectuel contre la guerre d'Algérie, un compagnon de route du Parti communiste, un petit homme sur un tonneau en 1968, haranguant les ouvriers, un pétitionnaire régulier pour des causes politiques comme les Boat-people, l'anti De Gaulle, un ami de la cause palestinienne, de la bande à Baader, de Fidel Castro, etc. Un engagement sans concession, sans discussion, sans hésitation. Il n'était pas le seul à vivre cette grande utopie de la gauche radicale. L'essayiste décape complètement ces images d'Epinal et relate dans son essai des aspects de la personnalité sartrienne. Sa vie plurielle se manifeste à travers ses goûts qu'il cachait à ses relations. Il adorait par exemple, l'Italie et passait les trois mois d'été avec des femmes qu'il aimait en particulier, Arlette. Ce pays le rendait romantique et heureux. Il a même écrit un livre sur le tourisme à sa manière en décrivant Venise, Rome, Naples comme son prédécesseur Stendhal. Il pratiquait le piano deux heures par jour car la musique l'aidait à supporter ses devoirs officiels d'écrivain politique, sans cesse sollicité. En composant ses biographies sur Jean Genet, Gustave Flaubert et Freud, "il s'est à la fui et retrouvé". Son empathie en faveur de ses confrères écrivains lui permet de s'adonner à une de ses passions existentielles : comprendre autrui pour mieux s'oublier. Quel est donc le vrai Sartre ? Dans sa vie mosaïque : "Un baryton d'opérette, un harangueur du peuple, un homme à femmes, un écrivain caméléon, un rêveur mélancolique" et tant d'autres identités. Cet essai d'une belle écriture dense brosse le portrait d'un homme complexe, attachant et prisonnier aussi de ses multiples contradictions. Un homme au fond assez banal, mais aussi génial, proche et encore plus humain comme le commun des mortels. Je relirai dorénavant "Les mots", un récit autobiographique, une ébauche sensible de son "vrai moi" ? Je préfère ce Sartre italophile, pianiste, passionné de littérature que le militant sectaire des causes politiques excessives...