vendredi 17 avril 2020

"Le Grand royaume des ombres"

Arno Geiger, écrivain autrichien, est très connu dans le monde germanophone. J'avais lu avec intérêt, son récit sur la maladie d'Alzheimer de son père, "Le vieux roi en son exil", paru dans la collection, "Du monde entier" chez Gallimard. Dans son dernier roman, "Le Grand royaume des ombres", un ouvrage de 481 pages, il peint une fresque historique où plusieurs personnages subissent leur destin. En plein milieu de la Seconde Guerre Mondiale, près du lac autrichien de Mondsee, dans les environs de Salzbourg, un jeune soldat viennois, Veit Kolbe, est envoyé en convalescence. Il a été gravement blessé sur le front russe et se remet très lentement de son état affaibli. Il s'installe près d'un oncle policier, grotesque de bêtise, dans un village où il est logé dans une chambre très modeste. Le jeune Veit, très solitaire, se promène souvent au cœur de ce paysage alpin grandiose. Il fait la connaissance de sa voisine, Margot, qui élève son enfant seule car son mari se retrouve au combat. Un camp de jeunes filles évacuées de Vienne, s'est installé dans ce village. Dans ce microcosme à l'abri de la terrible apocalypse hitlérienne, chacun essaie de se protéger, de nier les faits ou de s'arranger avec la réalité. Car la menace gronde. Le jeune caporal écrit dans des carnets son expérience de repli et il prend conscience que sa vie, ses études et ses amours, lui ont été volés par la guerre. Sa propre narration est parfois interrompue par les correspondances de la mère de Margot, de Kurt, un adolescent amoureux de sa cousine, et d'un Juif autrichien Oscar, qui relate sa tentative de fuite à Vienne. Le jeune homme est atteint de crises de panique et dans cet atmosphère étouffante, seule la drogue arrive à le calmer. Il entame aussi une relation amoureuse avec Margot, et cette aventure symbolise un espoir de renaissance.  Veit rencontre aussi un "dissident", brésilien de naissance, antinazi, qui lui fait prendre conscience de la monstruosité d'Hitler. Son ami est pourchassé par la police et se cache pour fuir la prison. Le jeune homme prendra soin de sa petite entreprise d'horticulteur avec l'aide de Margot. Peu à peu, le jeune soldat se reconstruit et prend conscience que la guerre qui a entraîné le peuple autrichien est une aberration totale.  Arno Geiger en intitulant son roman, "Le Grand Royaume des ombres" évoque bien l'instrumentalisation des individus dans une nasse totalitaire. Certains s'en échappent miraculeusement mais ils représentent une minorité infime. L'écrivain a élaboré son roman en utilisant des centaines de témoignages, de lettres et de journaux pour restituer cette période historique. A lire pour comprendre aussi la guerre du côté allemand avec une galerie de personnages lucides pour certains et veules pour d'autres. Un grand roman.