vendredi 26 avril 2024

"Il ne faut rien dire", Marielle Hubert

 J'ai lu, sur les conseils de Danièle, un récit autofictionnel de Marielle Hubert, "Il ne faut rien dire", publié chez P.O.L. en janvier 2024. Un texte poignant, coup de poing, coup de coeur. Mais, difficile à lire, inconfortable, troublant, dérangeant. Et pourtant, ce deuxième récit de Marielle Hubert, après "Ceux du noir", est l'acte de naissance d'une jeune écrivaine talentueuse qu'il faudra suivre dorénavant. La narratrice évoque sa mère très malade, en fin de vie, atteinte d'un cancer généralisé : "Je ne ressens rien. Je ne suis pas triste. J'ai dit : j'ai hâte qu'elle meure". Cette mère s'appelle Sylvette : "Sylvette est née le 10 juillet 1945. Elle est dans le ventre de sa mère à la Libération de la France. Dans son corps de foetus se trouve dèjà par millions l'ensemble de ses ovocytes. Avant même sa naissance, le stock est là, complet. Parmi ces cellules, il y a la moitié de moi. Voilà mon point de départ". La narratrice va explorer et exploiter la mémoire familiale pour enfin comprendre cette mère-enfant, Sylvette. L'enquête commence avec le personnage hautement repoussant qui se nomme banalement Armand, le grand-père, homme handicapé car il a contracté la polio dans son enfance. Un ogre, violent, colérique, tyrannique, alcoolique. Il changera le prénom de sa fille de Françoise en Sylvette, par provocation. Invivable. Sa femme, Simone, grand-mère de la narratrice, victime docile et soumise, supporte son malheur avec un déni sur l'état de son mari. La mére de la narratrice a toujours été envahie par "une cohorte de fantômes". L'enfant Sylvette a cessé de vivre à l'âge de cinq ans. Quel est ce choc qu'elle a subi ? La petite fille a malheureusement, atrocement rencontré sur son chemin, l'ogre Armand, son propre père : "En 1950, Armand viole Sylvette pour la première fois". Fait glaçant, d'une précision chirurgicale. A partir de ce secret révélé qui surgit à la fin du récit, tout s'éclaire enfin : la non-vie de sa mère, le poids du silence familial, la tragédie. Comment survivre après ce traumatisme ? La narratrice pose la question : "Je n'étais pas née quand les fantômes de Sylvette étaient jeunes et vivants. Je connais ce temps-là par les sempiternelles photos et par les récits qu'elle m'en a faits. Il y a un trou en moi : ce sont eux". Comment même mourir après avoir vécu cet acte sordide, inhumain ?  Marielle Hubert empoigne les mots, façonne les phrases à la hache pour offrir à cette mère malade, souffrante, un hommage fiévreux, douloureux, passionnel. Cette lecture parfois éprouvante mais aussi magnifique de courage dénonce le non-dit du malheur familial, de la honte, de la culpabilité. Marielle Hubert écrit : "Les survivants sont des monstres : la douleur chez eux est convertie en métal vivant". Le titre du livre résume l'attitude de sa mère, "Il ne faut rien dire",  alors que la narratrice a choisi de tout dire. Une lecture indispensable sur l'inceste.  

mercredi 24 avril 2024

"Humus", Gaspard Koenig

Le roman de Gaspard Koenig, "Humus", a obtenu le Prix Interallié et le Prix de Jean Giono en 2023. Les sujets "écologistes" ne m'attirent pas particulièrement dans la littérature, mais j'avoue que j'ai appris beaucoup sur les lombrics, nos modestes vers de terre, ces "intestins des sols, plus lourds qu'humains, éléphants et fourmis réunis". Arthur et Kevin, les deux protagonistes du roman, suivent des études d'agronomie dans une grande école. Ils veulent réintroduire des lombrics sur les terres du grand-père d'Arthur en Normandie afin de réparer les dégâts provoqués par les pesticides. Kevin, étudiant créatif et écologiste convaincu, met au point un traitement naturel des déchets, des "vermicomposteurs" pour les bobos urbains. Alors qu'Arthur s'échine à purifier les sols de la ferme familiale sans obtenir des résultats probants, Kevin réussit à promovoir son idée d'éliminer les déchets avec les vers de terre. Il est aidé par une étudiante bien introduite dans les milieux financiers avec laquelle il établit aussi une relation sexuelle dénuée de sentiment. Les deux amis finissent par se perdre de vue. L'un s'enfonce dans l'échec répété, l'autre se retrouve à la tête d'un empire industriel. Arthur se replie sur sa terre familiale et choisit les vers de terre comme compagnons de route. Il se laisse influencer par un groupe d'écologistes radicaux et violents qui le sépare de la communauté humaine. Sa paranoïa du retour à la terre l'emporte dans une folie mortifère. Kevin, lui aussi, sombre dans le doute de son action car il apprend que son associée a menti sur le projet global en utilisant des incinérateurs pollueurs pour se débarasser des déchets. Il quittera ce monde de la finance en éprouvant une certain dégoût. Ce roman ample et ultracontemporain possède des accents balzaciens et flaubertiens sur les grandes illusions utopiques et aussi des références qui rappellent Houellebecq. Dilemmes moraux, sexe, mensonges, argent, radicalisation écologiste, hypocrisie, trahisons, les destins de ces deux jeunes hommes d'aujourd'hui se heurtent à tous ces écueils et au choc du réel.  Gaspard Koenig utilise la satire mordante pour décrire les milieux des grandes écoles et de leurs élites déconnectées, la marchandisation de l'écologie, la mondialisation, le système productiviste agricole. Dans ce roman dense, aucun personnage n'attire vraiment une empathie des lecteurs-trices, en particulier les femmes autour des deux garçons fantasques. Seuls, les lombrics semblent détenir l'innocence de la nature et surtout une utilité salvatrice pour l'avenir de notre planète ! En lisant ce roman original, Gaspard Koenig m'a fait découvrir un monde incroyable, celui des lombrics, la "première biomasse terreste entre un à trois tonnes à l'hectare". Un roman ultracontemporain sur le malaise d'une génération éco-anxieuse à découvrir. 

lundi 22 avril 2024

"Baumgartner", Paul Auster

 Dès les premières lignes du nouveau roman de Paul Auster, "Baumgartner", publié chez son éditeur Actes Sud, j'ai été séduite par le ton intimiste du récit, l'effet miroir, l'empathie de l'auteur. Le personnage principal s'appelle donc Baumgartner, un septuagénaire, qui rédige un essai sur Kierkegaard, dans "la pièce du premier étage qu'il désigne parfois, comme son bureau, son cogitorium ou son trou". Il vit seul depuis le décès tragique de sa femme dans une noyade, dix ans avant. Pour rompre sa solitude, il commande des livres sur Internet pour rencontrer même brièvement la livreuse. Son humour décapant se manifeste dans son quotidien parfois complexe quand il oublie une casserole sur le feu. Il se brûle la main et tombe sur le sol : "Au moins, je ne suis pas mort. J'imagine que ce n'est pas négligeable". En fait, le narrateur vit dans le chagrin de la perte. Sa femme adorée, Anna Blume, était aussi écrivain comme lui et il éprouve "le syndrome du membre fantôme" en l'ayant perdu dans un accident improbable. Il lui avait dit de ne pas se baigner une dernière fois car la mer était forte. Mais, elle ne l'a pas écouté. Le texte se déroule dans l'évocation du passé : "Vers le passé, le passé distant que l'on distingue à peine, vacillant à l'extrémité la plus lointaine de la mémoire, et par fragments lilliputiens, tout lui revient". Dans le "palais de sa mémoire", il se souvient de sa jeunesse à Newark, de son père d'origine polonaise, de sa rencontre amoureuse avec Anna à 21 ans et de cette union si parfaite avec elle. Quand il ouvre enfin la boîte des archives personnelles de sa femme, il les intègre dans son récit. Il traverse sa fin de vie en philosophe quand il se confie sur sa solitude : "Vivre, c'est éprouver de la douleur". Cette douleur ressemble à l'impossibilité de faire son deuil. Le personnage austérien, Baumgarner, vit trop dans son passé, mais, un jour, une étudiante, le sollicite pour écrire une thèse sur Anna Blum. Comme il possède des recueils de poèmes inédits de sa femme, il accepte de recevoir cette jeune étudiante en lui proposant un studio attenant à son appartement. Cet événement imprévu lui redonne un peu d'énergie et d'espoir pour rompre sa terrible solitude. La fin du récit ouvre des perspectives pour l'écrivain vieillissant. Ce dernier roman de Paul Auster évoque la perte, le deuil, la solitude, le chagrin. La grâce de l'écriture, la force de sa pensée, la magie austérienne dans la construction du texte embarque le lecteur-lectrice dans la trame de tout destin humain. Un très beau roman ! Du grand Paul Auster. 

vendredi 19 avril 2024

"Les Papiers de Jeffrey Aspern", Henry James

 Quand je préparais mon séjour à Venise, j'éprouvais le besoin de lire des romans qui se déroulent dans cette ville. J'ai donc découvert "Les Papiers de Jeffrey Aspern" de l'écrivain américain, Henry James. Paru en 1888, ce roman a été composé au cours d'un séjour de l'écrivain au Palais Barbaro-Curtis de Venise. Le narrateur du récit est chargé de mettre la main sur les papiers personnels de Jeffrey Aspern, un grand poète américain décédé. Ce poète aurait légué ses archives à une ancienne amante, Juliana Bordereau. Cette femme très âgée vit dans un vieux palais de Venise. Très méfiante, elle vit isolée avec sa nièce, Miss Tina. Il se présente à elles comme un simple voyageur et leur demande une chambre à louer. Comme elles vivent dans une certaine pauvreté, elles acceptent d'héberger cet homme en lui demandant un loyer exorbitant. Le narrateur accepte ce loyer et s'installe dans ce palais. Avec prudence, il essaie de communiquer avec ces étranges hôtesses, murées dans le silence et dans la solitude. Les papiers du poète existent-ils toujours ? Sont-ils cachés dans la chambre de Miss Bordereau ? Les a-t-elle brûlés ? Le jeune homme avoue à Miss Tina qu'il veut récupérer ces précieux documents. La vieille dame finit par négocier mais au lieu de lui vendre ses souvenirs, elle propose un portrait miniature de Jeffrey Aspern pour une somme extravagante. Mais, ce portrait ne lui suffit pas. Une nuit, alors que la vieille dame est malade, le narrateur s'introduit dans sa chambre et il est surpris dans son geste de voleur. Miss Bordereau le maudit et s'évanouit. Absent pendant plusieurs jours, il apprend que l'amante du poète est morte. Miss Tina avoue qu'elle détient les papiers du poète mais elle propose une drôle de solution pour qu'il obtienne ces papiers : il doit se marier avec elle ! Bouleversé par cet échange, il refuse et s'enfuit. Mais l'idée de ce mariage fait son chemin et quand il revient voir Miss Tina, elle lui révèle qu'elle a brûlé, par dépit, une à une les lettres du poète. Finesse de l'écriture, cadre enchanteur de Venise, portraits psychologiques profonds. Une ambiance proustienne à la recherche d'un amour perdu. Du grand Henry James. Un classique original et à découvrir. 

mardi 16 avril 2024

Atelier Littérature, 3

 Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons évoqué les coups de coeur, peu nombreux en ce jeudi 11 avril. Mylène a évoqué le dernier récit de Colum McCann, écrivain irlandais, "American mother", publié en 2023 chez Belfond. L'auteur a rencontré Diane Foley, la mère du journaliste américain, James Foley, décapité par Daech. Comment vivre après cet acte barbare ? Comment comprendre cette atrocité commise au nom d'un Islam dévoyé ? En accompagnant la mère du journaliste lors du procès des bourreaux, l'écrivain se veut un témoin de son temps, un temps face à la violence et à l'horreur. La mère d'un courage surhumain veut affronter les assassins de son fils. L'humanisme et la civilisation face à la barbarie... Ce récit poignant ne constitue pas une lecture facile et accessible. Pourtant, il faut bien voir le réel comme il est dans cette tragédie. Odile a lu un roman historique de Maryse Condé, disparue récemment, "Moi, Tituba, sorcière", publié en 1986. Fille de l'esclave Abena, violée par un marin anglais, Tituba, née à la Barbade, est initiée aux pouvoirs surnaturels d'une guérisseuse. Elle se marie avec John et part au village de Salem. En 1692, a lieu le procès des sorcières de Salem et Tituba est arrêtée, oubliée dans sa prison jusqu'à l'amnestie générale qui survient deux ans après. Maryse Condé la réhabilite, l'arrache à l'oubli, et la ramène dans son pays natal, la Barbade. Un beau roman à redécouvrir. Odile a beaucoup apprécié un grand succès de librairie, "Les yeux de Mona" de Thomas Schelsser, paru en janvier 2024. Un grand-père fantasque et érudit initie sa petite fille chaque mercredi à une oeuvre d'art. Ils vont sillonner le Louvre, Orsay et Beaubourg. La petite fille va découvrir la beauté à travers les regards de Botticelli, Vermeer, Goya, Courbet, Kahlo, Basquiat pour citer quelques artistes. Un livre à conserver dans sa bibliothèque pour comprendre le monde de l'art. Danièle a présenté un récit autofictif de Marielle Hubert, "Il ne faut rien dire", publié chez P.O.L. en janvier 2024. Ce livre traite de la délicate question de l'inceste. Comme je l'ai lu aussi, je consacrerai un billet entier dans ce blog. 

lundi 15 avril 2024

Atelier Littérature, 2

 Je poursuis l'évocation des lectures concernant les relations "frères et soeurs" dans les romans. Annette, Geneviève M. et Odile ont bien apprécié le roman de Karine Tuil, "Tout sur mon frère", publié en 2005. Deux frères, Amo et Vincent, issus de la petite bourgeoisie, se heurtent tant ils sont différents. Vincent, le trader, adore la réussite, le luxe et les amours tarifiées. Amo, l'aîné, choisit la littérature et raconte la vie familiale. Mais, un jour, leur père tombe malade et leur demande de renouer un impossible dialogue. Cette épreuve familiale va transformer leur relation fraternelle. Les fantômes du passé resurgissent et ce retour aux sources de leur enfance va changer la donne. Karine Tuil excelle dans les huis-clos familiaux, traversés par des passions parfois destructrices comme le goût de l'argent, du sexe et du pouvoir. J'ai constaté que ce roman n'a pas du tout ennuyé les trois lectrices de l'Atelier. Un des meilleurs romans de Karine Tuil. Danièle a choisi un roman hors liste sur le conseil d'une libraire, "Le Moulin sur la Floss" de George Eliot, paru en 1860. Virginia Woolf écrivait : "Relire les romans de George Eliot nous procure toujours la même énergie et la même chaleur à tel point qu'on ne veut plus la quitter". La toute jeune et idéaliste Maggie Tulliver forme avec son frère Tom un couple lié par un amour indestructible. Leur père a fait faillite et il a été obligé de vendre le moulin. Il en meurt de chagrin et Maggie s'ennuie dans sa nouvelle vie. Elle se rapproche d'un jeune homme sensible et cultivé au grand dam de Tom. Ce roman que Danièle n'a pas encore fini de lire l'enchante. J'avais hésité à intégrer George Eliot dans ma liste des romancières anglaises de mars. Danièle nous a donné envie de la lire ! Odile a choisi le seul essai de la liste, "Faire famille. Une philosophie des liens", de Sophie Galabru, paru chez Allary. Ce livre a beaucoup intéressé Odile car le thème de la famille ne laisse personne indifférent. Il est question des répartitions des tâches et des biens, des rapports hiérarchiques, de protection, de violence, des nouvelles formes de famille. L'autrice parle aussi d'elle et de sa famille. Son grand-père est le grand comédien Michel Galabru. Son essai permet de mieux comprendre les liens familiaux et de mieux les vivre. (La suite, demain)

vendredi 12 avril 2024

Atelier Littérature, 1

 Nous étions une dizaine de lectrices dans l'Atelier Littérature de ce jeudi 11 avril. J'ai présenté le thème de l'Atelier du jeudi 16 mai et j'ai choisi Gaëlle Josse, une écrivaine discrète, intimiste, qui vient d'écrire un recueil de textes, "A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ?". Je l'ai vue récemment dans la Grande Librairie et j'ai remarqué son élégance d'être. Ces romans courts et profonds vont plaire, je l'espère, aux lectrices de l'atelier. Mylène a démarré la séance avec un titre de la liste, "Frères et soeurs en littérature". Elle a présenté le récit autobiographique d'Elizabeth de Fontenay, "Gaspard de la nuit. Autobiographie de mon frère", paru en 2018. Mylène a bien apprécié ce texte émouvant sur l'handicap mental de cet homme autiste, absent à lui-même : "Il ne se regarde pas dans la glace. Il sourit rarement, ne rit pas, ne pleure pas. Il n'affirme jamais : ceci est à moi, mais seulement parfois demande : est-ce que c'est pour moi ? Il dit rarement je et ignore le tu". Ce beau livre d'une tendresse pudique envers un frère malade mérite amplement une lecture attentive. Odile et Geneviève ont lu le roman de Maggie O'Farrell, "En cas de forte chaleur". L'ambiance est lourde dans la famille Riordan. Le père de famille a disparu en allant acheter son journal. A Londres, Gretta, sa femme, prévient ses enfants qui reviennent dans la maison familiale pour éclaicir le départ de leur père. Entre rancoeurs et disputes, le drame se charge de mettre du désordre dans cette famille. Geneviève a bien aimé ce roman sur ces querelles familiales pour des raisons futiles alors qu'Odile l'a trouvé un peu trop facile à lire. Geneviève H. et Danièle ont lu "Inséparables" d'Alessandro Piperno. Les frères Pontecorvo, Filippo et Samuel, les inséparables, sont pourtant différents. L'aîné collectionne les aventures. Le cadet n'a aucun succès. Mais, un jour, les destins s'inversent. Les Pontecorvo vont devoir faire face aux pressions médiatiques. Les deux lectrices ont trouvé ce roman un peu trop brouillon, trop foisonnant et n'a pas laissé un grand souvenir de lecture. Odile a choisi "Mon frère" de Daniel Pennac. Encore une déception pour la lectrice car plus d'un tiers du récit évoque le personnage de Bartleby de Melville, celui qui dit non, "I would prefer not to". L'écrivain relate la mort de son frère : "J'ai perdu le bonheur de sa compagnie, la gratuité de son affection, la sérénité de ses jugements, la complicité de son humour, la paix. Mais, qui ai-je perdu ?". Odile a trouvé ce récit autobiographie un peu court et assez superficiel. (La suite, lundi)

jeudi 11 avril 2024

"En vérité, Alice", Tiffany Tavernier

 Le dernier roman de Tiffany Tavernier, "En vérité, Alice", publié chez Sabine Wespieser, pose le problème de l'emprise amoureuse. Alice Fogère est tombée dans les griffes d'un prédateur invivable, son conjoint qu'elle aime malgré tout. Lui, le préféré des étudiantes, le beau gosse, a jeté son dévolu sur la jeune fille, Alice, timide et effacée. Elle n'en revient pas, Alice, que cet homme s'intéresse autant à elle. Ils forment un couple fusionnel depuis cinq ans. Tout son entourage familial se pose des questions sur son compagnon imprévisible au comportement violent. Cet amour immense est une prison consentie. Elle reste persuadée qu'elle va le sauver de sa rage de vivre provoquée par une enfance difficile. Un jour, il perd son travail et Alice trouve par hasard un poste de secrétaire administrative dans une association diocésaine de Paris. Elle va s'intéresser au phénomène des candidatures à la canonisation, première étape d'une procédure que le Vatican doit valider. Aidée par des collègues d'une gentillesse inhabituelle, elle découvre ce monde inconnu des "serviteurs de Dieu", des "Vénérables ou Bienheureux" qu'il faut évaluer. Son compagnon, Geoffrey, ne cesse de la harceler au téléphone, ne supportant pas qu'elle ne soit pas à ses ordres. Il l'humilie devant des relations qu'il reçoit chez lui. Mythomane, odieux, caractériel, cet homme toxique la terrorise et la brutalise. Plus Alice avance dans son nouvelle mission, plus elle vit dans le déni de son couple. Comment rompre cette emprise infernale ? Le roman oscille entre sa vie professionnelle empathique et sa vie privée brutale. N'est-elle pas elle aussi une sorte de sainte à force d'instruire les dossiers du diocèse ? Pourtant, sa famille l'alerte, ses nouvelles collègues aussi. Tiffany Tavernier intercale dans son récit des portraits de saints mais cela ne dérange pas le fil de l'intrigue. Les scènes conjugales ressemblent à un enfer insupportable. Sortira-t-elle de cet enfer ? La lectrice que je suis avait envie de secouer cette femme vaincue, effrayée, timorée pour qu'elle réagisse et quitte ce mufle total. Il faut lire ce roman original et même si l'emprise amoureuse est largement traitée dans les romans contemporains, Tiffany Tavenier apporte une note surprenante avec l'intégration de ce sujet sur les dossiers de la canonisation des futurs saints. 

mercredi 10 avril 2024

Escapade à Venise, dernier jour nostalgique

 J'ai vu Venise sous une pluie battante pendant deux jours mais j'ai bénéficié de six jours de soleil printanier. Venise sous la pluie conserve son charme éternel et nimbe le paysage vénitien d'une nostalgie douce. Quand la pluie est de la partie, visiter un grand musée devient une nécéssité. J'avais donc gardé dans mon programme le Musée Correr, le plus important et le plus grand de la cité. Situé sur la Piazza San Marco face à la Basilique, il occupe une partie de l'aile Napoléon du palais royal de Venise. Pourquoi ce nom de Correr ? Teodoro Correr (1750-1830), un descendant d'une des plus anciennes familles vénitiennes a légué sa collection d'oeuvres d'art à la ville. Je suis arrivée vers 10h du matin et après un léger embouteillage provoqué par la fouille des sacs, j'ai commencé ma visite par les appartements de Sissi, l'impératrice ! Une vingtaine de salles est consacrée à l'histoire de Venise : magnifiques mappemondes, bibliothèque somptueuse, maquettes de bateaux, collection de monnaies, lustres de Murano, armes et armures, etc. Quelques salles montrent les objets archéologiques : bas-reliefs, sarcophages, vases étrusques et grecs, bronzes, marbres, bijoux. Juste après ce musée, se trouve la magnifique Bibliothèque Marciana Nationale, dessinée par Sansovino au XVIe siècle et décorée par Veronèse et le Tintoret. Au deuxième étage, j'ai revu avec plaisir la Pinacoteca rassemblant les oeuvres majeures de la peinture vénitienne du XIIIe au XVIe siècle : Cosme Tura, Bellini, Antonello da Massina sans oublier un Carpaccio célèbre, "Les deux dames vénitiennes". L'après-midi, je voulais revoir le Musée Peggy Guggenheim mais quand j'ai vu la file d'attente sous la pluie, j'ai rebroussé chemin. Je connais bien ce musée d'art moderne et comme les salles sont très petites, la fréquentation massive de ce lieu empêche la contemplation devant les tableaux. Il faut savoir aussi renoncer parfois à des visites prévues. Malgré une pluie fine, je me suis baladée dans le Dorsudoro et je suis restée dans l'Eglise des Gesuiti pour admirer le plafond de Tiepolo et un tableau du Tintoret. Le lendemain, j'ai repris le bateau Alilaguna avec une mini-tempète pour rejoindre l'aéroport. J'étais bien secouée pendant une heure trente et je tangais en remettant les pieds sur la terre ferme. Tanguer, un verbe que j'ai conjugué pendant huit jours ! Je tangais en sortant du vaporetto, je tangais devant la beauté des canaux et des palais, je tangais devant les Bellini, les Veronèse, les Tintoret, je tangais devant le Palais des Doges ! Venise, ma destination préférée en Europe et évidemment, j'y retournerai. 

mardi 9 avril 2024

Escapade à Venise, le Cannaregio et le Castello

 Le lundi, j'ai pris le vaporetto avec toujours un plaisir renouvelé pour me rendre dans le Cannaregio, un quartier calme et peu fréquenté aux multiples visages qui abrite l'ancien Ghetto juif, le premier au monde identifié par des habitations de six à neuf étages. Les canaux plus larges qu'au centre de la ville sont bordés par des quais, ponctués par des trattoria populaires. J'ai visité de belles églises dans la matinée sous un soleil printanier très agréable. Dans la Chiesa di Sant'Alvise, j'ai déniché des Tiepolo et les fresques étonnantes du plafond, réalisées par Bastiani au XVIIe siècle. J'ai visité ensuite la Chiesa della Madonna dell'Orto, édifiée au XIVe, de style gothique. La façade porte une frise de statues et d'ornements et à l'intérieur, l'église se transforme en véritable musée : Cima de Conegliano, Palma le Jeune, le Titien et surtout le Tintoret. Il est enterré dans cette église car il a vécu trente ans dans son atelier, situé à quelques mètres. Je connaissais assez mal ce peintre et j'ai appris à l'apprécier en observant ses immenses toiles, saisissantes dans l'expression des émotions humaines. Une des plus belles églises de Venise. L'après-midi, j'ai redécouvert le Castello, un quartier peu fréquenté de Venise. Les Vénitiens le nomment la "queue de Venise", car la Sérenissime ressemble à un poisson. Le musée de la marine (Museo Storico Navale) était fermé temporairement et dans ce quartier de l'Arsenal où travaillaient des milliers d'ouvriers, quelques églises remarquables méritent le détour en particulier la Chiesa Di San Francisco della Vigna. Des vignes poussaient dans le campo où se situe cette église du XVIe siècle, dessinée par Palladio, sur un modèle classique, harmonieux et équilibré. Et les trésors artistiques dans cet édifice religieux ? Un rétable du Véronèse et une coupole de Tiepolo. Le cloître du couvent adjacent de toute beauté donne un sentiment de paix et de sérénité et dans une chapelle, j'ai découvert un Giovanni Bellini, caché au dessus d'un autel ! Je n'avais pas de pièce de monnaie pour éclairer ce chef d'oeuvre mais, un gardien est venu gentiment avec un euro et une lumière a jailli pour admirer cette Vierge Marie avec l'enfant Jésus, entourée de personnages. Je garderai un très beau souvenir de ce moment de gentillesse qui peut se manifester envers des visiteurs anonymes. J'ai terminé ma journée devant un Rétable de Giovanni Bellini (encore lui !), une "Vierge à l'Enfant entourée de saints", une oeuvre extraordinaire dans la Chiesa San Zaccaria. L'ange musicien au pied de la Vierge m'enchante toujours autant. Ah, les églises de Venise, des lieux enchanteurs et silencieux, loin de la foule bruyante de San Marco et du Rialto. 

lundi 8 avril 2024

Escapade à Venise, la ville des musées

 Depuis que je voyage, je choisis souvent les villes européennes pour la qualité de leurs musées. Certains et certaines ont le goût de l'exostisme, des paysages, des lieux naturels à couper le souffle. Je comprends cette démarche mais cela ne me suffit pas. J'ai besoin de la présence artistique dans les villes et Venise m'offre cette double perspective : des paysages fantastiques et des musées magnifiques. Quelle aubaine ! Le dimanche matin, j'ai revisité un des musées les plus originaux de la ville : le musée Fortuny, fermé depuis deux ans et qui a réouvert ses portes cette année. Mariano Fortuny (1871-1940), espagnol d'origine, créateur de tissus a été aussi sculpteur, peintre, photographe, couturier, décorateur. Sa polyvalence convenait parfaitement à l'identité vénitienne. Installé dans son palais Pesaro, un palais gothique du XVe, Fortuny a crée sa propre oeuvre d'art dans ce musée loufoque, baroque, original au décor somptueux : sculptures, tableaux, jardin d'hiver, fresques sur les murs, objets divers. Ce musée dégage un charme particulièrement envoûtant. Avant de visiter le deuxième musée de la journée, j'ai voulu voir le Lido, ses plages et ses hôtels mythiques, la mer Adriatique. Pas de vagues océaniques mais des vaguelettes comme la Mer Méditerranée. J'ai ramassé des coquillages sur la plage pour les exposer plus tard dans ma bibliothèque. Je les conserverai tels des reliques vénitiennes ! Comme ce n'était pas la saison estivale, beaucoup d'établissements balnéaires étaient fermés. Revenue sur les Zattere d'un coup de vaparetto, j'ai déjeuné dans un restaurant que je conseille vraiment, chez Gianni, et la cuisine vénitienne comble tous les gourmets de la terre. En fin d'après-midi, j'ai revu un des musées que j'aime le plus : la Galerie de l'Academia. Installé dans plusieurs batiments historiques (église, couvent, scuela), la galerie est composée de 37 salles réparties autour de deux cours.  Devant mes yeux, des collections du XIVe au XVIIIe ; Bellini (une salle entière pour lui), Carpaccio, Bosch, Veronèse, Tintoret, les primitifs siennois, Tiepolo et surtout le tableau le plus saisissant, le plus mystérieux qui soit : "La Tempète" de Giorgione. Le musée était peu fréquenté à cette heure tardive et quel plaisir de le parcourir en toute quiétude ! Le soir, j'ai profité d'un beau coucher de soleil comme tous les soirs, un spectacle à quotidien à savourer. Venise marie à merveille l'art, l'architecture, la peinture, la musique avec la mer, les îles, la lagune, les canaux. Une ville de rêve et un rêve de ville.  

jeudi 4 avril 2024

Escapade à Venise, Isola Di San Giorgio Maggiore

 L'île de San Giorgio Maggiore, située face au Palais des Doges, a connu son heure de gloire pendant la République de Venise car elle contrôlait les navires qui rentraient et sortaient de la ville. Dès 790, une église s'est construite, suivie d'un couvent mais un tremblement de terre a détruit ces édifices. A la fin du XVIe, les habitants de l'île ont reconstruit une église et un couvent. La ténacité, l'obstination des Vénitiens pour se maintenir sans cesse sur ces terres parfois hostiles tient du miracle. Au XIXe siècle, le vieux couvent est transformé en caserne qui survivra jusqu'à 1945. Un entrepreneur mécène, Giorgio Cini, achète le terrain et la caserne pour transformer ces ruines en centre d'art. Je me suis inscrite pour une visite guidée le samedi en fin d'après-midi. Avant de pénétrer dans ce lieu magique, j'ai visité l'église San Giorgio Maggiore, entièrement dessinée par Palladio en 1565. Il a fallu une quarantaine d'années pour la construire. Façade en pierre d'Istrie, colonnes de style corinthien, deux statues des doges, tout rappelle l'Antiquité grecque puis à l'intérieur, deux oeuvres remarquables du Tintoret : La Cène et une Récolte de la Manne. Ensuite, une guide nous a reçus (nous étions une petite dizaine) pour visiter la Fondation Cini. Cet ancien couvent bénédictin de Palladio est un havre de paix absolu. J'étais frappée par le silence de ce lieu, un silence sacré. Nous avons traversé le labyrinthe des haies, baptisé Borgès en hommage au célèbre écrivain argentin, puis les deux cloîtres magnifiques avec des cyprès au milieu. L'escalier monumental donnait sur le réfectoire des moines et ensuite, j'ai vu les deux bibliothèques de la Fondation. La première, la Longhena, se compose de meubles d'époque, surmontés de statues en bois sculpté. L'autre, une bibliothèque historique, la Manica Lunga, possède plus de 15 000 livres d'art, d'histoire et de culture sur la civilisation vénitienne. En tant qu'ancienne bibliothécaire, je ne peux qu'admirer ces temples du savoir, si beaux, si sereins dans un décor de rêve. Je m'imaginais travaillant dans cet espace préservé des dégâts de la modernité sans âme. Venise recèle des trésors cachés et cette Fondation Cini avec ces cloîtres et ses bibliothèques patrimoniales mérite vraiment le détour mais chut, il ne faut pas trop le clamer fort. Laissons ce lieu sacré loin de la foule des touristes... 

mercredi 3 avril 2024

Escapade à Venise, de San Marco à Santa Croce

 Deux manières efficaces pour visiter la cité lacustre : la marche et le vaporetto ! Un plaisir sans fin de marcher dans tous les quartiers de Venise en prenant le vaporetto à l'arrêt Académia ou Zaterre. Près du Campo San Tomàs, je suis allée saluer un de mes musiciens préférés, le sublime Monteverdi (1567-1643), enterré dans l'église de Santa Maria Gloriosa dei Frari. La tombe en marbre est toujours fleurie ! Dans une chapelle, un Tryptique des Frari de Giovanni Bellini (1430-1516) montre une niche aux mosaïques dorées avec une perspective de grande profondeur. Un peu plus loin, j'ai traversé cette sacré Piazza San Marco envahie de touristes attendant en file indienne leur visite de la basilique. Le Palais des Doges attire aussi la foule, un lieu incontournable comme la vénérable mais moins belle que cet édifice gothique, la métallique Tour Eiffel ! Sur la place, des travaux en cours confisquaient la perspective de ce lieu mythique, admiré du monde entier. J'ai lu dans la presse locale qu'il fallait remplacer les pavés et sous ces pavés, les ouvriers avaient découvert des ruines datant du Moyen Age. En passant devant le café célèbre, le Florian, j'ai remarqué l'orchestre traditionnel qui donne à la piazza un air vraiment baroquissime. Cette traversée amusante de la foule euphorique entre la Basilique et le Café Florian demeure toujours une tradition inévitable. Le lendemain, mon programme concernait des églises dans le quartier du Rialto : San Giovanni Elemosinario, San Giacomo di Rialto pour les plus intéressantes. Mais le "must" du quartier Santa Croce se nomme la Ca'Pesaro, un musée passionnant dans un palais du baroque vénitien. J'ai revu avec un grand plaisir des peintres que j'apprécie tout particulièrement comme Morandi, Casoratti, Bonnard, Klimt, Rodin, De Chirico. Peu de visiteurs dans ce musée si important pour l'art moderne. Dans ce même quartier, j'ai terminé mon exploration dans l'église San Giacomo Dall'Orio dont le plafond a la forme d'une carêne de bateau. J'ai déniché des tableaux de Véronèse, de Lotto et de Palma le Jeune. Dans un vaporetto, alors que j'observais des jeunes lycéennes françaises s'autophotographier pour leurs réseaux, je discutais avec l'une d'entre elles, assise à côté de moi. Cette jeune fille bien sage riait avec moi du comportement de ses copines de classe. Elle m'a raconté qu'elle passait son bac et voulait réussir le concours de l'Ecole des Chartes pour devenir conservateur de bibliothéque. Elle adorait le latin et j'étais heureuse d'apprendre que le monde des bibliothèques l'attirait ! A Venise, les vaporettos sont des lieux de rencontre ! 

mardi 2 avril 2024

Escapade à Venise, le Dorsoduro

Le quartier Dorsoduro est toujours mon lieu de prédilection. L'appartement sur les Zattere donnait sur le canal de la Guidecca, large de 400 mètres. Le matin, j'ouvrais les volets et devant mes yeux, commençaient le ballet des mouettes rasantes et la noria des ferries, des vaporetti, des péniches. L'église des Gesuati (appelé aussi Santa Maria del Rosario) se situait à dix mètres de l'appartement et j'entendais les cloches de cette église baroque du XVIII avec le plafond peint par le minutieux Tiepolo. J'ai visité évidemment ce lieu si cher à Philippe Sollers. En plus de Tiepolo, une remarquable toile du Tintoret sur la Cruxifiction du Christ se distingue des autres dans les chapelles. Le vendredi, le soleil inondait la ville. Le canal de la Guidecca se transformait en large ruban ondoyant avec des reflets argentés. Comment explorer Venise pour la quatrième fois ? En découvrant des lieux nouveaux, quartier par quartier en évitant les plus fréquentés. De la Punta de la Dogana à la Station maritime, j'ai exploré le Dorsoduro en présence des mouettes qui m'accompagnaient sans cesse. En s'éloignant du quai, j'ai découvert plusieurs églises fabuleuses : la Chiesa di San Sebastiano où est enterré Véronèse, la Chiesa dell'Angelo Raffaele, la Chiesa di Carmini sans oublier celle de San Nicolo dei Mendicoli. Dans chaque édifice religieux, un trésor m'attendait : un rétable de Lorenzo Lotto, un cycle de Véronèse, un Guardi, pour les plus connus.  Dans le Squaro di San Traverso, j'ai observé un atelier de réparation des gondoles en activité depuis le XVIIe siècle ! J'ai vu quelques employés calfater ces embarcartions symboles de Venise. Les "fondamenta", ces espaces pavés le long des canaux, ressemblent à des labyrinthes mineraux où le regard se pose sur un vieux palais, une église, des terrasses en bois sur les toits et soudain, un campo (Philippe Sollers évoquait celui de San Agnese) avec un arbre, un étal de fruits et légumes, un kiosque à journaux et des trattoria succulentes. Sur le campo San Agnese, des enfants jouaient au ballon. Et chaque fois, un certain silence, la présence de l'eau canalisée, le ciel bleu, des mouettes dansantes, une vie tranquille hors d'une modernité agressive et fatigante (entre Paris et Venise, quelles différences !). Le Dorsoduro abrite aussi le musée de l'Académie et la Salute, une église baroque magnifique qui porte sur ses flancs plus de 125 statues et quand on entre dans son sein, le Titien, Palma le Jeune, le Tintoret nous tendent les bras ! Les anciens locaux de la Punta de la Dogana abrite le musée d'art contemporain de François Pinault. Quand je prenais le vaporetto pour me rendre à la Guidecca, je contemplais la rive du Dorsudoro composée de palais certains modestes, d'autres plus sophistiqués, et les églises toujours présentes, et ces deux entités architecturales symbolisaient la grande Histoire de la ville marine formant un décor de théâtre, un théâtre mouvant, vibrant, illuminé par le soleil vénitien et patiné par les siècles. 

lundi 1 avril 2024

Escapade à Venise, le Grand Canal

 Je suis partie à Venise en cette fin du mois de mars pour retrouver la sérénité de la Cité des Doges. Alors que des milliers de touristes se massent sur la Piazza San Marco et dans le quartier du Rialto, il suffit de faire quelques pas d'écart pour que la foule s'estompe et disparaisse subitement. Venise recèle de lieux déserts et silencieux dans le Dorsoduro, le Cannaregio, le Castello. Je recherchais ces havres de paix lors de mon séjour et miracle, avec l'aide de mes guides culturels, j'ai visité en particulier une vingtaine d'églises qui recélent des trésors artistiques. L'arrivée en bateau de la société Alilaguna permet déjà une approche picturale. Quand apparaît le Campanile, le Palais des Doges, la Salute et la Punta della Dogana, mon coeur s'est emballé face à cette beauté plus que millénaire. La magie de voir Venise en arrivant en bateau reste un moment de grâce. Cette route maritime plantée de piquets en bois avec des mouettes et des cormorans perchés sur ces balises ressemble à un chemin d'eau unique dans son genre. Une fois arrivée sur les Zattere, dans le Dorsudoro, l'appartement loué se situait à deux pas de l'embarcadère. Les valises posées, la première chose à faire en cette fin d'après-midi : prendre le vaporetto à l'arrêt Academia et remonter le Canal Grande pour admirer pendant quatre kilomètres les palais gothiques et Renaissance qui défilaient devant mon regard : le Palazzo Dario, le Ca Rezonnico, le Ca Foscari, le Grimani, le Ca d'Oro : la "Plus belle avenue du monde". Je ne peux pas tous les énumérer car ces 170 édifices datant du XIIIe au XVIII siècle sont transformés en musées, en institutions administratives, en hôtels particuliers. Ils symbolisent la richesse et la puissance de la vieille cité. Cette balade provoque le syndrôme de Stendhal, un choc esthétique. Gondoles, bateaux taxis, bateaux de livraison, ambulances, police, toutes ces embarcations se partagent en toute bonne entente ce canal d'à peine 70 mètres de large et de cinq à dix mètres de profondeur ! Pour visiter Venise, il faut évidemment connaître les lignes des vaporettos, le métro vénitien à ciel ouvert et à la bonne odeur marine. Ici, pas de routes, pas de pistes cyclables, pas de troittoirs, pas de feux rouges, de camions, de voitures, de motos mais des voies d'eau, des canaux, des campos, des ponts, des rios, des ruelles et des impasses. Cette présence permanente de l'eau m'enchante car j'ai vécu jusqu'à mes trente ans près de l'Adour et près de l'Océan atlantique et ces souvenirs aquatiques de jeunesse réactivent ma mémoire profonde. A Venise, je rajeunis de quelques décennies !