lundi 15 juillet 2024

"Le Rivage des Syrtes", Julien Gracq, 1

 J'avais demandé à l'ensemble des lectrices de l'Atelier Littérature quel était la lecture la plus marquante depuis des années et j'ai relaté dans ce blog leurs préférences. J'ai moi-même évoqué "Le Lambeau" de Philippe Lançon, un témoignage littéraire sur le tragique attentat terroriste (trop vite oublié, hélas) contre des journalistes de Charlie Hebdo en 2015. Mais j'avais hésité car un roman de Julien Gracq, "Le Rivage des Syrtes", m'avait impressionnée alors que j'avais une vingtaine d'années. J'avais à l'époque traversé ces pages avec une attention toute admirative sur le style gracquien sans bien comprendre les enjeux du livre. Comme j'ai conservé cet ouvrage dans ma bibliothèque, je l'ai relu récemment et mon admiration a conservé toute son intensité après ma deuxième lecture. Publié en 1951 chez l'éditeur José Corti (une année faste en littérature avec aussi la publication des "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar et "Le Hussard sur le toit" de Jean Giono), le roman de Julien Gracq se distingue totalement des nouveautés de l'époque quand Sartre, Camus, Beauvoir régnaient en maître. L'existentialisme était plus à la mode qu'un roman de Gracq ! Cet OVNI des lettres françaises se situe dans une époque et dans une région du monde non identifiées. Le héros se nomme Aldo et il est issu d'une des plus vieilles familles de la Seigneurie d'Orsenna, une république fictive qui ressemble à Venise. Le jeune homme est envoyé comme "observateur" dans une forteresse des provinces du sud sur le rivage des Syrtes. Cette région éloignée se situe en face du Farghestan, pays imaginaire mystérieux et ennemi d'Orsenna depuis trois cents ans. Pourtant, une paix précaire dure toujours entre les deux contrées. Cette forteresse joue un rôle majeur dans l'imaginaire poétique du jeune Aldo qui partage la vie des officiers et surtout de son capitaine Marino, un vieux militaire blasé et sceptique. Le jeune homme retrouve une femme dont il était amoureux à Orsenna. Elle vit à Maremma près de la forteresse. Pour rompre son ennui, il entame une nouvelle relation amoureuse avec Vanessa Aldobrandi. Cette femme, fantasque et rebelle, est la digne héritière d'une famille dont l'un des ancêtres avait trahi la cité d'Orsenna en s'alliant avec le Farghestan. Aldo se laisse influencer par le charisme de Vanessa, attirée par la transgression et par la désobéissance. Le jeune homme se réfugie souvent dans la salle des cartes où il observe la situation géographie du pays ennemi. Surgit en lui le désir de savoir, de franchir la limite, la frontière entre Orsenna et le Farghestan : "Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l'avertissement nous parvient, où dès l'éveil résonne pour nous, à travers une flânerie désoeuvrée qui se prolonge, une note plus grave, comme on s'attarde, le coeur brouillé, à manier un à un les objets familiers de sa chambre à l'instant d'un grand départ. Quelque chose comme une alerte lointaine qui se glisee jusqu'à nous dans ce vide clair du matin plus rempli de présages que les songes". (La suite, demain)