Hélène Gaudy analyse ce besoin paternel des collections dont des flacons de sable qu'il ramassait dans ses voyages : "Accumuler, c'est le contraire d'habiter. C'est combler le moindre espave vide jusqu'à s'exclure soi-même, jusqu'à se remplacer". Son père lui confie des carnets d'adolescence et de jeunesse et elle intègre dans son récit, des fragments de son écriture : son enfance à Chartres, à Caen, son service militaire en Algérie. Avant la naissance de sa fille, Jean-Charles et sa femme ont traversé la France en scooter, ont voyagé dans le monde. Dans les traces qu'elle recherche, elle trouve une photo de son grand-père paternel. Un premier récit d'un passé lointain dévoile la vie de ses grands-parents, engagés communistes dans la Résistance. Lui s'évadera d'un camp et son père, petit garçon, devra se taire au cas où il serait interrogé. Première manifestation de son silence. Sa démarche d'exploratrice intérieure se dérobe sans cesse. Son père ne se dévoile pas : "Il est encore là, il n'a pas disparu, il est juste un peu plus loin devant. Il se noie dans la brume, il martèle la neige, je me dépêche. Je cherche à créer une archive du présent". Un père "puzzle", un père de "papier". Seules, les archives personnelles peuvent raconter la vie de cet homme si singulier. Les photographies de famille révèlent aussi des secrets cachés. Un jour, la narratrice rend une visite à son grand-père à Menton qui ne reçoit plus personne. Sa solitude volontaire donne une clé de compréhension pour son père. Il accumulait lui aussi des remparts d'objets autour de lui. Un fouillis de lettres, de comptes, de relevés, d'articles de presse. Un maniaque du trop plein. La narratrice raconte ses parents, leur rencontre, leur vie d'avant sa naissance. Elle perçoit peut-être une vérité sur son père, un homme enfant : "le devoir de rester, toute sa vie, au seuil de son enfance comme d'un lieu où on a oublié quelque chose et qu'on ne peut quitter". Au fond, son enquête s'avère impossible. Il faut accepter qu'un proche pourtant si familier conserve une part d'inconnu. Hélène Gaudy admire ce père présent-absent, cet homme solitaire-solidaire, et la seule leçon qu'elle tire de cette enquête porte sur la notion de famille : "Chaque famille est une île, un écosystème, enrichi ou perturbé par les espèces invasives, une ile dont le tréfonds repose au fond de l'eau". L'écrivaine offre une réflexion profonde, poétique des relations familiales, une "psychogénéalogie" passionnante. Et son dernier message ressemble à un art de vivre. Son père lui dit simplement : "Regarde". Et Hélène Gaudy cultive cet art du regard. La littérature n'est-elle pas un regard sur la vie ?