mardi 3 septembre 2024

"Les Derniers jours", Jean Clair, 2

 Jean Clair, enfant de parents modestes, doit toute sa vocation à l'école et en particulier à la bibliothécaire de son lycée qui lui a mis dans les mains un livre de Sigmund Freud, "Les essais de psychanalyse appliquée" : "Pareil livre était le sésame du monde qui s'ouvrait à moi et j'en partageais le secret avec ceux qui avaient envers la psychanalyse la même attirance, née de la même façon d'interroger les rêves et de supporter l'étrangeté qu'en naissant on apporte avec soi". Il rend compte de quelques uns de ses rêves dans ce journal intime hybride. Quand il prend sa plume comme historien d'art, il est d'une culture rare et profonde. Son analyse d'un tableau de Bellini à Venise m'a particulièrement interessée tellement j'apprécie cette oeuvre touchante de beauté et de bonté. Il évoque à plusieurs reprises le peintre slovène, Zoran Music, peu connu du grand public mais un immense artiste. Quelques chapitres sont consacrés à des thématiques esthétiques : la Pieta, le visage et l'autoportrait, la lumière de Bonnard. Jean Clair revient ensuite sur ses origines paysannes et ce monde rude a définitivement disparu : "Ils vivaient petit mais ils habitaient large". Sur la paysannerie, il s'écrie : "J'appartiens à un peuple disparu. A ma naissance, il constituait encore près de 60 % de la population française. Aujourd'hui, il n'en fait pas même pas 2 %". Il évoque ses parents avec amour et reconnaissance. Son texte fourmille d'anecdotes surprenantes : son goût pour les voyages en avion (très mal vu aujourd'hui), sa méfiance pour la notion de transparence, pour l'absence de frontières, pour un monde trop connecté ("La société comme un amas désormais fortuit de cellules identitiques"). L'écrivain voue un culte au singulier, à la différence, à l'unique comme beaucoup d'artistes. Il revendique cette liberté d'être loin de toute "socialisation" globalisante. Il parle évidemment des musées, son univers professionnel et paradoxalement, il rend un hommage vibrant aux musées d'histoire naturelle, en particulier au vieux Museum des jardins des plantes à Paris. Ces collections accumulées depuis des siècles portent la mémoire du monde. Evidemment, dans ce texte très littéraire, il s'agace des hordes de touristes dans les musées et son élitisme culturel peut déranger. Ce récit autobiographique d'une écriture somptueuse se termine en chant de cygne. Il ne comprend plus ce monde du XXI siècle car les siècles précédents lui convenaient mieux... Ce témoignage d'un homme tourmenté par la disparition de ses repères culturels a quand même vécu à l'abri de l'art et de la littérature. une immense consolation. 

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