mercredi 3 juillet 2024

"Instants de vie", Virginia Woolf, 2

 Le deuxième texte, "Esquisse du passé" a été composé en 1939 alors que Virginia Woolf allait se suicider deux ans plus tard. Elle écrit pour "se détendre" d'une biographie qu'elle a consacré à un ami peintre, Roger Fry. Il lui vient une première image concernant sa mère chérie quand elle partait avec sa famille à St. Ives, au bord de la mer : "Je le vois - le passé - comme une avenue qui s'étend derrière moi ; un long ruban de scènes et d'émotions. (...) Je remonterai au mois d'août 1890. Je sens qu'une forte émotion doit laisser sa trace ; et qu'il s'agit simplement de découvrir comment nous pourrions la suivre, de manière à revivre notre vie depuis son commencement". Elle évoque son enfance, son père, ""spartiate, ascète, puritain". Elle admirait pourtant cet homme, un patriarche austère et autoritaire mais d'une culture impressionnante. Ces souvenirs d'enfance forment une aura dans la pensée woolfienne à la manière de Marcel Proust qu'elle avait lu avec admiration. Puis, elle révèle un secret douloureux : elle a subi un inceste par son demi-frère, Gérald, un viol qu'elle n'a certainement jamais partagé avec sa famille. Elle écrit : "Cela prouve que Virginia Woolf n'est pas née le 25 janvier 1882, mais née des milliers d'années auparavant ; et qu'elle a dû affronter dès le début des instincts déjà acquis par des milliers d'aïeules dans le passé". Plus loin, dans ce texte autobiographique bouleversant, elle propose une digression sur sa propre psychologie avec les notions de "non-être" et "d'être" : "Chaque jour contient plus de non-être que d'être". Lire, écrire, regarder son jardin, observer la mer, deviennent des actes d'être alors qu'un quotidien répétitif, concret, se situe dans le non-être, une atmosphère de "ouate" sans prise de conscience du réel immédiat. L'écrivaine précise cette attitude créative et attentive au monde : "Le monde entier est une oeuvre d'art ; que nous participons à l'oeuvre d'art. (...) Nous sommes les mots ; nous sommes la musique ; nous sommes la chose en soi". Les chocs émotionnels se transforment en actes créateurs : "Je persiste à croire que l'aptitude à recevoir des chocs est ce qui fait de moi un écrivain". L'écrivaine revient sur sa mère en évoquant son chef d'oeuvre, "Promenade au phare" où elle lui rend un hommage mémorable. Virginia évoque la dernière phrase prononcée par sa mère à la veille de sa mort : "Tiens-toi droite, ma biquette". Ce tendre conseil est resté gravé dans sa mémoire. Un récit autobiographique dense, intense, intimiste. Un ouvrage à lire pour découvrir la matrice créatrice de son oeuvre, une enfance auprès d'une mère merveilleuse. 

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