mardi 9 juillet 2024

"Etre sans destin", Imre Kertesz, 2

Imre Kertesz raconte la montée de l'antisémitisme à Budapest : le regard méfiant des non-Juifs devant l'étoile jaune, un boulanger s'enrichissant à leurs dépens, le travail obligatoire sur le front, dans des camps, la réquisition pour les usines, l'interdiction de sortir après huit heures du soir, des rafles dans les trajets quotidiens. Quand le jeune narrateur pénètre dans le camp de concentration, il s'aperçoit que les nazis donnent du savon pour passer dans les douches. On connaît la suite inimaginable des chambres à gaz. Puis il reste dans le camp, plus son corps devient son propre ennemi. La faim atroce, la soif permanente, l'apparition de phlegmons, une extrême maigreur. En fait, il se laisse mourir. Comme il est très malade, il est transféré à l'infirmerie du camp. Le narrateur retrouve son humanité grâce aux "triangles rouges", des déportés résistants qui lui redonnent son nom et son identité. Une des scènes les plus poignantes du récit concerne la pendaison de trois juifs lettons évadés et repris par les nazis. Tout le camp murmure, après le rabbin, le Kaddish, la prière des morts. Quand le camp est libéré, le jeune narrateur retourne à Budapest. Son père est mort à Mauthausen. Sa belle-mère s'est remariée avec le contremaître de l'entreprise familiale. Il retrouve des voisins qui lui conseillent de "tourner la page", mais il s'insurge contre ce conseil : "Ce n'était pas mon destin, mais c'est moi qui l'ai vécu jusqu'au bout. (...) On ne pouvait jamais recommencer une autre vie, on ne peut que poursuivre l'ancienne (...). Il m'est impossible de n'être ni vainqueur, ni vaincu, de n'être ni la cause, ni la conséquence de rien. Je ne pouvais pas avaler cette fichue amertume de devoir n'être rien qu'un innocent". Cette confidence terriblement lucide résume le sentiment d'Imre Kertesz sur son expérience concentrationnaire. Le jury du Prix Nobel a expliqué le choix de l'écrivain hongrois : "Pour une écriture qui soutient la fragile expérience de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'histoire". Toute son oeuvre est nourrie de cette tragédie fondamentale, l'holocauste, et au-delà de cette catastrophe, l'absurdité du monde, les dégâts du totalitarisme communiste, la solitude de l'individu. Depuis que j'ai lu cet ouvrage essentiel sur la Shoah, je vais poursuivre ma découverte de cet écrivain hors norme, un héritier d'Albert Camus, de Becket avec la sobriété de son style, la distance ironique, son questionnement sur les horreurs de l'histoire contemporaine. Il faudrait mettre au programme des lectures lycéennes, "Etre sans destin", une obligation morale et civique pour combattre l'antisémitisme actuel. Cet écrivain majeur du XXe siècle a choisi la littérature pour dénoncer la noirceur de l'humanité, le problème du Mal. Evidemment, ce n'est pas une lecture légère et estivale mais, la littérature "n'est pas un long fleuve tranquille". 

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