vendredi 4 janvier 2019

"L'eau qui passe"

Frank Maubert, spécialiste de l'art et écrivain, vient de publier un roman, "L'eau qui passe" chez Gallimard. Dès la première phrase, le narrateur décrit son "Ithaque" : "J'ai tout de suite aimé cette maison au bord de la rivière et je l'ai choisie pour sa proximité immédiate de l'eau". Je savais que je l'habiterais à l'exclusion de tout autre lieu. Et que j'y écrirais". Ce refuge, sa maison, baptisée Chêne-Bleu, se niche au milieu d'une nature, arborée de peupliers, de frênes, d'aulnes où il se ressource sans cesse. Ce paysage permet au narrateur de se souvenir de son enfance car il a été confié à un couple d'émigrés, Irmina, d'origine polonaise, et Anselm, ouvrier agricole allemand. Ils habitaient une maisonnette à Provins. Avec ses parents adoptifs, il participait aux travaux des champs, pêchait avec son père, se promenait dans les bois, et s'initiait à une vie simple et modeste. A sept ans, une femme, sa mère naturelle, vient le chercher et l'arrache à son foyer. Le jeune garçon ne reçoit aucun geste d'amour, de tendresse et sa mère, cette inconnue, le conduit directement chez ses grands-parents qui vont s'occuper de lui pendant six ans. Sa mère lui déclare qu'il ressemble à son père sans donner des explications. Elle revient le chercher pour l'installer à Nanterre dans son petit appartement. Les relations avec cette femme dure et acerbe ne s'améliorent guère. La figure du père reste un secret qui empoisonne leur lien familial. Le narrateur apprendra très tard que ce père mystérieux était le complice de Jacques Mesrine, le célèbre gangster des années 70. Il fut emprisonné et libéré, devenant un détective privé. Le narrateur n'établira aucun contact avec cet homme marginal. Malgré cette absence cruelle d'un père et l'indifférence d'une mère, le narrateur se construit grâce à l'art et à la présence constante de la nature. Cette maison le soigne d'une enfance ratée et quand sa mère vient le retrouver pour enfin amorcer une explication tant attendue, il la renvoie sèchement chez elle : "On ne rejoue pas une enfance, on ne reconstruit pas sur des cendres. Après coup, j'ai bien eu conscience que je l'avais atteinte d'un poing de pierre." Ce beau roman-récit autobiographique ressemble à un journal intime apaisée malgré les souffrances d'un adulte en mal d'enfance. Frank Maubert évoque aussi la révélation de l'art dans sa vie et ses nombreuses rencontres avec des artistes. Un livre sensible, émouvant et d'une écriture somptueuse. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire