vendredi 21 novembre 2014

"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier"

Quand un écrivain comme Patrick Modiano choisit une phrase de Stendhal en exergue ("Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que l'ombre"), le lecteur(trice) ressent la même impression quand il(elle) ouvre la première page d'un roman modianesque comme un éternel recommencement. En ces temps fous de vélocité, de non-perte de temps, de compétitivité, de rendement, se lover dans la prose de Modiano est un pur délice... Le narrateur, Jean Daragane, reçoit un coup de téléphone : l'interlocuteur a retrouvé son carnet d'adresses qu'il avait perdu et il veut lui remettre en mains propres. Cet écrivain sexagénaire vit seul, lit sans fin Buffon, se sent quelque peu hors circuit. Pourtant, ce carnet perdu va déclencher un retour vers un passé confus, brouillardeux et peut-être fantasmé. Un "certain" Gilles a repéré un "certain" Guy Torstel dans ce carnet. Cette rencontre va provoquer une enquête sur une femme, un peu marginale, très mystérieuse qui aurait joué un rôle de mère de remplacement auprès du jeune Jean. L'intrigue du roman repose sur un fil conducteur concernant ce personnage nébuleux. Le narrateur nous entraîne dans un labyrinthe parsemé de trous noirs, d'imprécisions, de recherches vaines. Et, je ne peux pas résister à citer cette phrase rencontrée à la page 70 : "Ecrire un livre, c'était aussi, pour lui, lancer des appels de phares ou des signaux de morse à l'intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu'elles étaient devenues". Le charme "proustien" de Patrick Modiano opère à merveille tout au long de son œuvre abondante. Le prix Nobel de littérature a vraiment eu une excellente idée en couronnant cet écrivain obsédé par le passé et essayant désespérément de le retrouver, sans succès. J'ai remarqué qu'une gardienne d'un musée de Madrid était plongée dans un Folio de Modiano... Cela m'a fait vraiment plaisir de constater son succès... international. Et son dernier roman au titre révélateur : "pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" diffuse la musique nostalgique d'un Paris disparu et recréé grâce à la magie de l'écriture.

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