Dans mon programme parisien, je n'oublie jamais la nécessité de la marche, un moyen de locomotion le plus efficace pour apprécier la capitale. Je ne compte plus les milliers de pas que cette ville implique et je ne ressens pas trop la fatigue comme s'il me poussait des ailes dans le dos. Le regard aux aguets est toujours en alerte pour admirer les monuments, les rues, les boulevards, la cité, les quais, les places sans oublier les passants, les touristes, les parisiens. Comme mon hôtel se situait dans la rue des Bons Enfants, je pouvais arpenter le jardin des Tuileries que j'aime tout particulièrement. En 1519, François 1er avait choisi ce vaste terrain occupé par des fabriques de tuiles, d'où son nom pour construire une résidence. Mais, ce projet n'a pas vu le jour et Catherine de Médicis aménagea un palais, les Tuileries, au milieu d'un jardin florentin. En 1664, André Le Nôtre, créateur des jardins royaux de Versailles, est chargé par Louis XIV de redessiner le parc. Le peuple pouvait s'y rendre une fois par an ! A cette époque, je n'aurais pas pu me balader dans ce lieu merveilleux... Les bassins attirent évidemment ma présence car peuplés de mouettes, j'assiste à un bal permanent et j'ai même aperçu un héron, (un vrai pas un faux) au milieu d'une brochette de mouettes. Les statues me réjouissent la vue et je capte souvent mes volatiles grimpées sur elles. De l'arche du Carroussel à la Place de la Concorde, la perspective enveloppe mon esprit et me plonge dans une rêverie où je croise tant de fantômes. Même au mois de décembre où les arbres sont défeuillés, le paysage conserve sa beauté multiséculaire. Je me balade aussi dans le Jardin du Palais royal et là je croise de temps en temps ma Colette, qui a vécu dans ce lieu magique. Des chaises "littéraires" sont dispersées dans le jardin et j'aime lire les citations choisies. Une m'a charmée, celle d'Emily Dickinson, la poétesse américaine : "Que c'est bon d'être en vie ! Que c'est infini - d'être" ! A deux pas du Palais royal, j'ai traversé les Passages Colbert et Vivienne, des espaces couverts où nichent des restaurants, des commerces de luxe et surtout la plus vieille librairie de Paris, la librairie Jousseaume, fondée en 1826. Ma déambulation m'a conduite jusqu'à la rue de Richelieu et j'ai effectué un pélerinage professionnel pour revoir la Bibliothèque nationale avec la Salle ovale et celle de Richelieu. Quand on a été bibliothécaire pendant presque trente ans, le métier colle à la peau...
des critiques de livres, des romans, des moments de lectures, des idées de lecture, lecture-partage, lecture-rencontre, lectures
vendredi 26 décembre 2025
mardi 23 décembre 2025
Escapade à Paris, Georges de La Tour au Musée Jacquemart-André
Je me renseigne régulièrement sur les expositions parisiennes et j'ai remarqué celle du Musée Jacquemart-André, consacrée à Georges de La Tour (1593-1652). Ce peintre lorrain n'a été découvert qu'au début du XXe siècle par un historien d'art allemand. Né dans une famille de boulangers, il sera le peintre du roi Louis XIII et sera logé dans le Louvre. Il reviendra dans sa région natale à la fin de sa vie à Nancy. Le Musée, un de mes préférés à Paris, propose une trentaine de tableaux où ses clairs-obscurs d'une grande intensité dominent la tonalité globale. Les spécialistes ne savent pas s'il a voyagé en Italie car ses scènes intimistes et religieuses rappellent l'univers pictural du Caravage. Quand je me suis retrouvée devant ses toiles malgré la fréquentation dans les salles, j'ai tout de suite été séduite et fascinée par un élément essentiel : "une utilisation unique de la lumière". Des bougies illuminent ses toiles et donnent une dimension intime aux personnages, souvent issus du peuple commme des musiciens aveugles, des vieillards et des paysans. J'ai remarqué des scènes nocturnes à la chandelle parmi lesquelles "La femme à la puce", "Les Joueurs de dés", "Job raillé par sa femme". Cette flamme "s'impose alors comme sujet central de ses oeuvres du "Nouveau-Né" à la "Madeleine pénitente". Je pensais au très beau livre de Gaston Bachelard, "La Flamme d'une chandelle" qui m'avait enchantée quand je l'ai lu dans ma jeunesse. Il est temps de le relire après cette redécouverte de la flamme-lumière de Georges de La Tour. Bachelard écrit dans son ouvrage "lumineux" : 'Un être se rend libre en se consumant pour se renouveler, en se donnant ainsi le destin d'une flamme". Dans les tableaux du peintre lorrain, la lumière de la bougie donne une "intensité à la fois poétique, fragile et intemporelle". Après cette visite, j'ai revu avec un grand plaisir esthétique la salle Florence au rez-de-chaussée du musée où j'ai retrouvé et admiré mes chers amis italiens : Carpaccio, Botticelli, Mantegna, Signorelli et Bellini ! Un festin de reine. Après cette belle exposition, j'ai commandé chez un libraire un ouvrage épuisé de Pascal Quignard sur Georges de La Tour. Une prolongation heureuse de cette visite à la bougie...
lundi 22 décembre 2025
Escapade à Paris, "Les Mondes de Colette" à la Bibliothèque Nationale de France
Je me suis offert une petite escapade à Paris la semaine dernière. Au menu de ces trois jours, des expositions et un concert de Philippe Jaroussky au Théâtre des Champs Elysées. J'avais envie de voir "Les Mondes de Colette" à la Bibliothèque Nationale de France que l'on peut voir jusqu'au 22 janvier. Pourquoi cette grande institution a-t-elle proposé de mettre à l'honneur l'une des voix les plus originales et les plus singulières de la littérature française ? Une des commissaires de l'exposition tente une explication : "L'oeuvre de Colette, souvent qualifiée de très classique, aurait pu être écrasée par la deuxième partie du XXe siècle, mais, elle continue cependant à nous parler dans sa capacité à traiter beaucoup de sujets comme l'amour avec une grande liberté et sans jamais donner de jugement moral". J'ai donc découvert plus de 300 documents (photographies, manuscrits, publications, films, tableaux) en cinq thématiques : "Souvenirs sensibles', 'Le monde", "S'écrire", "Le temps" et "La chair". Colette et son enfance merveilleuse avec une mère exceptionnelle qui lui apprend un mode d'être : "regarde, contemple, savoure le fait d'être vivante". Colette et ses amours libres après son divorce avec son premier mari, Willy, l'usurpateur. Colette et l'amitié avec sa cour féminine fidèle et ardente. Colette et son écriture autobiographique, une langue française patrimoniale, vivante, vibrante. Colette et sa vigoureuse vieillesse, vaincue par une arthrite de la hanche, mais toujours combattante. Je salue avec admiration son esprit de liberté, son accent bourguignon, son amour de la musique, de la nature et des animaux. Autour de l'exposition, la BNF organise des manifestations, des tables rondes, des lectures à voix haute. A mes yeux de "fan" de l'écrivaine, je ne pouvais que saluer cette initiative et cela m'a permis de revisiter cette bibliothèque à l'architecture monumentale et impressionnante sous la forme de quatre livres ouverts sous le ciel de Paris. J'avais organisé une visite approfondie de ce monument livresque dans les années 90 avec une cinquantaine de bibliothécaires de Rhône-Alpes. Pour les provinciales que nous étions, cette bibliothèque gigantesque nous fascinait. J'ai donc revu avec plaisir ce lieu unique et j'ai pensé à la citation de Borgès, l'argentin : "J'ai toujours pensé que le paradis est une sorte de bibliothèque". J'ai donc franchi les portes d'un paradis avec ses seize millions de livres et d'autres documents. Colette avait toute sa place dans ce lieu mythique et les dieux qu'elle a certainement rencontrés doivent savourer sa présence...
lundi 15 décembre 2025
Atelier Littérature, les coups de coeur
Agnès a présenté "Les Guerriers de l'hiver" d'Olivier Norek. Un roman palpitant, selon notre amie lectrice, qui a découvert un aspect de la Deuxième Guerre mondiale entre l'URSS et la Finlande. Un peuple se dresse contre l'ennemi, et parmi ces soldats, un snipper, appelé Simo, un David finlandais contre un Goliath russe. Une légende est née. Mylène a beaucoup aimé le dernier roman de Leonor de Recondo, "Marcher dans tes pas", publié cette année chez l'Iconoclaste. La narratrice raconte la vie de sa grand-mère, Enriqueta, en août 1936. D'Irun à Hendaye, il faut vite fuir l'armée franquiste et quitter sa maison familiale en laissant tout derrière elle. Leonor de Recondo rend hommage à cette femme courage et sa petite-fille, née française, demande la nationalité espagnole pour tourner la page terrible de la guerre civile en Espagne. Le regard poétique de l'écrivaine sur cette grand-mère exceptionnelle est une belle découverte pour Mylène et pour les amies lectrices qui le liront certainement. Marie-Christine a lu un grand classique du XXe siècle : "Terre des hommes" d'Antoine Saint-Exupéry. Publié en 1939, le récit est un recueil de réflexions sur l'amitié, sur la mort et sur l'héroïsme à travers des évènements. En librairie, ce beau texte, illustré par Riad Sattouf, est publié chez Gallimard. Un beau cadeau à glisser sous le sapin de Noël. Geneviève a choisi comme coup de coeur un roman biographique sur Camille Claudel, "La Robe bleue", publié en 2004, chez Verdier. Le destin poignant de cette grande artiste ne peut laisser personne indifférent. Camille Claudel a passé plus de trente ans dans un hôpital psychiatrique près d'Avignon et son frère, Paul, l'écrivain, ne lui rend pas beaucoup de visites alors que Camille l'attendait en vain. Michèle Desbordes, avec son art si subtil de son écriture, a brossé un portrait émouvant de l'artiste et de sa descente aux enfers. Geneviève nous a donné envie de retrouver cette sculptrice de génie. Odile Ba a choisi "Un si beau diplôme" de Scholastique Mukasonga, née au Rwanda. La narratrice prend le chemin de l'exil pour échapper à l'identité hutu ou tutsi. Ce récit relate la lutte d'une femme à la "volonté inébranlable". Voilà pour les coups de coeur de décembre. Merci encore aux lectrices présentes ce jeudi et je donne rendez-vous le jeudi 22 janvier pour évoquer les liens de la musique avec la littérature. Tout uu programme !
samedi 13 décembre 2025
Atelier Littérature, Marie-Hélène Lafon, 2
Odile Ba a lu et apprécié plusieurs romans de Marie-Hélène Lafon dont "L'Histoire du fils", Prix Renaudot en 2020. André grandit dans la famille de sa tante, auprès de ses cousines. Sa mère l'a confié à sa soeur et le petit André est né de père inconnu. Ce petit garçon illumine la vie de sa famille d'adoption : "Il avait été comme une chanson vive, en dépit des ragots et de ce trou que creusait dans sa vie, l'absence d'un père". André va se marier et sa tante lui révèle le nom de ce père inconnu... L'écrivaine évoque le poids des silences familiaux. Geneviève a commenté "Les Sources", publié en 2023, son dernier roman sur le thème d'une famille depuis les années 60. Une femme de trente ans, mère de trois enfants, subit la domination de son mari, violent et méprisant. Elle supporte cette ambiance menaçante car elle vit dans une grande ferme assez cossue et il faut, lui dit sa mère, "tenir son rang". Trois époques se suivent dans ce roman dense, percutant : juin 67 du côté de la mère de la narratrice, mai 1974 du point de vue de son père et octobre 2021, Claire, la cadette de la fratrie revient dans cette ferme vendue. Une phrase résume ce roman intense : "Elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, avec les trois enfants, il les regarde à peine, mais il est leur père, il esr son mari et il a des droits". Heureusement, la mère va se réveiller et fuir cet ogre brutal. Ce roman, un des plus aboutis de l'écrivaine, a frappé Genevière par sa puissance narrative et par l'omniprésence de la violence intrafamiliale. Mylène a choisi un excellent ouvrage d'entretien, publié en 2019, "Le Pays d'en haut" entre Marie-Hélène Lafon et Fabrice Lardreau. L'écrivaine raconte sa vie, son pays d'en haut, le Cantal et l'influence de ses racines dans son oeuvre : "C'est un fond dont je ne me suis jamais départie et le travail d'écriture, depuis plus de vingt ans, m'y confronte constamment". Le récit présente aussi d'autres textes. La séquence "lafonienne" s'est donc achevée sur ce livre très intéressant pour comprendre l'univers romanesque de l'écrivaine. Geneviève a posé la question suivante : va-t-elle encore exploiter cette veine sur son Cantal dans son futur ouvrage ou changer de milieu ? Il faut donc attendre l'année prochaine pour lire son nouvel opus. Dans le panorama de la littérature contemporaine, Marie-Hélène Lafon s'impose comme une écrivaine importante avec son style ciselé pour décrire un univers romanesque très proche de nous.
vendredi 12 décembre 2025
Atelier Littérature, Marie-Hélène Lafon, 1
L'Atelier Littérature du jeudi 11 décembre s'est donc tenu dans le salon-bar, "Jetez l'ancre". Nous étions peu nombreuses car six amies lectrices n'étaient pas disponibles. J'avais choisi Marie-Hélène Lafon pour son talent d'écriture et pour la description quasi sociologique d'un monde disparu, celui des paysans du Cantal. Agnès a présenté "Nos vies", publié en 2017 chez Buchet-Chastel. La narratrice regarde et imagine la vie des autres, surtout celle de Gordana, une caissière dans une superette à Paris. Elle observe les clients dont un homme qui s'obstine à venir chaque vendredi matin. En parlant des autres, elle remonte le "fil de sa propre histoire". Agnès a éprouvé une certaine gêne quand l'écrivaine décrit le physique de Gordana mais elle s'est laissée emporter par le thème du roman, celui de la solitude dans les grandes villes. Marie-Christine a renoncé à poursuivre sa lecture. Trop triste, trop misérabiliste ? Elle a préféré de loin la biographie romancée de Cézanne, "Des toits rouges sur la mer bleue", publié en 2023. Elle a bien aimé l'ambiance familiale et amicale du récit dans la propriété du Jas de Bouffan avec les parents du peintre, le jardinier Vallier, le docteur Gachet, Flaubert et Zola. Et les silences aussi prennent aussi une place importante. Marie-Christine nous a lu le portrait du jardinier. Cet ouvrage sur Cézanne détonne dans l'ensemble des écrits "lafoniens" car il dégage une lumière et une chaleur que l'on ne retrouve pas toujours dans ses romans. Un beau récit à découvrir pour Cezanne et pour la Provence (ça change du Cantal) ! Odile Ba a lu "Les Derniers Indiens", publié en 2008 et, évidemment, elle a bien aimé ce huis-clos familial entre une soeur, la narratrice, et un frère muet, deux célibataires à la retraite. Lui garde le silence et elle, elle se parle à elle-même. Les voisins semblent mener une vraie vie en tribu et eux, sont sur le bord de la route. Tristesse, amertume, rancoeur, ces sentiments imprègnent les pages du livre et ce n'est pas toujours réjouissant à lire. En plus, Marie, la soeur qui pourrait vivre comme ses voisins, découvre l'horreur du geste de son frère sur sa jeune voisine, Alice. Ce roman d'une noirceur évidente peut décourager de nombreux lecteurs et lectrices mais, l'écrivaine possède l'art d'observer les "perdants" de la vie, les invisibles qui subissent une vie étriquée et restreinte. Elle pose un regard de sociologue littéraire sur ces "derniers Indiens" d'une terre austère et empêchée. A travers ses personnages solitaires et mal-aimés, elle révèle que la vie n'est pas toujours douce et sereine pour les "simples". (La suite, lundi)
jeudi 11 décembre 2025
"Le Bel Obscur" de Caroline Lamarche
J'ai lu par curiosité le roman de Caroline Lamarche, "Le Bel Obscur", publié au Seuil. Quand je pense qu'il a manqué de peu le Prix Goncourt, j'en frémis d'avance. Salué par la presse, "Le Bel Obscur" m'a vraiment quelque peu agacée. Deux histoires s'entremêlent sur le thème de l'homosexualité masculine. La narratrice, issue d'une famille bourgeoise de Liège, raconte son couple depuis trente ans. Elle s'est mariée avec Vincent, un homme charmant, adorable, et ils ont eu deux petites filles. Mais, elle est malheureuse car son Vincent qu'elle adore préfère les hommes. Il lui impose en douceur sa vie sexuelle et elle accepte de recevoir les amants de son mari. Parallèlement à cette vie de famille originale et fun, elle mène une enquête sur un ancêtre, Edmond, mort à trente ans au milieu du XIXe siècle. Evidemment, ce jeune homme, gommé de l'arbre généalogique, est certainement homosexuel car il ne s'est jamais marié. Il avait des amis dont son dernier compagnon, un artiste italien. La narratrice ressent une empathie certaine pour cet aïeul discriminé par sa propre famille. Et commence alors pour elle un travail psychologique sur cet attachement maladif envers son mari qui lui impose ses amants successifs. Sa tolérance envers le comportement de son mari dépasse l'imagination et leur pacte va durer plusieurs années jusqu'au départ de leurs filles adultes. Son masochisme lui fait tout accepter et de son côté, elle recherche des partenaires pour vivre aussi sa sexualité. Elle contacte le milieu homo pour trouver des réponses et elle se sent esseulée car aucune association ne s'occupe des femmes dont les maris sont homosexuels ! Ce roman soit disant intimiste ressemble à un texte plaintif qui se veut résolument moderne. Pourquoi pas légaliser la polygamie au fond ? La narratrice finit par se lasser de cette révolution sexuelle et se sépare de Vincent. Ouf, il lui a fallu beaucoup d'années pour se libérer de ses chaînes conjugales perverses. Sur ce thème, je préfère de loin le chef d'oeuvre de Marguerite Yourcenar, "Alexis ou le Traité du vain combat", un texte magnifique sur l'homosexualité, publié en 1929. Un écrit audacieux et lumineux à relire.
mardi 9 décembre 2025
"Le Boîtier mélancolique", Denis Roche
J'avais remarqué ce livre, "Le Boîtier mélancolique" dans un bac de la médiathèque, réservé à la vente des "désherbés". Je l'ai donc acheté pour la somme modique de trois euros. Le titre, déjà, m'avait attirée car le mot "mélancolique" me fait rêver. Je connaissais un peu l'auteur du documentaire, Denis Roche (1937-2015), photographe, écrivain et poète. Comme je m'intéresse à la photographie, j'ai tout de suite compris que ce livre serait passionnant à découvrir. L'auteur participe à divers mouvements littéraires d'avant-garde comme la revue Tel Quel, fondée par Philippe Sollers. Son métier d'éditeur se poursuit aux éditions du Seuil et il dirige sa propre collection de littérature contemporaine, "Fiction et Cie". Son influence dans le milieu littéraire lui ouvre les portes du jury du prix Médicis. En 1980, il crée "Les Cahiers de la photographie". Son ouvrage est une histoire de la photographie depuis ses origines en 1826. L'auteur a choisi cent photos qui, pour lui, représentent la génealogie photographique, de Niepce à Lartigue en passant par des grands photographes sans oublier des inconnus : "Je voulais faire le tour de ma table, aller ouvrir ma bibliothèque vitrée, sortir un appareil photo, n'importe lequel, dévisser l'objectif qui serait dessus et plonger mon regard dans le creux du boîtier à la recherche de ce trouble et de cette douceur que la mélancolie de cet art y met depuis le début". Denis Roche commente avec son talent de poète chaque photo choisie et il enseigne ainsi le don du regard et le jeu de la lumière. Des photographes m'étaient familiers comme Atget, Brassaï, Cameron, Cartier-Bresson, etc. Mais, que de noms inconnus et pourtant aussi passionnants que les plus célèbres ! Une photo m'a vraiment étonnée car il s'agit d'un paysage en 1930 que j'ai reconnu tout de suite : le lac du Bourget à Aix les Bains de Jacques-Henry Lartigue. Denis Roche analyse cette photographie : "Et puis, il y a des bonheurs de l'image comme il y a des bonheurs d'écriture". Il ajoute aussi : "C'est le silence qui est dit, qui est montré et qui s'exprime". A partir de cette image, j'avais envie de connaître cette femme assise dans un fauteuil, ces deux garçons en maillot de bain sur le ponton. La photographie déclenche la rêverie, une réverie mélancolique. Ce livre a reçu le prix André Malraux décerné à une création artistique. Je remercie le ou la bibliothécaire qui a remis ce livre en vente. Je l'ai adopté définitivement et c'est un fleuron de ma bibliothèque !
lundi 8 décembre 2025
"Les Derniers indiens", Marie-Hélène Lafon
"Les Derniers indiens" de Marie-Hélène Lafon, publié en 2008 chez Buchet-Chastel, ressemble au pays natal de l'écrivaine pendant l'hiver : âpre et rugueux. Les deux personnages du roman, un frère et une soeur, tous les deux célibataires esseulés, représentent les "derniers Indiens" : "Les Santoire vivaient sur une île, ils étaient les derniers Indiens, la mère le disait chaque fois que l'on passait en voiture devant les panneaux d'information touristique du Parc régional des volcans d'Auvergne, on est les derniers Indiens". La famille Santoire a vécu sa propre fin car il n'y a plus d'enfants pour prendre la relève. Marie raconte leur vie quotidienne, morose et triste, sans surprise et sans projet. Par contre, elle observe les voisins qui forment une tribu bruyante, joyeuse, arrogante aux yeux de la narratrice. Marie au fond les envie et les jalouse. Cette vie tonitruante de ces voisins la nourrit et la fascine. Isolés et solitaires, la fratrie vit dans une attente sans espoir. La tribu "Lavigne" s'adapte aux temps nouveaux, se modernise, entreprend, suit la mode du jour, "tous sur le même modèle". Ils finiront par engloutir les terres des Santoire. Sur ces "plateaux mangés de vent vide sous le ciel énorme", la narratrice décrit avec son regard scalpel leur réel, tissé d'ennui et de silence. Marie revient sur sa mère, impériale et castatrice qui "empêchait tout". Le fils aîné, Pierre, a quitté la ferme pour travailler en ville mais il est revenu au pays pour mourir d'un cancer. Un autre drame a surgi dans le passé de Marie. Une jeune fille, Alice, leur voisine, a été retrouvée morte dans les bois des environs. Sa mort reste un mystère. Marie, à force de ruminer ses pensées, se rapproche de sa mère : "Ses propres ruminations répondaient à celles de la mère, étaient du même sang, faisaient pendant, muettes, gratuites, incongrues". Quand Marie va ranger les armoires de la maison, elle va découvrir un objet qui va bouleverser sa vie. Et les voisins, à ses yeux, poursuivent leur conquête de l'espace : "Les voisins auraient tout. Ils feraient fructifier. Le temps passait pour eux. Elle se sentait à côté d'eux comme un insecte". Ce roman évoque la fin d'un monde paysan, symbolisé par ce frère et cette soeur, démunis et absents à eux-mêmes. Le rôle mortifère de la mère a provoqué des ravages psychologiques sur ses enfants. Marie-Hélène Lafon décrit le déclin de cette famille paysanne, inadaptée et impuissante à vivre. Le texte, servi par un style ciselé et percutant, possède des aspects d'une tragédie grecque.
vendredi 5 décembre 2025
"Douce menace", Lea Simone Allegria
J'avais repéré ce roman, "Douce menace" de Léa Simone Allegria, dans une rubrique littéraire d'un hebdomadaire. Le personnage central du roman s'appelle Michele Merisi, dit Le Caravage. Comme j'aime beaucoup ce peintre "maudit" dont les toiles fascinent dès qu'on les voit à Rome, à Paris au Louvre et dans divers musèes de la planète, j'ai donc lu ce roman très italien, publié chez Albin Michel. Lea Simone Allegria (française d'origine italienne) possède une solide culture artistique et pourtant, plus je lisais ces pages, plus je m'ennuyais tellement le roman étale des paragraphes sortis des guides touristiques sur Rome. Deux histoires cohabitent : un couple de "bobos" parisiens. Lui est un écrivain connu, Nino Malaval, invité à débattre dans la très chic librairie Stendhal. Sa maîtresse, Alba, le rejoint dans son hôtel de luxe avec un tableau du Caravage, le "Bacchus malade". Elle a déniché cette toile chez un antiquaire romain. Experte en oeuvres d'art, Alba est persuadée que cette copie est un vrai. L'autrice intègre dans son récit présent des moments de la vie du peintre avec ses excès, sa violence, sa méthode pour peindre ses personnages. Ce n'est plus un guide touristique mais des extraits d'un livre d'art sur la mode du caravagisme avec l'introduction du clair-obscur. Les aventures rocambolesques du peintre fournissent à la narratrice l'opportunité de raconter un destin singulier, celui d'un homme d'une époque baroque flamboyante. Les deux amants rencontrent la directrice de la galerie Borghese pour authentifier le tableau. Cette copie devient aussi l'alibi pour évoquer ce phénomène courant, le plagiat dans le monde de la peinture. Le roman se transforme alors en thriller pour cacher le tableau alors que la police s'en mêle. Certains critiques ont salué "la fougue" de l'autrice qui "dévoile les arcanes du caravagisme". D'autres ont relevé les défauts du texte, un style maniéré, l'histoire du couple adultère d'une banalité rare. J'ai lu jusqu'au bout cette biographie romancée du Caravage tellement j'aime l'Italie ! Mais, Léa Simone Allegria aurait du se limiter au peintre lui-même et éviter le ressort romanesque de ce couple improbable. J'évite souvent de ne pas émettre un avis négatif sur un roman qui a, certainement, donné beaucoup de travail à son autrice. Dommage pour Rome et Le Caravage. Il vaut mieux lire le Rome de Stendhal et le roman de Dominique Fernandez, "La Course à l'abîme" sur ce peintre génial.
jeudi 4 décembre 2025
"Joseph", Marie-Hélène Lafon
Marie-Hélène Lafon a déclaré dans un entretien : "Mes livres viennent du pays... de ce coin du monde de la vallée de la Santoire... des pays frappés, évidés, récurés... des lignées finissantes des miens... des attachés, des empêchés d'aller ailleurs, comme l'écrit Ramuz dans "Salutations". Je n'écrirais d'abord et avant tout que de ça, que de là-haut, pays perché, perdu, tondu". Le roman, "Joseph", publié en 2014 chez Buchet-Chastel, s'inscrit dans cet univers "lafonien" où les "invisibles" deviennent enfin visibles grâce à la littérature. Ouvrier agricole depuis l'âge de seize ans, il est employé dans diverses fermes. A 59 ans, il travaille dur avec compétence et vit avec ses employeurs. Il pressent que son métier va disparaître avec le machinisme triomphant. Il aime la ferme et les animaux avec lesquels il se sent complice : "Quand on rentre dans une étable bien tenue, l'odeur large des bêtes est bonne à respirer, elle vous remet les idées à l'endroit, on est à sa place". Sa vie va défiler dans ce texte : sa famille éclatée et perdue, sa mère préférant son frère, sa fiancée qui l'a quitté et sa chute dans l'alcool, un véritable fléau dans ce milieu agricole. Il s'est soigné avec des cures de désintoxication et a même rencontré une psychologue. Joseph, un éternel taiseux, un silencieux monacal se parle à lui-même en se remémorant tous les souvenirs de sa vie comme un ruminant. Son sens de l'observation se manifeste à tout moment : sa vie quotidienne routinière, son entourage immédiat, ses voisins, son passé toujours avec l'idée de "tenir sa place" sans jamais déranger. L'écrivaine admire Flaubert et son "Joseph" ressemble à la Félicité, l'héroïne de sa nouvelle, "Un coeur simple". Son style décortique avec précision les micro-événements d'une vie simple, une vie de travail épuisant sans qu'aucune plainte ne sorte de la bouche de Joseph. J'avais lu ce roman à sa sortie et ma deuxième lecture récente m'a bien confirmé le talent subtil d'une styliste hors pair. Marie-Hélène Lafon rend hommage à un homme simple, un homme du peuple paysan, un ouvrier de la terre et des bêtes. Et il s'appelle Joseph, ce n'est pas anodin à l'approche de Noël et des crèches.
mercredi 3 décembre 2025
"L'Ami Louis", Sylvie Le Bihan, 2
Elisabeth Daguin prépare donc l'émission sur Camus et elle est chargée de réunir quelques témoins de sa vie dont Louis Guilloux. Elle rencontre l'auteur, un homme très réservé qui se méfie des médias. L'écrivain semble dubitatif pour témoigner de son amitié envers Camus, mais la jeune femme s'investit dans cette relation et sa détermination fonctionne. Elle partage avec Louis Guilloux un point commun car sa mère est originaire de Saint-Brieuc et elle ne sait rien sur ses grands-parents maternels. Le texte combine le présent entre elle et Louis Guilloux, leurs rencontres, leurs discussions et le passé avec les portraits des écrivains comme Jean Grenier, André Malraux, et d'autres. Elle imagine la première rencontre des deux futurs amis : "Rue du Bac, en retrait derrière le professeur de philosophie, son ancien élève, Louis, se surprit à sourire. En ce matin d'été, la joie, petite veilleuse des coulisses, venait de faire une entrée fracassante dans la vie du Breton". La jeune Elisabeth éprouve une admiration grandissante pour Louis et elle propose même à Bernard Pivot de consacrer une émission spéciale sur Guilloux. Le portrait de l'écrivain s'affine et s'approfondit au fil des pages et la narratrice découvre aussi un secret dans la vie de cet homme discret. Il a vécu une histoire d'amour avec une italienne de Venise, Liliana, sa traductrice. Mais, il finira par rompre et ne reverra plus cette femme. Elisabeth va rechercher les traces de cet amour perdu. Défilent dans ce livre quelques écrivains de l'époque comme Roger Grenier, René Char, Max Jacob, Louis Guilloux se confie ainsi : "Albert et moi, on a eu ce qu'on pourrait appeler un coup de foudre existentiel. Je te souhaite de rencontrer ton âme soeur, toi aussi. Il avait tous les dons, y compris ceux de la jeunesse et de la liberté". L'écrivain s'attache aussi à cette jeune femme et lui donne des conseils de vie car elle a rompu avec sa famille. Elle va retrouver sa mère pour comprendre son passé familial. Ce roman mélange des faits réels à des faits fictifs et entraîne le lecteur et lectrice dans le monde littéraire de la première moitié du XXe siècle. A partir d'une documentation exemplaire qui n'alourdit pas le roman, elle redonne la vie à ces écrivains majeurs avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs visages, leurs modes de vie. Un régal de lecture et surtout qui donne envie de lire ou relire Albert Camus et évidemment, Louis Guilloux.
mardi 2 décembre 2025
"L'Ami Louis", Sylvie Le Bihan, 1
Chacun se choisit ses propres héros : des sportifs de haut niveau, des artistes, des chanteurs, des révolutionnaires, etc. J'ai choisi logiquement ceux et celles qui consacrent leur vie à l'écriture et à la littérature : les écrivains, des hommes et des femmes qui passent leur temps, qui brûlent leurs heures, pour déposer sur des feuilles ou sur un écran, des mots. Ils sont souvent enfermés dans leur bureau, devant une table et alors, ils imaginent des destins singuliers, des situations dramatiques, des univers proches ou lointains. J'ai lu récemment le roman de Sylvie Le Bihan, "L'Ami Louis", publié cette année chez Denoël, un roman où elle évoque l'amitié entre Louis Guilloux et Albert Camus. Je suis, en général, curieuse de ces romans biographiques littéraires. Les deux personnages principaux portent des noms illustres : Louis Guilloux et Albert Camus. Tout le monde connait notre Prix Nobel de Littérature, le philosophe de l'Absurde, l'amoureux de l'Algérie, le fils d'une mère analphabète, le dramaturge politique, le romancier visionnaire, sa mort tragique dans un accident de voiture. Ses romans sont devenus des grands classiques contemporains et n'ont pas pris une ride comme "L'Etranger" ou "La Peste". Mais, Louis Guilloux, que le lit aujourd'hui ? Encore un de ces écrivains oubliés comme tant d'autres du XXe siècle : Henri Calet, Marcel Aymé, Roger Martin du Gard, François Mauriac, et. Le mérite de Sylvie Le Bihan réside dans cette redécouverte de cet écrivain dit populaire, né à Saint-Brieuc en 1899 et mort dans cette même ville en 1980. Il a écrit plusieurs romans : "Le sang noir", "La maison du peuple", "Le Pain des rêves", "Coco perdu" pour citer les plus connux. Son oeuvre autobiographique a aussi marqué son oeuvre comme "L'Herbe d'oubli" et les "Carnets". L'univers romanesque de cet écrivain "breton" concerne le milieu populaire d'une France disparue dans les années 30. Il s'intéresse au sort des plus démunis et s'engage contre le fascisme. Camus et Guilloux sont fils d'artisans, tonnelier et cordonnier. Ils ont connu la pauvreté et leur amitié, fondée sur leur vocation littéraire, a conquis Sylvie Le Bihan qui se saisit de cette rencontre pour nous plonger dans l'univers de la littérature française du XXe siècle. L'écrivaine crée un personnage féminin, Elisabeth Daguin, qui, en 1976, travaille pour Bernard Pivot afin de préparer une émission d'Apostrophes sur Albert Camus. Elle découvre alors l'amitié indéfectible qui liait ces deux hommes. (La suite, demain)
lundi 1 décembre 2025
"Les Pays", Marie-Hélène Lafon, 2
Marie-Hélène Lafon raconte le destin de Claire, son alter ego fictif, issue du Cantal qu'elle aime charnellement. Pourtant, son exil à Paris la libère d'un milieu restreint mais qu'elle décrit toujours avec une empathie certaine, sans amertume, ni esprit de révolte quand elle évoque ses origines modestes. Elle écrit : "Les rivières partent, s'en vont vers des ailleurs devinés et demeurent cependant en guipure têtue aux lisières du monde qu'elles bornent. Claire est partie, les filles partent, les filles quittent les fermes et les pays". Claire devient donc professeur de grec et de latin dans un lycée parisien et une fois par an, son père monte dans la capitale pour rendre visite à sa fille. Toujours célibataire, la narratrice a adopté sa ville, Paris, sans renier son Cantal. Son père semble perdu dans cette cité frénétique qu'il peine à comprendre. Dans le métro, il s'adresse aux voyageurs et ce monde ressemble à une planète inconnue. Quand il visite le Louvre avec sa fille et son petit-fils, il ne peut déchiffrer toute cette beauté devant ses yeux car il lui manque les codes d'une éducation artistique. La relation père-fille est très bien analysée par l'écrivaine. Malgré leurs liens familiaux, ces deux protagonistes n'ont plus rien en commun : deux lieux, deux destins, deux manières de voir la vie. Mais, entre ces deux êtres si différents, l'amour demeure et la tolérance règne, même si la communication semble limitée. Claire sait qu'elle doit sa nouvelle vie aux livres : "Il n'y avait pas de paradis. On avait réchappé des enfances ; en elle, dans son sang, et sous sa peau, étaient infusées des impressions fortes qui faisaient paysages, et composaient le monde, on avait ça en soi, il fallait élargir sa vie, la gagner et l'élargir par le seul et muet truchement des livres". Le mirage d'appartenir à ces deux univers, celui de la terre et celui du papier, devient une réalité dans l'oeuvre de Marie-Hélène Lafon. Je pense que l'on "porte en soi" deux pays qui ne se heurtent pas mais se complètent avec intelligence et avec la sensation de se multiplier. Certains d'entre nous possèdons ces deux identités, celle de sa terre de naissance et celle de sa terre d'adoption. L'univers romanesque de l'écrivaine s'appuie sur cette dichotomie existentielle, entre deux mémoires vécues et surtout sur son écriture "flaubertienne", où chaque mot compte, où chaque phrase travaille, où chaque paragraphe organise ce flot organique de la langue française. Pour moi, ce roman autofictif résume à merveille toute son oeuvre. Et cet hommage aux livres, un geste de gratitude à partager.