Marie-Hélène Lafon raconte le destin de Claire, son alter ego fictif, issue du Cantal qu'elle aime charnellement. Pourtant, son exil à Paris la libère d'un milieu restreint mais qu'elle décrit toujours avec une empathie certaine, sans amertume, ni esprit de révolte quand elle évoque ses origines modestes. Elle écrit : "Les rivières partent, s'en vont vers des ailleurs devinés et demeurent cependant en guipure têtue aux lisières du monde qu'elles bornent. Claire est partie, les filles partent, les filles quittent les fermes et les pays". Claire devient donc professeur de grec et de latin dans un lycée parisien et une fois par an, son père monte dans la capitale pour rendre visite à sa fille. Toujours célibataire, la narratrice a adopté sa ville, Paris, sans renier son Cantal. Son père semble perdu dans cette cité frénétique qu'il peine à comprendre. Dans le métro, il s'adresse aux voyageurs et ce monde ressemble à une planète inconnue. Quand il visite le Louvre avec sa fille et son petit-fils, il ne peut déchiffrer toute cette beauté devant ses yeux car il lui manque les codes d'une éducation artistique. La relation père-fille est très bien analysée par l'écrivaine. Malgré leurs liens familiaux, ces deux protagonistes n'ont plus rien en commun : deux lieux, deux destins, deux manières de voir la vie. Mais, entre ces deux êtres si différents, l'amour demeure et la tolérance règne, même si la communication semble limitée. Claire sait qu'elle doit sa nouvelle vie aux livres : "Il n'y avait pas de paradis. On avait réchappé des enfances ; en elle, dans son sang, et sous sa peau, étaient infusées des impressions fortes qui faisaient paysages, et composaient le monde, on avait ça en soi, il fallait élargir sa vie, la gagner et l'élargir par le seul et muet truchement des livres". Le mirage d'appartenir à ces deux univers, celui de la terre et celui du papier, devient une réalité dans l'oeuvre de Marie-Hélène Lafon. Je pense que l'on "porte en soi" deux pays qui ne se heurtent pas mais se complètent avec intelligence et avec la sensation de se multiplier. Certains d'entre nous possèdons ces deux identités, celle de sa terre de naissance et celle de sa terre d'adoption. L'univers romanesque de l'écrivaine s'appuie sur cette dichotomie existentielle, entre deux mémoires vécues et surtout sur son écriture "flaubertienne", où chaque mot compte, où chaque phrase travaille, où chaque paragraphe organise ce flot organique de la langue française. Pour moi, ce roman autofictif résume à merveille toute son oeuvre. Et cet hommage aux livres, un geste de gratitude à partager.
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