lundi 18 mars 2024

Rubrique Cinéma, "Boléro", Anne Fontaine

 La semaine dernière, je suis allée voir le film d'Anne Fontaine, "Bolero". La réalisatrice explique son choix sur la musique si connue de Ravel : "C'est la rythmique infernale des machines, symbole de l'ère industrielle qui va l'inspirer. Il puise dans la mécanisation, le jazz, le fracas de la Guerre de 14 pour créer le tempo infernal et obsédant de ce Boléro au processus de création duquel le spectateur est associé". Le thème du Boléro répété dix-sept fois en crescendo culmine en un final de catastrophe. Il semblerait que cette pièce de Ravel soit l'oeuvre classique la plus jouée au monde. Le film raconte cette aventure musicale si chargée d'histoire culturelle. Ravel, interprété par l'excellent Raphaël Personnaz, vit avec sa chère mère d'origine basque (il est né à Ciboure en 1875) dans sa maison de Montfort-L'Amaury dans les Yvelines. Sa personnalité reste assez mystérieuse car cet homme semble bien pudique et discret. Autour de lui, des femmes amies et complices comme Misia Sert, la muse du Tout Paris,  Ida Rubinstein, danseuse et mécène russe et Marguerite Long, pianiste. Le musicien cherche son inspiration dans les bruits de la vie, d'une usine, du jazz et d'autres formes musicales. Sa vie amoureuse est quelque peu limitée car il fréquente des bordels sans relations intimes avec les "courtisanes". Les trois femmes de sa vie le stimulent dans sa création musicale et non dans sa vie personnelle. Anne Fontaine relate aussi sa maladie neuro-dégénérative et sa mort en 1937 à l'âge de 62 ans. Alexandre Tharaud, le grand pianiste a servi de doublure au personnage de Ravel. La dernière scène avec le danseur étoile, François Alu, sur la musique du Bolero est vraiment magnifique. Mais, quand je suis sortie de la salle, j'ai regretté la presence dans ce film de Jeanne Balibar, actrice d'un maniérisme crispant, qui joue avec une outrance ridicule le rôle d'Ida Rubinstein.  Après avoir vu ce film musical, j'avais envie malgré tout d'écouter du Ravel surtout ses pièces au piano et ses concertos. Et, j'ai retrouvé dans ma bibliothèque une biographie originale sur Ravel, écrite par mon philosophe préféré, Vladimir Jankélévitch que je vais relire avec plaisir ! Ravel, il vaut mieux écouter sa musique colorée, originale, surprenante et tellement contemporaine ! 

"Le Quatuor et autres nouvelles", Virginia Woolf

Je reviens sur Virginia Woolf car j'avais intégré dans ma liste un recueil de nouvelles, "Le quatuor à cordes et autres nouvelles", paru dans la collection Folio. Pour aimer et comprendre cette voix unique, singulière, exceptionnelle de la littérature anglaise, il est préférable de commencer par des textes courts, brefs pour appréhender le génie woolfien que l'on pourrait définir comme une écriture impressionniste, intimiste, rêveuse, poétique. Dans la première nouvelle, ce quatuor à cordes n'est qu'un prétexte pour entendre des monologues anonymes qui ricochent sans ordre précis suivant le "flux de conscience". La musique inspire des vaguelettes de mots qui décrivent des paysages bucoliques, aquatiques. Dans la deuxième nouvelle, "Kew Gardens", un couple s'interroge sur leur passé respectif avec des souvenirs nébuleux et le texte bascule sur la présence d'un escargot qui écoute ces conversations de promeneurs divers. Virginia Woolf décrit tout ce qui l'entoure, des fleurs aux arbres, d'un modeste escargot à des hommes et à des femmes, toutes ces impressions glissent sur la page comme dans un tableau peint par petites touches colorées : "La cité grondait pareil à un immense assemblage de boîtes gigognes en acier tournant les unes dans les autres en un mouvement perpétuel ; et sur ce fond, la clameur des voix et des éclats de couleur jaillis de myriades de corolles montaient dans les airs". La nouvelle suivante, "La marque sur le mur" montre une tâche noire sur un mur et la narratrice se demande d'où vient cette marque. Son esprit divague dans des songes sur ce mystère et la chute de la nouvelle révèle la trace d'un escargot (encore un !). La nouvelle, "La dame dans un miroir", raconte les reflets d'un miroir dans une pièce inoccupée et quand Isabella, la maîtresse de maison, surgit devant le miroir, son regard croise celui du miroir et elle voit la nudité de sa vie, sa vieillesse alors que tout dans son salon, ses objets personnels, son courrier dense, ses meubles, ses tissus montraient l'abondance et la richesse. En coupant une branche dans son jardin, elle pense à ce geste brutal et ressent la perte : "La chute de cette branche évoquait sa propre mort ainsi que la futilité et la fugacité de toutes choses". La fin de la nouvelle révèle la vérité sur cette femme au miroir : "Elle était nue dans cette lumière impitoyable". Dans ces courtes nouvelles, Virginia Woolf montre tout son art d'écrire : sensations, impressions, divagations, déambulations. La lecture de ses textes ne ressemble pas à un chemin facile, balisé, plat et droit. Le chemin de l'écrivaine dessine des méandres, des courbes, des décrochages. Ce recueil pourrait déclencher (ou pas) chez son lecteur-lectrice l'envie d'aller vers ses romans et ses essais sans oublier son journal. Une écrivaine d'une importance capitale pour la littérature du XXe et quand je pense qu'elle n'a pas obtenu le prix Nobel de littérature !