jeudi 23 janvier 2025

"Ne jamais arriver. Le voyage d'Ovide"", Béatrice Commengé

 J'ai reçu le mois dernier un beau cadeau d'une amie de l'Atelier Littérature : le roman de Béatrice Commengé, "Ne jamais arriver. Le voyage d'Ovide", paru chez Verdier en 2024. Comme j'aime tout particulièrement l'Antiquité greco-romaine, j'ai évidemment lu avec beaucoup d'intérêt ce texte-hommage au poète latin, Ovide, l'auteur des "Métamorphoses" et de "L'art d'aimer". Né en 43 av. J.-C. à Sulmone et mort en 18 ap. J.-C. à Tomis, l'actuelle Constantza sur les bords de la Mer Noire en Roumanie, le poète est le personnage principal de ce roman atypique et original. Pendant le temps immobile de la période Covid, la narratrice se met à rêver d'une île lointaine, celle d'un lieu parfait, couverte de végétation, portant le nom d'Ovide, "Insila Invidiu". Comme chez Proust, le nom de l'île mobilise son esprit fantasque et elle veut absolument connaître l'endroit improbable où le poète est mort. Alors, elle prépare ce voyage avec précision pour le mois de mars 2020 mais cette date tombe très mal car le gouvernement de l'époque assigne tous les citoyens et toutes les citoyennes à rester chez eux comme le fut Ovide, deux mille ans avant. Ovide a évoqué son exil en regrettant son pays natal, ses vignes et ses oliviers, ses champs, ses rivières. Dans son exil, il ne voit que "vent et glace, terre sans fruit, campagnes nues sans verdure et sans arbres". L'écrivaine partage avec un sentiment nostalgique, l'exil obligatoire sans espoir de retour de son poète : "Etre ailleurs, c'est se trouver en un lieu où le monde d'avant est inatteignable". Elle attend ce voyage pendant deux ans dans un esprit d'exaltation : pendant tous ces mois de covid, ce projet la porte, l'exalte. Ses rêveries vers cet île lointaine la précipitent dans son passé comme la traversée d'Alger à Marseille ou son premier voyage à Rome. Ce projet "ovidien" l'embarque vers des horizons imaginaires grâce à l'écriture. Le voyage se concrétise enfin en mars 2023 et la narratrice précipite son escapade en une semaine en raccourcissant les étapes : "C'était mon choix, le choix d'illustrer ce gigantesque bouleversement du glissement des heures sur les paysages". Le périple, digne d'Homère, passe par Rome en suivant la via Appia, puis de l'Adriatique à la mer Ionienne sur le ferry Brindisi-Patras, en traversant la Grèce, la Bulgarie jusqu'à Constantza. Elle écrit : "Garder toujours à l'esprit que, lorsque Ovide pleurait à Tomis, un million d'hommes et de femmes vivaient à Rome, et la terre tout entière comptait seulement 170 millions d'habitants". L'île paradisiaque se transforme alors en un lieu inatteignable car, en mars, aucun bateau ne fait la liaison pour visiter l'île. Au fond, le titre du texte prend tout son sens : "ne jamais arriver". Ce récit illustre la quintessence de la rêverie littéraire, ce que j'apprécie beaucoup. Après avoir lu ce livre tellement hors du temps, je vais enfin redécouvrir Ovide !