J'ai choisi le thème des journaux, des autobiographies et des récits de vie pour l'Atelier du jeudi 27 mars. Ma liste de livres concerne donc une littérature du Réel, de la vie sans le filtre de la fiction. J'ai donc lu "Le Journal, les années hongroises, 1943-1948", de Sandor Marai, paru chez Albin Michel en 2019. Je connaissais quelques romans de cet écrivain hongrois que l'on compare parfois à Stefan Zweig. Né en 1900 à Kassa, il est mort à San Diego, aux Etats-Unis en 1989. Journaliste, poète, auteur dramatique, il connaît le succès très tôt avec "Le Premier Amour" en 1928, "Les Révoltés", "L'Etrangère", "Les Confessions d'un Bourgeois" et tant d'autres. Il est le premier à découvrir Kafka qu'il traduit en hongrois. Sandor Marai et sa femme perdent leur fils après sa naissance et ils adopteront un garçon, Janos. Il observe avec inquiétude la montée des régimes totalitaires dans ces années 30. Antifasciste déclaré, il se situe du côté démocrate et il doit fuir Budapest à cause de l'invasion de son pays par les Allemands en 1944. Il commence son journal intime en 1943 et le tiendra jusqu'à sa mort. Témoin de son temps, l'écrivain décrit avec précision les événements de son pays dans cette époque trouble et opaque. Son regard profondèment humaniste sur le sort des Juifs de Budapest montre l'horreur du nazisme. Sa femme, Lola, était d'origine juive et ils se sont installés dans un village pour fuir les rafles en ville. Il est horrifié par l'antisémitisme meurtrier des Hongrois eux-mêmes, proches des Allemands. Il évoque les pillages des magasins, des logements et observe les déportations en masse des Juifs hongrois. L'Histoire avec un grand H imprègne toutes les pages de son Journal. A côté de ce présent angoissant et poignant, la littérature tient aussi un rôle majeur. Il aime André Gide, Anatole France, Rilke, Goethe, Mauriac et il cite même Virginia Woolf et son roman les "Années" : "Quelle force silencieuse et grave à chaque ligne". Sa vie intime apparaît dans son texte : son entourage immédiat, sa propre santé en particulier souvent évoquée. Il partage avec Stefan Zweig, le même sentiment nostalgique d'un monde perdu, l'Europe : "Même si je survis, jamais plus je ne reverrai l'Europe que j'ai connue. Quand tout sera terminé, nous serons des sages, des carreaux brisés dans les mains, comme Job sur son tas de cendres". Il rappelle souvent les raisons de ce journal : "Tant que je vivrai, je devrai travailler, observer la vie, les hommes, les phénomènes du monde, tout ce qui est complexe et incompréhensible".