jeudi 8 mai 2025

"L'Ignorance", Milan Kundera, 2

 Milan Kundera dévoile dans tous ses romans "l'irréductible mystère du déroulement de chaque existence et le poids déterminant des choix d'un instant sur l'ensemble d'une vie". En somme, il alerte sur le fait que les actes parfois insignifiants ont des conséquences lourdes. L'intitulé du roman, "L'ignorance" désigne le déni, la "cécité" qui empèche les hommes et les femmes de "maîtriser" vraiment leur destin. Ce comportement pourrait aussi dépendre tout simplement du hasard. D'autant plus que les personnages synthétisent cet aspect dans leurs vies. Leur passé leur appartient à peine, tellement la mémoire leur joue des tours. Quand Irena rencontre ses anciennes amies restées au pays, elle est amèrement déçue par cette rencontre : "C'était une conversation bizarre. Moi, j'avais oublié qui elles avaient été ; et elles ne s'intéressaient pas à ce que je suis devenue". Les émigrés se transforment en "fantômes" évanescents pour ceux et celles qui n'ont pas vécu l'exil. Les deux protagonistes, Josef et Irena, vont se rencontrer et s'aimer mais ils ne peuvent envisager une vie commune. Josef, le veuf inconsolé, veut retrouver son pays adoptif, le Danemark, car les yeux de sa femme se sont posés sur les paysages danois et il préfère rester fidèle à sa compagne. Irena a refait sa vie avec Gustaf, un entrepreneur suédois, qu'elle ne veut pas quitter. Une des scènes les plus marquantes du roman se passe entre Josef et sa belle-soeur : "Confusèment, il essaya d'expliquer mais les mots avaient du mal à sortir de sa bouche parce que le sourire figé de sa belle-soeur, braqué sur lui, exprimait un immuable désaccord avec tout ce qu'il disait. Il comprit qu'il n'y pouvait rien, que c'était comme une loi : ceux à qui leur vie se révèle naufrage partent à la chasse aux coupables. La complainte des retours d'exil". Milan Kundera parle de déracinement et de l'impossibilité du retour. Tout a changé vingt ans plus tard : les visages, les sentiments, les idées. Nostalgie du passé, nostagie du temps qui passe. Les émigrés pensaient qu'ils seraient accueillis comme des héros, mais, personne ne les comprend et considère l'exil comme une trahison impardonnable. L'ironie mélancolique et pessimiste de Milan Kundera se traduit dans cette citation : "Les gens ne s'intéressent pas les uns aux autres et c'est normal". L'écrivain évoque aussi la ville magique, Prague, en proie au tourisme débridé, au point d'utiliser Kafka comme une icône footbalistique comme Madona, le brésilien. Il renouvelle sa critique d'une musique d'ambiance partout et dans tous les lieux, enveloppante et assommante. Ce roman nostalgique et désabusé est, pour moi, l'un de ses meilleurs, écrit en français comme un acte d'amour pour son pays d'accueil, la France.