mardi 8 octobre 2024

"Avant", Jean-Bertrand Pontalis

 Psychanalyste réputé et écrivain, Jean-Bertrand Pontalis (1924-2013) possède un art incroyable de mettre à la portée des lecteurs-lectrices la psychanalyse sans jargon spécialisé et sans ostentation. Son style d'une simplicité raffinée se confirme dans cet ouvrage, "Avant", publié en 2012. Ce recueil de textes parfois hétéroclites pose la question existentielle du temps, de son passage inéluctable : "Quand il nous arrive de dire, "c'était mieux avant", sommes-nous des passéistes en proie à la nostalgie d'une enfance lointaine, d'une jeunesse révolue, d'une époque antérieure à la nôtre où nous avons l'illusion qu'il faisait bon vivre ? A moins que cet avant ne soit un hors-temps échappant au temps des horloges et des calendriers. Je me refuse à découper le temps. Nous avons, j'ai tous les âges". Cette citation résume la démarche de l'écrivain, une démarche intime, intérieure, hors d'une temporalité tyrannique. Chacun d'entre nous songe souvent à son enfance mythique, à sa jeunesse insouciante et le psychanalyste parle de "l'infans" en nous, "cet être d'avant le langage", ce passé inconnu, la plage de l'inconscient. Le premier chapitre intitulé, "Avant", rappelle le texte fabuleux de Georges Perec, "Je me souviens". Le rôle de la mémoire sélective joue une partition essentielle dans notre vie psychique. Il revendique la méthode du fragment dans ses écrits divers. Ses références littéraires et philosophiques représentent un régal de l'esprit, de Roland Barthes à Proust, de Georges Perec à Borges, de Rousseau à Chateaubriand. Un des passages les plus intéressants concerne ce phénomène de la mémoire que le psychanalyse définit comme un "inconscient" : "L'Inconscient ne devrait-il pas s'appeler Mémoire ? Une Mémoire Zeilos, hors-temps, (...) indifférente au calendrier. Et la cure psychanalytique qui, via le transfert, ne cesse d'entremêler le passé et le présent, serait-elle autre chose qu'un dévoilement progressif, qu'une aléthéia, la levée du voile de Léthé, l'oubli ? Une magie lente, disait Freud". Car, le nom de Freud revient souvent sous la plume enchantée de Pontalis. Des articles m'ont particulièrement intéressée notamment sur Ulysse, sur le peintre Caspar David Friedrich, sur une nouvelle de Balzac. Evidemment, il est question aussi de la culture psychanalytique quand il cite Lacan, Winnicott, Breuer, etc. Ce texte patchwork, tissé de souvenirs, d'aphorismes, de références, se lit sans difficultés. J.-B. Pontalis, un médiateur idéal de la psychanalyse et de la littérature que j'ai choisi dans ma liste pour l'Atelier d'octobre.