mercredi 6 août 2025

"Ma vie avec Proust", Catherine Cusset, 2

 Pour Marcel Proust, le véritable amour existe évidemment dans la sphère familiale. Le petit Marcel ne peut pas s'endormir sans un baiser apaisant de sa mère dès les premières pages de son premier tome, "Du côté de chez Swann". Je me souviens aussi du passage émouvant de son texte concernant l'amour du petit garçon pour sa grand-mère, son éternelle complice. Catherine Cusset raconte sa propre vie intime avec l'évocation de son mariage en Bretagne : "J'étais folle de bonheur et coïncidais totalement avec moi-même. On le sait : je ne suis pas Proust". Dans le chapitre suivant, intitulé "Le grand roman de la société", l'écrivaine apprécie la drôlerie et l'humour dans la Recherche. Proust aimait rire de ses amis et avec ses amis. Elle le considère comme un "extraordinaire peintre des classes sociales" et observant l'acuité de la vision proustienne sur la société, elle énumère ses propres défauts : "grossiereté, radinerie, indélicatesse". De nombreuses scènes dans la Recherche montrent la dimension ironique et burlesque de nombreux personnages dont l'insupportable Madame Verdurin dans son salon, perchée sur sa chaise. Catherine Cusset écrit : "Proust est un grand comique dans la veine de Molière et de Woody Allen ; sa lecture est un remontant, une joie, un antidépresseur". Plus loin, elle précise le projet proustien : "Proust dissèque notre être social, nos tics, nos mécanismes, nos petits mensonges, nos absurdités. Il est drôle parce qu'il révèle sans la juger la mécanique du vivant et les rouages du jeu social - ce qui nous rend humains". La narratrice connaît parfaitement la Recherche et pour illustrer ses propos, elle présente des anecdotes savoureuses sur ce thème du rire ironique. Elle livre aussi son point de vue sur la société d'aujourd'hui en s'appuyant sur le regard au scapel de Marcel Proust : "Est-ce pour cela que c'est plus nécessaire que jamais ? Parce qu'il nous rappelle la puissance du regard individuel dans un monde de plus en plus collectif". Le personnage emblématique proustien se nomme Françoise, inspirée d'une employée de ses parents, avec son langage propre et singulier. Le narrateur de la Recherche ne se pose pas en surplomb par rapport aux autres car il n'oublie pas de se moquer de lui-même. Catherine Cusset s'autoflagelle avec humour dans ce deuxième chapitre et relate les mauvais côtés de son caractère. Une scène avec Madame Verdurin pleurant sur les victimes d'un naufrage tout en dévorant son croissant montre les "limites de notre empathie, notre hypocrisie et notre vulgarité morale". Il est question aussi de la place des Juifs dans la Recherche et surtout de l'Affaire Dreyfus qui a enflammé la France de l'époque. L'homosexualité est, évidemment, omniprésente dans la Recherche avec le baron de Charlus et Marcel Proust ne ménage pas ce personnage complexe, sadomasochiste et secret. La Recherche, ce "monument national", ce trésor littéraire, comporte tellement de facettes, (psychologique, sociologique, artistique, historique, musicale, picturale, mémorielle) que ce serait vraiment dommage de passer à côté de cette oeuvre majeure.