J'éprouve une tendresse littéraire particulière pour Milan Kundera, disparu à l'âge de 94 ans en 2023. Son univers romanesque et ses essais m'accompagnent depuis des décennies et évidemment, les deux Pléiades que je possède de cet écrivain ne restent pas longtemps oubliées. Je suis repartie de la librairie Garin avec un petit ouvrage, "Hommage à Milan Kundera", publié chez Gallimard cette année. Le 30 mai 2024, l'Unesco lui a rendu un hommage exceptionnel en invitant des personnalités qui ont évoqué l'héritage kundérien. Une citation, tirée du "Rideau", résume la pensée de l'écrivain d'origine tchèque et devenu français dans les années 80 : "La seule chose qui nous reste face à cette inéluctable défaite qu'on appelle la vie est d'essayer de la comprendre. C'est là la raison d'être de l'art du roman". Audrey Azoulay, directrice générale de l'Unesco, présente l'anthologie des textes en s'appuyant sur l'universalité de l'oeuvre kundérienne, traduite dans plus de quarante langues dont le vietnamien ou le persan. Le non-engagement de Milan Kundera dépasse la frontière idéologique traditionnelle : "Explorateur des subtilités, des ambiguïtés, loin de tous les dogmes, loin de tous les clichés". Daniel Rondeau dresse un portrait passionnant de Milan Kundera, un intellectuel d'une liberté absolue, loin du "carnaval médiatique contemporain" et cultivant la "discrétion" de vivre tout en "nous enchantant, nous a appris à lire, à penser, et donc, aussi, à vivre". Quelles sont les intuitions de l'écrivain quelque peu dissident dans ses idées ? La notion de la civilisation des petites nations européennes, l'immense richesse littéraire de ce petit continent géographique de Cervantès à Kafka en passant par Diderot, Voltaire, Broch, Goethe. Son essai, "Le Rideau", expose cette conception essentielle de la littérature européenne et révèle les secrets de "l'art d'être un bon lecteur". D'autres textes évoquent le problème complexe de la traduction que Milan Kundera surveillait tout particulièrement. Antoine Gallimard, dans le dernier texte de l'anthologie, apporte une conclusion sur l'oeuvre kundérienne : "Milan a élargi l'espace du romanesque, maître de tous ses registres et de tous ses effets, alliant la mélancolie à la gaieté, la férocité sans haine à beaucoup de tendresse, somme toute". Un immense écrivain à lire et à relire cet été !