Patrice Jean, un écrivain talentueux, vient de publier son dernier roman, "La vie des spectres", publié au Cherche Midi. Quand je lis du "Patrice Jean", je sais que je rentre dans le domaine du grinçant, de l'ironie, d'un certain désarroi, et surtout du politiquement incorrect. Le regard impitoyable de l'auteur me fait souvent sourire. Son héros principal, Jean Dulac, travaille pour un journal local dans sa ville de Nantes. Il était chargé des critiques de théâtre et son rédacteur en chef lui demande de réaliser des portraits de personnalités locales. L'humour dévastateur de l'auteur se niche dans ces articles loufoques. Jean renacle devant tant de mauvaise foi des personnalités superficielles qu'il rencontre. Son "mauvais esprit" se manifeste dans un article qu'il écrit sur une surveillante, victime de clichés sensibles sur les réseaux sociaux. Des lycéens dont son fils ont diffusé ces photos. Comme cet homme persiste dans un esprit critique corrosif, sa femme et son fils le boycottent et lui demandent de quitter le foyer familial. Le voilà un peu dépité de se retrouver isolé de tous tellement il ne colle plus au consensus général, celui de la bienveillance fraternelle. Il loge dans un ancien appartement de sa mère et il finit par dialoguer avec un ami disparu. Ce héros découvre la bêtise environnante, surtout celle d'une jeunesse en pleine dérive, dogmatique et intolérante, refusant la moindre autorité. Ce romantique désabusé fait penser à l'univers de Houellebecq ou à celui de Flaubert, le grand pourfendeur de l'hypocrisie sociale, de la médiocrité des élites, de la lâcheté collective. Jean Dulac sera exclu de la société, car il refuse de "jouer le jeu". Dans un précedent roman, "L'Homme surnuméraire", il imaginait un jeune homme embauché pour réécrire les classiques de la littérature française pour supprimer les passages offensants pour les minorités. Patrice Jean est un écrivain en colère contre le conformisme social, les faux semblants, la bêtise des réseaux sociaux, le narcissisme triomphant. Evidemment, il ne rayonne pas d'optimisme quand il dénonce avec humour les travers d'une société en crise morale et politique. Il ressemble à Milan Kundera pour qui les "notions de droite ou de gauche lui sont parfaitement étrangères. Seule compte la littérature". Patrice Jean écrit dans son roman : "Existe-t-il un seul être humain, depuis l'ère quaternaire, qui ait mesuré, dans toute sa vérité, le degré d'indifférence dont il était universellement l'objet ?". J'ai pensé à une filiation littéraire car son père spirituel ressemblerait à Marcel Aymé, sarcastique, ironique sur les travers inévitables de la société contemporaine. A découvrir.