Antonio Munoz Molina est, à mes yeux, l'un des plus grands écrivains espagnols d'aujourd'hui. J'avais lu en 2023, "Tes pas dans l'escalier", un roman magnifique et troublant. Dans cette rentrée littéraire, j'ai donc découvert son dernier ouvrage, "Je ne te verrai pas mourir", publié au Seuil. Le personnage principal, Gabriel Aristu, un espagnol septuagénaire, s'est installé aux Etats-Unis depuis longtemps et a occupé un poste important dans les organisations internationales alors qu'il rêvait d'être violoncelliste professionnel. Son père voulait qu'il quitte ce pays "sinistre et arriérée" à l'époque du franquisme. Il s'est marié avec une américaine et s'est totalement intégré dans la société jusqu'à oublier son identité et son passé en Espagne. Mais, au moment de sa retraite, il ressent le besoin de retourner à Madrid, de se ressourcer. Il veut revoir son amour de jeunesse, Adriana Zuber, comme si rien n'avait changé depuis 1967. Plus de cinquante ans ont passé et la vie les a séparés, un océan les a séparés. Le narrateur raconte leur histoire d'amour, leur rencontre romanesque, leur passion réciproque. Il sonne à la porte d'Adriana et elle est assise dans un fauteuil roulant. Son corps se paralyse, ses cheveux roux sont blancs. Une auxiliaire de vie l'assiste dans son quotidien empêché. Leur séparation n'a pas éteint leur amour et leurs retrouvailles s'avèrent délicates. Pourquoi Gabriel a-t-il quitté cette femme adorée ? Adriana lui renvoie une image de fils obéissant, trop respectueux de sa famille. Son père était un critique musical aux idées monarchistes et il connaissait les muisiciens de son temps. La guerre civile espagnole a aussi laissé des traces traumatisantes. Gabriel éprouvait une dette morale envers ce père qui s'était sacrifié pour lui. Cette rupture avec son pays et avec ses proches dont Adriana a rendu Gabriel étranger à lui-même, sans ancrage. L'écrivain a connu cet effet de décalage quand il a vécu entre deux continents de 1993 à 2017. Ce roman nostalgique met en avant ce personnage attachant, "un somnambule dans sa propre vie". (La suite, demain)