vendredi 21 février 2025

"De nos blessures, un royaume", Gaelle Josse

 Le dernier roman de Gaelle Josse est sorti en janvier dernier : "De nos blessures, un royaume", paru chez Buchet-Chastel. Dès la première page, l'écrivaine au style si délicat, raconte l'histoire d'une blessure inguérissable. Agnès, danseuse professionnelle, a monté un spectacle avec sa troupe. Dès qu'elle termine sa tournée, elle quitte tout pour entamer un voyage-thérapie. Cette jeune femme a perdu son compagnon, Guillaume, et cette perte la hante à tout instant. Elle saisit son vieux sac à dos pour un périple en autocar qui va la mener de Nice à Zagreb, mille kilomètres à parcourir. Elle emporte avec elle le livre de chevet de son compagnon, "Eden, lettres à ma fille" de Julien Lancelle. Guillaume était un contemplatif "posé, ancré" et terrien, le contraire d'Agnès, bondissante et aérienne, faite "de feu et de vent". Dans ce voyage à étapes, elle revoit les lieux qu'ils ont aimés : de Milan pour un tableau du Caravage jusqu'à Mantoue où elle admire "La Chambre des Epoux", de Trieste où elle monte à Opicina à la frontière slovène à Zagreb, étape finale de son trajet. Les souvenirs affluent au même rythme que ses cheminements géographiques : "Des détours et des étapes, des hésitations, des repentirs, des visages, des rencontres, ou des possibilités de rencontres avec des moments pour revoir des choses aimées, des moments pour se découvrir, un voyage comme une promesse" . Gaelle Josse intègre aussi le livre de Julien Lancelle, une histoire d'un père aimant et de sa fille "différente" à qui il sacrifie sa propre vie. Agnès relate les impressions de son voyage avec des compagnons de fortune et quand elle arrive à Zagreb, elle accomplit le geste final : remettre le livre de chevet sur un autel du souvenir à Zagreb. Elle écrit : "Je me dis que les souvenirs, c'est un peu comme ce papillon qui ressemble à une petite feuille sèche, invisible sur le sol, le bois, la pierre". Evidemment, Gaelle Josse a inventé l'écrivain fétiche de Guillaume et son "Eden". Les deux textes s'entrelacent avec un charme certain et se répondent. L'écrivaine évite le pathos et le "feel good" dans ce texte de deuil où l'espoir d'une vie "bonne" demeure un "royaume" à sauver. Une écriture subtile, délicate, une histoire de rédemption pour Agnès et pour Julien, un peu de tendresse dans ce monde de fous... 

Rubrique Cinéma : "Prima la Vita", Francesca Comencini

  Francesca Comencini a réalisé un film intimiste et attachant sur son père, Luigi Comencini, dans "Prima la vita". Son père, décédé en 2007, était un immense cinéaste italien aux quarante films dont "Pain, amour et fantaisie", "L'argent de la vieille" ou "Les aventures de Pinocchio". Cette fiction biographique raconte l'enfance enchantée de la petite fille dans le monde fascinant du cinéma de cette époque. L'univers magique des tournages avec des scènes cocasses montre la complicité profonde entre un père adorable et une petite fille espiègle et énergique. Il intervient dans l'école de sa fille quand elle lui avoue que la maîtresse se moque d'un élève. Mais, la vie avance et l'enfance s'éloigne, la magie aussi. Francesca traverse l'adolescence et la jeunesse avec beaucoup plus de difficultés. L'Italie plonge dans les années de plomb et Francesca se rebelle contre l'ordre bourgeois incarné par son père. A la mort d'Aldo Moro, les étudiants applaudissent cet assassinat... La jeune étudiante sombre aussi dans la drogue. Son père réagit et quitte Rome pour Paris. Il veut la sauver de cette addiction mortifère. Leur relation se tend, se trouble. Luigi se bat pour la maintenir en vie et vient le moment où le sevrage fait son effet. Le troisième volet du film évoque l'âge adulte de Francesca, son apaisement et sa renaissance. Son père devient de plus en plus malade et leur relation s'inverse. C'est elle qui le soutient dans une relation inversée.  La réalisatrice a choisi la relation unique entre son père et sa fille sans mentionner la présence de sa mère et de ses trois soeurs. Elle rend un hommage passionnant à un père fabuleux et aussi au cinéma. J'ai vraiment retrouvé le charme de l'Italie à travers ce film original. Des images de Rome, de Naples, les années 70, les couleurs, les rues, le brouhaha, la langue italienne si musicale. Un beau film à voir par tous ceux et celles qui aiment l'Italie. Des retrouvailles heureuses. Et une envie de partir dans ce pays magnifique.