mercredi 26 février 2025

"Le Journal, les années hongroises, 1943-1948", Sandor Marai, 2

 Sandor Marai a vécu à Paris comme correspondant d'un journal dans les années 20 et il voue donc un culte à la littérature française. Ses critiques n'épargnent pas Paul Morand, Montherlant et même Montaigne sans oublier Aragon et Sartre. Par contre, il vénère Stendhal, Proust et Thomas Mann. Son journal raconte sa vie intellecturelle avant tout comme tout écrivain qui voit dans sa langue des racines profondes et essentielles. Dans son Journal, il montre souvent sa passion des livres, de la littérature : "Tout de même, c'est en eux que je puise des forces. Cette pièce avec ses livres, c'est ma patrie... (...) Considérer avec un bonheur reconnaissant ces livres, mes derniers amis". L'écrivain dénonce tous les totalitarismes aussi bien le communisme que le nazisme : "Affronter le fanatisme. Seule arme : ne pas se lasser, argumenter, répondre de façon logique, même quand le fanatisme t'éclabousse la figure de sa bave sifflante". Sa conscience européenne se révèle forte même s'il se laisse souvent submerger par un pessimisme lucide : "Tout est ruines, décombres et cadavres en putréfaction. L'Europe n'existe plus que dans quelques livres comme "Les Buddenbrook" ; dans une fugue de Bach ; sur une toile de Manet ; et dans la mémoire de quelques uns, de moins en moins nombreux". L'écrivain hongrois se sent seul, isolé, incompris comme ses "collègues", Thomas Mann et Stefan Zweig : "Pourquoi je vis dans une forme d'exil intérieur ? Il n'est point de patrie sans liberté intellectuelle". En 1946, il comprend qu'il doit quitter son pays tellement la situation politique bascule, après le nazisme, dans le totalitarisme communiste. La langue hongroise demeure sa seule patrie. Ce journal "patchwork" contient des analyses politiques qui constituent un témoignage historique incontournable. Moraliste, il s'interroge sur la condition humaine et sur l'histoire du XXe siècle. Sandor Marai est aussi un homme éminemment cultivé et un lecteur hors pair. Il définit sa mission d'écrivain ainsi : " Un écrivain ne peut exprimer son mystère le plus personnel, l'essence de son être que si l'époque et le monde qui l'entourent accueillent ce mystère, cette essence. On ne peut pas parler dans le noir et dans un air raréfié". Il n'oublie pas aussi les tracas de son quotidien dans un pays détruit pour se nourrir et pour survivre. A 44 ans, il ne souhaite que poursuivre ce qui fait la trame de sa vie, l'écriture : "J'aimerais vivre encore, j'aimerais écrire la vérité, mais autrement, dans sa totalité ; comme si le souffle du monde devrait donner une fois encore des ailes à mon âme". Pour ma part, j'ai beaucoup apprécié ce journal littéraire et je m'apprête à lire le tome suivant qui couvre les années 1949-1967. Un écrivain attachant, lucide. Un témoin d'une époque sombre et pas si lointaine que l'on s'imagine.