jeudi 10 juillet 2025

"Elsa", Angela Bubba, 2

 Angela Bubba tente une expérience ambitieuse en utilisant la fiction pour approcher la vérité d'une écrivaine exceptionnelle. La biographie propose une Elsa Morante à la personnalité labyrinthique, mouvante, fragile. Les chapitres en italique ressemblent à un journal intime imaginaire où les pensées et les tourments de l'écrivaine semblent réels. Ce réel qui blessait constamment Elsa Morante. Son mari, Alberto Moravia, évoquait ce problème : "Pour Elsa, le réel est une forme de mortification ainsi qu'une grave perte de temps. Faire les courses, conduire, aller à la poste : elle voit tout cela comme des défaites, comme de véritables attentats à ce que la vie offre de meilleur, vie qui, dans son cas, est synonyme d'imagination". L'écrivaine compose ses romans dans une solitude extrême. Seuls ses chats habitent cette solitude volontaire. Elle obtient vite la reconnaissance des critiques et le succès auprès d'un large public. Mais, elle se méfie des prix, déteste les journaux et les médias. Selon la biographe :  "elle ne vit que sur la défensive, prête à mordre même lorsqu'elle ne le devrait pas" et elle ajoute : "La douleur est un soleil pour elle, immense, trompeur, brillant comme une maladie". En 1957, elle obtient le prestigieux prix Strega pour "L'île d'Arturo". Dans ce texte très bien écrit, l'entourage de l'écrivaine rassemble les personnalités les plus emblématiques de l'intelligentsia de l'époque : Visconti, Pasolini, Natalia Ginzburg, Bertolucci. Elsa Morante se qualifiait ainsi : "Il y a tant de guerres et de lumières en moi". Elle se sépare de son mari après quelques années de mariage et multipliera des relations éphémères avec des hommes plus jeunes qu'elle. Sa vie aussi se déroule dans des endroits de rêve : Procida, Capri, les îles grecques. Angela Bubba réussit le portrait d'Elsa malgré sa personnalité insaisissable et excessive. Malgré la noirceur de ses romans comme dans les tragédies grecques qu'elle adorait, elle approchait la vie avec une vision poétique, un voile apaisant face à la dureté du réel. Il faut aussi lire une excellente biographie plus réaliste, écrite en 2018 par René de Ceccaty, "Elsa Morante. Une vie pour la littérature". Préoccupée par la souffrance des autres, elle évoquait dans ses écrits, les destins malheureux de ses personnages. Son grand roman, le plus connu dans le monde, la "Storia" raconte les horreurs de la guerre avec la naissance de Guiseppe, né du viol de sa mère par un soldat allemand. Je vais donc relire Elsa Morante mais, peut-être, que mes retrouvailles avec elle seront-elles décevantes ou aussi passionnantes que dans ma vie de lectrice des années 70 ? J'en reparlerai dans ce blog...